Abdel Nasser Ethmane Elyessa, alias Jemal Ould Yessa: “Je soutiens le porte-voix de la rupture, Biram Dah Abeid et favorise son avènement à la Présidence de la République”

20 June, 2024 - 22:12

Entretien réalisé par Adama Guène (Observateur de la société civile, Jeune ambassadeur de l'Union africaine pour la justice transitionnelle, Dakar). 

 

Monsieur, Abdel Nasser Ethmane Elyessa, alias Jemal Ould Yessa, je vais vous poser beaucoup de questions, au risque de vous bousculer. Est-ce que vous consentez ? 
Oui, bien sûr, avancez, foin d’autocensure ! 

Tout d’abord, on ne vous connait pas d’abonnements aux réseaux sociaux, sur la toile  vous ne laissez pas de trace audio ou vidéo, à partir de 2009. A part l’écrit parcimonieux,  vous  êtes  plutôt  discret.  De  la  part  de  quelqu’un  qui  exerce  la  politique  depuis  longtemps, c’est curieux, non ?  
Vous avez sans doute raison de noter l’apparente contradiction mais le défaut de visibilité  corrobore  aussi  une  hygiène  de  vie.  Donc,  je  ne  suis  pas  près  de  renoncer  au  luxe  de  l’invisibilité.

 

Vous  intervenez  rarement  dans  le  débat  mauritanien,  souvent  avec  une  certaine  virulence concernant des sujets de société comme le « passif humanitaire », l’écologie,  la laïcité, le féminisme, etc. A la veille de l’élection du Président de la République en  2024, sur quel candidat se porte votre choix ?  
Tout d’abord, afin de prévenir le malentendu, je vous réponds, à titre individuel. La direction  de campagne du candidat le représente mieux.  
Je  soutiens  le  porte-voix  de  la  rupture,  Biram  Dah  Abeid  et  favorise  son  avènement  à  la  Présidence de la République. L’instant est venu, depuis longtemps, de rompre la fatalité du  Chef d’Etat arabo-berbère et militaire. Les histoires longues ont une fin et celle-ci, en sus  d’avoir déçu et provoqué l’affliction et le deuil, devient un germe de discorde et de ruine. Il  faut tourner la page, au prix d’un dégât moindre. A présent, la cohésion de la Mauritanie exige l’alternance  historique.  Nous  avons  besoin  d’un  meneur  de  réformes,  d’extraction  noire  subsaharienne, pour nous guérir du cumul des ressentiments, nous préserver des pièges de  la récidive, rendre justice à la loi du nombre, libérer les énergies, valoriser le travail manuel et  éradiquer les privilèges de la généalogie. Biram Dah Abeid a payé, en prison et mainte fois,  l’amère rançon d’une œuvre vouée à éteindre(le) statu quo et purger l’héritage de l’esclavage  et de l’humiliation. Son aversion au racisme institutionnalisé explique notre convergence. La  concordance procède, surtout, de la passion de l’égalité que résume l’article premier de la  déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Les hommes naissent et 
demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que  sur l'utilité commune ».  

Ce que vous citez, là, ne parle pas trop aux Mauritaniens. Ce qui vient de la France a-t-il  bonne presse en Afrique ? 
Me reprocheriez-vous la référence à la Révolution française ?  Je vous objecterai un aveu :  Rien de ce qui m’a mené à la quête de liberté et de foi en l’espèce des humains ne provient  de ma culture autochtone, plutôt  réservoir de préjugés de race et  de prime à l’arbitraire. 
Exceptés l’honneur, la chevalerie, la générosité et le pardon qui ne sont pas précisément des  valeurs  de  progrès,  l’héroïsme  belliqueux  et  les  ruses  de  l’Invisible constituent  l’essence  même du legs de nos ancêtres. L’addition des deux contrarie le combat sur le chemin de  l’affranchissement  de  l’individu,  acteur  et  finalité  de  l’intérêt  général.  Rendons-nous  à  l’évidence, afin que prévale la paix, à l’ombre du droit naturel, il nous appartient de couper,  enfin, le cordon ombilical qui nous enchaîne au passé. Du reste, je m’assume francophone  et  francophile  de  gauche,  naturellement  pas  de  la  gauche  misérabiliste  où  l’on  érige  l’esthétique  de  la  pauvreté  en  attestation  de  pertinence.  N’en  déplaise  à  la  meute  du  panafricanisme  de  l’aigreur,  nos  problèmes,  en  Mauritanie,  ne  résultent  d’un  rapport  de  belligérance avec l’Occident et l’impérialisme. Chez nous, nous récusons des pesanteurs et  des  iniquités  endogènes,  qui  remontent  à  notre  histoire  d’avant  la  colonisation.  Hier  et  aujourd’hui, ce sont nos congénères qui nous oppriment, mentent et volent. Sans la pression  de la communauté internationale, ils nous écraseraient allègrement.  

 

Vu  vos  origines,  on  pourrait  vous  accuser  de  démagogie,  de  populisme  quand  vous  défendez la veuve et l’orphelin ? 
Soyons sérieux ! Je n’ai pas grandi dans la curiosité du commandement ou le désir de la  notoriété. L’éducation traditionnelle les considérait, déjà, motifs d’inconfort et de restriction. 
Dedans, il n’y a pas d’agrément enviable. Qui y échappe s’estimera chanceux. Nul ne doit  être réduit à la fortuité de sa naissance, d’où notre résolution à démentir les déterminismes  du  berceau.  Nous  ne  cédons  à  la  surenchère,  la  réalité  des  inégalités  et  du  pillage  en  Mauritanie suffit à valider nos griefs. Malgré la rigueur du constat précité, je reste rétif à la  démagogie et ne me sens en sûreté au milieu des vociférations de la foule. Si le peuple en  mouvement touche au sublime lorsqu’il abat la tyrannie, sa fureur et son enthousiasme du  lendemain  recèlent  une  formidable  charge  de  destruction  et  d’homicide.  A  l’heure  de  la  désinformation, l’instinct grégaire de la multitude justifie la vigilance et un excédent de veille.  L’irresponsabilité et l’ivresse noyées dans le tumulte d’une masse sans visage entraînent  souvent la débâcle de l’esprit critique et le triomphe de l’animalité. L’histoire de l’humanité charrie  de  tels  charniers,  par  millions.  Je  ne  suis  de  ceux  auprès  desquels  l’intolérance 
légitime à l’autocratie autorise une réaction de nihilisme.  

 

Pourquoi le choix de Biram Dah Abeid ? D’autres candidats de l’Opposition sont en lice.  
Et pourquoi pas lui ? Des 5 candidats de l’opposition, d’ailleurs nos alliés, Biram, d’emblée,  est le plus disposé à renverser la table, secouer le tapis, bref oser le coup de balai téméraire  qui  nous  réconcilierait  avec  la  normalité.  Ici,  il  y  a  lieu  de  comprendre,  par  normalité,  la  rationalité du mérite, comme fondement universel du prestige et de la récompense. Il n’est  plus  décent  de  continuer  à  entériner,  dans  l’indifférence  et  la  banalité,  la  promotion  permanente  des  filles  et  fils  de  grande  et  moyenne  tente-case,  toute  communauté  confondue, au prétexte de leur patronyme. L’élégance et la prudence commandent, aux ci- devant,  de  s’effacer  un  peu,  même  provisoirement,  afin  d’encourager  l’expérimentation  d’une formule alternative, dont découlerait une chance de réaliser mieux. Nous devons tarir  les micro-persécutions qui jalonnent le quotidien des cadets sociaux, défaire la trame de  passe-droits et d’usurpations qui nuisent toujours aux mêmes.  Il s’agit d’une prise de risque 
raisonnable, au regard des échecs de la gouvernance, depuis l’éviction du régime civil en  1978. Dites-le au Président sortant, les aristocraties rances et faisandées ont vécu, elles  n’incarnent  plus  que  l’imposture  d’une  popularité  factice.  Quiconque  continue  à  leur  conférer de la considération n’a pas compris les impératifs du siècle. La conservation de la  gent parasite ralentit notre marche vers la répartition équitable de l’effort et du rendement.  

La  campagne  du  Président  Ghazouani  met  en  avant  la  présence  de  personnalités  Haratine,  Hal  pulaar,  Soninké,  Wolof.  Ce  n’est  pas  un  démenti  aux  présumées  discriminations que vos camarades et vous dénoncez ? 
La solution ne réside pas dans l’affichage d’un personnel-alibi que l’on convoque, en vue  d’inverser l’invraisemblance : « regardez, nous ne sommes pas racistes, nous associons tout  le monde ». La figuration ne fait le film. Dans la quasi-totalité des domaines de la production  de  richesse  et  de  l’exercice  de  l’autorité  d’Etat,  le  noir  mauritanien  survit  aux  marges  du  système de prédation. Le capital privé national étant de causalité politico-administrative,  vous constaterez la mainmise des tribus maures sur les douanes, la banque, l’agriculture, les  mines, la pêche, le commerce d’importation, le commandement militaire et de sécurité, le  récit  collectif  et  même  la  religion…Le  plafond  de  verre  impose,  aux  Mauritaniens  subsahariens et natifs des castes, l’acceptation d’une infériorité indue. Nous cherchons à le  briser.   

 

Quelles sont selon vous les qualités du Président Ghazouani ? 
Je ne connais pas vraiment le Président sortant. A s’en tenir aux dires concordants de ceux  qu’il reçoit, l’aptitude au consensus l’habite et façonne son tempérament. La vox populi le  répute peu enclin à l’avidité matérielle, affable, à l’écoute et profondément réfractaire à la  violence. Il n’hésite à rendre service aux anonymes et, je puis en témoigner, ne leur réclame  de contrepartie. Le culte de la personnalité le dérange mais il le supporte, par courtoisie  envers le laudateur. Il fuit le scandale davantage qu’il n’incline à la réparation résolue des  erreurs et fautes de sa cour. C’est ici que les qualités de l’homme se confondent à ses failles.  Nous en traînons, tous.  
 
…et ses défauts ?  
Hélas, il exagère le souci de contenter son prochain, d’où un laxisme et une complaisance  qui vont le (nous) perdre. Il avalise le recyclage à tout-va, tolère une gredinerie autour de lui  puis en congédie l’auteur, ponctuellement disgracié. Au bout de quelques mois d’oubli, le  temps  de  se  fondre  dans  l’amnésie  collective,  voici  le  délinquant  de  retour,  promu  à  l’occasion d’une série de « mesures individuelles », selon le jargon de clôture des réunions  du  Conseil  des  ministres.  A  parcourir  ces  répétitions  hebdomadaires  de  l’opprobre,  l’on  s’interroge si la Mauritanie compte des compétences en dehors des Maures.  Pire, l’attitude  de conciliation mécanique que le Président adopte en modèle de direction des affaires de la  cité finit par discréditer l’éthique et diffamer l’équité, au nom de laquelle son parti (Insaf)  prétend gouverner. Aujourd’hui, la corruption et le laisser-faire n’importe quoi ont atteint des  abîmes vertigineux et pas un indicateur prédictif n’augure la perspective de les réfréner, sous  le pouvoir du moment. Consultez, je vous prie, la composition des donateurs de la campagne  du Président, au titre du patronat. La liste des 12 capitaines d’industrie vous confirmera quel  groupe  ethnique  confisque  l’économie  de  la  Mauritanie.  L’on  dirait  un  catalogue  des  revenants du Prds.   Inconscience ou mépris, ils ont eu l’outrecuidance de diffuser, fièrement,  l’écrit qui les accable.  

 

J’ai lu une de vos phrases fétiches, qu’est-ce que vous appelez « faillite du système » ?  
Les  exemples  de  reconversion  des  médiocres  et  des  cuistres  à  barbe,  d’impéritie  sans  complexe,  de  surfacturation  de  chantiers,  de  détournement  des  marchés  publics,  de  rétrocommissions et surtout leur impunité pourraient alimenter des mois de témoignages  devant une instance d’audit. Je vous épargne les suspicions de blanchiment massif dans les  secteurs du bâtiment, du commerce et du transfert de monnaie. Certains de nos diplomates  recrutent auprès d’eux des parents proches, d’aucuns savent à peine lire une déclaration,  d’autres  doivent  le  poste  à  une  maladie,  l’armée  règle  ses  dépenses  en sacs  bourrés  de  liquidités, les généraux s’arrogent le partage exclusif, entre leurs parentèles respectives, des  bourses de formation  d’élèves-officiers, à l’étranger... Le  roman de l’entreprise de rapine  comporte assez de rebonds et de ricochets pour enrichir, bien au-dessus des capacités de  l’intelligence artificielle, l’imaginaire des scénaristes de tragicomédie. L’échec du premier  mandat  est  attesté,  reconnaissons-le.  Le  second  ne  dérogerait  à  la  leçon  empirique  du  précédent. J’ai écouté le discours du Président de la République, dans la nuit du 14 au 15 juin  courant.  Il  promet  de  sévir  au  détriment  des  concussionnaires  et  des  prévaricateurs,  agglutinés,  ce  soir-là,  à  sa  proximité.  Les  susdits  ont  applaudi.  La  minute  d’après,  ils  arboraient un maintien réjoui. Bien jobard qui les suspecterait de naïveté.  

 

Peut-être  que  le  Président  Ghazouani  est  victime  des  siens,  le  cas  ne  serait  pas  extraordinaire, ça s’est vu ailleurs ? 
Il me semble présomptueux de blâmer, toujours, l’entourage du Prince et d’exonérer celui-ci.  En  l’occurrence,  le  Président,  désigne  ses  collaborateurs  et  sait  l’amplitude  de  leurs  travers. Le Chef de l’Etat, vous pouvez me croire, ne méconnait la banqueroute présente, ni  le détail des mesquineries, du trafic de prérogatives, de l’enrichissement illicite, des conflits  d’intérêt et de l’incurie de l’appareil de gouvernement et de la haute administration. Il ne  saurait plaider l’ignorance de bonne  foi. Mal  secondé, il lui arrive de résoudre des litiges  périphériques, régler des détails, lever des blocages, corriger des négligences, réparer une  déficience du service public, arbitrer dans le vide. Autour de lui, en dépit de ses propres  décisions, la mauvaise volonté tient lieu de conduite. La plupart des responsables auxquels  il délègue ne suivent ses directives que s’ils en tirent un profit privé. A force de bienveillance,  de  placidité  et  d’investissement  sur  l’horizon  lointain,  il  s’est  enlisé  dans  l’impuissance  d’endiguer la vitesse du pourrissement en cours. Qui va-t-il admonester ? Ses subordonnés  laissent l’impression, nette, de ne pas craindre leur chef. Bien entendu, ils ne sont pas tous  mauvais  ou  lacunaires.  Disons  que  le  respect  de  l’autorité  présidentielle  et  le  zèle  à  la  redevabilité ne les singularisent. Observez la cacophonie de la cérémonie d’ouverture de  campagne  de  l’Insaf  au  stade  olympique  de  Nouakchott,  les  fautes  de  syntaxe  sur  les  affiches,  en  Arabe  et  Français,  l’orateur  assoiffé  qui  réclame  un  peu  d’eau,  le  Premier  ministre se désaltérant au goulot parce qu’il ne trouvait pas de verre. Dès le début de l’oraison  du Président, une partie du public commença à se retirer. Une fois rémunérés, les rabatteurs  de badauds et leur bétail de circonstance se dispersaient. La scène se renouvela lors du  rassemblement nocturne des jeunes. C’est ainsi que l’élite de l’instant dirige la Mauritanie,  en dilettante. Pourtant, en 2022, deux ans après son élection, le Président bénéficiait du  plébiscite,  inédit,  de  l’opinion  et  des  politiciens.  Je  suis  tenté  de  conclure  à  un  gâchis  irrattrapable.  

 

Vous  ne  ressentez  pas  la  lassitude  de  ressasser  d’invariables  critiques  et  revendications ?  La  politique  c’est  aussi  le  pragmatisme  et  la  volonté  de  construire,  non ?  
En politique, au sens noble du métier, deux postures s’offrent au militant : Soit il compose et  se dilue, dans l’espoir - prétentieux - de changer le système de l’intérieur, soit il enfourche la  dissidence, à l’image de l’insurgé, réitère l’assaut et garde patience. A équidistance, s’ouvre  le  troisième  choix,  en  somme  la  souplesse  contextuelle,  une  combinaison  de  lucidité  tactique et de certitude chevillée au corps. Les modalités qui articulent les deux dernières  options se manifestent ainsi, la première étant disqualifiée, à nos yeux : 
1. Sous un règne de brutalité que caractérisent le recours à la contrainte des corps, la torture  et l’attentat à la vie des innocents - quand bien même la vertu ornerait la gestion du bien  public - aucune agressivité, pas une subversion ne doit être évitée au despote. Le plus sacré  des devoirs de l’existence en société dicte de précipiter sa chute, peu importent l’intrigue à  ourdir et ses outils. Aussi, le Chef fautif sera-t-il vitupéré, au travers de sa famille, de sa tribu,  de ses prétoriens et combattu avec une ardeur d’autant moins économe qu’il aura commis  et couvert des crimes de sang en proportion significative. Si sa nuisance vise une ethnie, le  motif aggravant requiert le déversement d’un surplus de férocité à ses dépens. La Mauritanie  est sortie du cas paroxystique, en 2005.  
2.  En  revanche,  sous  une  coterie  de  prédation  tribale  et  de  fraude  qui  consent,  à  ses  détracteurs,  un  espace  d’expression  et  les  exempte  de  la  privation  de  déplacement,  la  compétition  partisane  abrite  une  marge  de  compromis.  Ici,  la  divergence  respectera  les  standards de la bienséance et de la retenue, à la condition de ne jamais occulter les méfaits  de la gestion néo-patrimoniale et du népotisme. La détente qui éluderait le préalable de la  transparence, expose, l’opposant, à trahir sa vocation de redresseur de tort et le frotte, dès  lors, aux rugosités du réalisme. Le pragmatisme n’est pas le conseiller idoine des ambitieux,  encore moins l’orient des justes. La situation du jour en Mauritanie correspond au substrat  que je viens de décrire. Autrement dit, quel que soit le verdict des urnes au lendemain du 29  juin 2024, les protagonistes potentiels de la crise à venir gagneraient à prévenir l’impasse. 
Compte tenu de la fragilité de notre voisinage immédiat et des désordres de la planète, le  vainqueur  et  le  vaincu  authentiques  sont  tenus  de  ne  pas  exclure  la  formation  d’un  gouvernement d’union. La clairvoyance les appelle à cosigner un pacte d’apaisement. Aucun  n’a intérêt à piétiner l’autre. Leur jeu à somme nulle anéantirait le pays. Au demeurant, la  menace ne viendra de notre camp. Nous ne  sommes des pyromanes et ne détenons les  instruments de la coercition.  

Qu’est-ce que vous craignez et à la lumière de quels indices ? 
Vous avez vu la démonstration des fantassins, de l’artillerie, des blindés et des unités anti-émeutes, au cœur de la capitale et ce durant 3 journées consécutives. Le geste d’intimidation  n’était pas approprié. De même, une éminence de la campagne du Président sortant pouvait  s’abstenir d’agiter ce genre de dissuasion : « La gestion de l’Etat est très ardue à celui qui  méconnaît  l’appareil  de  la  gouvernance  et  en  a  plutôt  des  perceptions  inapplicables  aux  réalités du terrain. Nous ne pouvons risquer l’avenir de notre nation, en la livrant à des gens  dépourvus de l’expérience suffisante de gestion de la chose publique. Celui à qui une telle  faculté fait défaut ne pourra jamais s’en sortir, il sera choqué face au réel. Il échouera à y  remédier.  C’est  pourquoi,  nous  ne  pouvons  compromettre  un  pays,  au  salut  duquel  beaucoup de personnes sont mortes, d’autres sacrifiées ; et nous, on le néglige ? Jamais !  C’est impossible » :  
https://www.facebook.com/watch/?mibextid=oFDknk&v=783715003897478&rdid=P...
Un  observateur  neutre  qualifierait,  la  tirade,  de  malvenue,  au  minimum.  Quand  l’on  va  à  l’émulation, il y a lieu d’y aller doucement et de ne pas répudier l’hypothèse de la défaite.  La  convocation du collège électoral n’est pas une proclamation de guerre civile. 

 

Des récriminations montent contre la Commission nationale électorale indépendante  (Céni), c’est un début de contestation du scrutin ?  
Il  surviendra  certainement  une  tension,  à  cause  de  la  fiabilité  discutable  de  la  Céni.  L’instance  d’organisation  du  vote  manque  d’impartialité  et  d’intégrité.  En  attestent  les  décomptes  rocambolesques  du  scrutin  de  mai  2023.  Les  « grands  électeurs »  de  l’Insaf escomptent, de leur troupeau convoyé, la preuve de la docilité, en photo. Or, jusqu’ici,  l’interdiction du téléphone portable, aux abords de l’isoloir, n’est pas acquise. Traquez les  anecdotes émoustillantes du fonctionnement de la Céni, menez votre enquête, demandez-vous  comment  elle  sélectionne  ses  fournisseurs  et  embauche  son  personnel.  Vous  découvririez matière à vous hérisser le poil. Enfin, je vous invite à le retenir, un pourcentage  conséquent de la diaspora est écarté de l’enjeu.   
 
Si l’Opposition, singulièrement le candidat Biram Dah Abeid remporte la compétition,  vous allez bien devoir vous mouiller, mettre les mains dans le cambouis de l’Exécutif ? 
Pourquoi devrais-je nécessairement prétendre à une fonction de l’Exécutif ? Les cadres de  bonne facture et du meilleur aloi sont légion, à l’intérieur et parmi la diaspora. Plusieurs  végètent  au  sein  de  la  Majorité  en  sursis.  Personne  n’est  irremplaçable.  Certes,  réserve  morale oblige, je ne puis servir l’Etat, tant que l’article 306 du code pénal et la loi d’amnistie  de 1993 polluent notre jurisprudence. L’article 306 est digne de Daesh. La loi de 1993 insulte  l’unité nationale et le sens élémentaire de la droiture.  

Votre engagement peut dérouter. A part donner des leçons et planter des feux rouges,  quelle est l’utilité de ce magistère ?  
En contrepoint du politicien de terrain, véritable moteur du rapport des forces, émerge le  lanceur  d’alerte,  une  manière  de  rebelle  de  la  plume  et  de  la  parole,  doublé  d’une  vigie  insomniaque, généralement à l’abri du danger. Sa citadelle se nomme exil. La vocation s’est  imposée  à  moi.  Nous  sommes  désormais  nombreux  sur  le  Continent.  L’objecteur  de  conscience  africain  affiche  une  contenance  d’oxymore  car  elle  procède  d’un  accommodement parsemé d’épines. L’idéaliste (ce n’est pas une péjoration) se résout  à  vivre de peu, prend vœu d’irrévérence, s’interdit les dettes et ne s’asservit à la propriété d’un  bien  consistant  dans  son  pays  d’origine,  dont  la  menace  de  la  spoliation  lui  vaudrait  le  chantage.  Il  acquiert  la  double  nationalité  qui  le  protège  des  siens,  gagne  son  pain  à  l’extérieur et se détourne des privilèges. Celui-là peut défier le destin, voyager léger et vivre  heureux, en harmonie avec sa conviction et la compagnie de ses livres.  

Bon, romantisme à part, reposons la question sous un autre angle : A quelles missions  vous sentez-vous le mieux préparé ?  
La  direction  des  Eaux  et  forêts,  les  questions  d’environnement,  le  règlement  du  déni  de  citoyenneté,  l’inspection  générale  de  l’Etat,  le  contrôle  en  amont  des  marchés  publics,  l’humanisation  des  prisons,  m’intéressent.  Un  poste  subalterne  où  j’aurais  les  coudées  franches m’agrée.  

Vous vous dites internationaliste, universaliste et n’hésitez à vous impliquer dans les  luttes hors de votre pays. Combien de nationalités portez-vous ?  
Je ne suis titulaire que du passeport mauritanien et m’en désole, d’ailleurs. Il est vrai qu’au  renversement  d’une  dictature  ou  d’un  régime  d’exception,  je  festoie.    Malheureusement,  l’occasion se raréfie, les brutes reprennent l’initiative.  

Selon  la  rumeur,  l’ancien  Président  Mohamed  Ould  Abdel  Aziz  soutiendrait  votre  candidat, Birame Dah Abeid. Confirmez-vous ?  
Mohamed Ould Abdel Aziz est toujours à la merci des juges et je n’entends rajouter à son  infortune. Je ne cible un adversaire à terre.  

 

Et si vous n’y arrivez pas en 2024 ? Comment préparez-vous la suite, la traversée du  désert ?  
 Vous plaisantez ?  Le désert et nous entretenons une cordiale familiarité : Nous ne cessons  de l’arpenter. De toute façon, la dynamique  du changement drastique est lancée, d’elle-même. Il nous revient de poursuivre le labour de la société, la formation des militants à la  rébellion non-violente et à la déconstruction de l’ordre hégémonique. Le fruit mûr tombera  avant terme. Sérénité et endurance ! 

En quelque sorte, vous vous apprêtez à rééditer l’expérience récente au Sénégal ?  
S’il vous plaît, comparez ce qui est comparable ! Le Sénégal est un Etat de droit. La Mauritanie  est  encore  une  ébauche  de  république  bédouine  qui  aspire  à  la  modernité  de  l’esprit. 
Quelques décades l’en séparent. Chez nous, la base de la société s’avère aussi corruptible  que le sommet est corrompu. La majorité triche parce que le nivellement par le bas et la  disqualification de l’excellence ont ouvert les vannes de l’anarchie, de la foire d’empoigne.  
Alors, pour échapper à la file d’attente, le citoyen, pressé, achète son droit ou donne du  coude,  parfois  en  vient  aux  mains.  A  titre  d’illustration,  osez  un  tour  dans  les  locaux  de  l'Agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés (Anrpts), un spectacle  ubuesque vous y attend. Ensuite, vous présenterez des excuses au Sénégal.  

Comment vous comptez vous assurer des résultats à la sortie des urnes ?  
Le grand défi de l’Opposition liguée, consiste à mutualiser ses ressources humaines, aux fins  d’avoir 1 ou 2 représentants à l’intérieur de chaque bureau de vote et à l’entour Il faudra veiller  à choisir des gens de confiance et éviter d’en mandater qui soient vulnérables à la vénalité.  Voilà notre talon d’Achille.  

A mi-campagne, des dizaines de localités réclament une visite du présidentiable Biram  Dah  Abeid,  qui  a  le  vent  en  poupe.  Vous  pensez  y  parvenir,  vu  la  modicité  de  vos  finances ?  
Notre campagne est démunie. Nous manquons de moyens mais y sommes habitués. Donc,  le  candidat  ne  se  rendra  pas  dans  certains  endroits  du  pays.  Pour  l’instant,  nous  nous  efforçons de réunir quelques ordinateurs neufs et des téléphones performants pour restituer,  à temps, les procès - verbaux de dépouillement. Nous font aussi défaut des drones à usage  civil  et  de  quoi  alimenter,  en  carburant,  nos  émissaires  motorisés.  Les  contributeurs  de  bonne volonté peuvent se rapprocher du candidat, à Nouakchott. Il n’est pas trop tard. Je le  souligne, nous leur garantissons l’anonymat.  

Pourquoi pas vous ?  
Je séjourne loin de là, en Europe. De surcroît, il ne me paraît sage de confier, à un chômeur,  le maigre denier de la cause.   

Avant de conclure, quel passage de l’introduction au programme de Biram Dah Abeid  vous inspire le plus ?  
 « …la  Mauritanie  de  nos  aspirations  signera  et  ratifiera  le  Statut  de  Rome,  endossera  pleinement  les  mécanismes  de  la  Cour  africaine  des  droits  de  l’Homme  et  des  peuples,  abolira, de son corpus juridique, la peine de mort et les châtiments corporels et interdira  l’enseignement des livres du Fiqh qui règlementent l’infâme institution de l’esclavage ».   
 
Un dernier mot aux électeurs ?  
Oui, voter Biram Dah Abeid équivaut à une révolution, les flots d’hémoglobine en moins. J’y  appelle l’ultra-minorité de compatriotes qui me ferait grâce d’entendre les arguments de la  raison et les alarmes de l’altruisme. Même à nous supposer un degré élevé de méchanceté  et  la  tentation  de  la  revanche,  mes  camarades  de  l’opposition  radicale  et  moi,  une  fois  parvenus  au  pouvoir  d’Etat,  ne  pourrions  réussir  l’exploit  de  surpasser,  les  autorités  actuelles, en médiocrité et brigandage. Essayez-nous, qu’avez-vous de si précieux à aliéner? 
Le  bien-être,  le  confort,  l’indépendance  de  la  magistrature,  l’abondance,  les  loisirs,  le  pouvoir d’achat, la couverture maladie universelle, la garantie du lendemain radieux ? Vous  n’en jouissez, même pas à dose homéopathique ! Dans un environnement sain, 5 années  d’attente gratuite suffisent à instruire le désenchantement. Alors, à moins de se résigner ou  de s’en remettre aux décrets hasardeux de la Providence, les prières, seules, ne hâteront  l’échéance de l’émancipation.  

Je vous remercie de m’avoir accordé autant d’attention, c’est moi qui sors de l’entretien,  bousculé.  
Vous m’en voyez navré. Merci à vous !