Citoyenneté et nationalité - IV/Par Ian Mansour de Grange

8 May, 2024 - 12:58

La délimitation des rapports entre l’Assemblée de l’honneur national (AHN) et l’Assemblée de la fraternité citoyenne (AFC) repose sur une claire distinction de leurs rôles et prérogatives. La première définit et légifère sur les critères de la nationalité et, en fonction des seules décisions régaliennes du président de la République, les rapports internationaux de la Nation. Ce sont ses fonctions premières. Mais elle entretient en outre un devoir de regard sur les lois relatives à l’organisation interne du territoire émises par l’AFC sur proposition du gouvernement, afin que celles-ci ne contreviennent jamais à l’intérêt national. On peut ici pressentir combien le ministère des Affaires étrangères, surtout s’il intègre en son sein une délégation du commerce extérieur (1), est un lieu spécifique d’articulation entre les deux assemblées, en dehors des plus classiques relations entre une assemblée nationale et un sénat. Proposé au Premier ministre par l’AFC avec l’aval du président de la République, le chef de ce département serait ainsi un représentant de celle-ci au sein du gouvernement.

Outre la garantie d’activités judiciaires pleinement respectueuses et adaptées des droits, selon les cas, nationaux, citoyens ou, plus généralement encore, humains (2) de toute personne présente sur le sol de la nation, l’Assemblée de la Justice Éclairée (AJE) – assure la plus complète cohésion possible entre l’arsenal juridique national et international mis à la disposition de ses consœurs. Représentée elle aussi au gouvernement par le ministre de la Justice qu’elle a elle-même proposé au chef de celui-là, avec l’aval du président de la République, elle est strictement composée de juristes couvrant l’ensemble du Droit musulman et international. La question pendante à toute cette organisation est plus triviale : comment différencier objectivement les droits humains, citoyens et nationaux ? On comprend aisément que les premiers sont communs à tous, que les derniers marquent le summum de la connivence entre un peuple et l’État chargé d’en administrer le territoire... mais que des considérations matérielles – très variables, on va le voir – marquent les frontières entre les trois. L’objectivité paraît fort difficile, pour ne pas dire illusoire…

 

Droits humains et contingences

On dira simplement ici qu’elle est à tout le moins relative. Les hurlements des acharnés défenseurs de la « préférence nationale » aux USA, en France et un peu partout en Occident ne leur sont certainement pas un privilège. On les entend également dans le Trois-quarts-Monde, notamment en Afrique. Avec ceci de plus aigu que les États y sont loin d’assurer à tous leurs ressortissants la protection des droits humains les plus fondamentaux, alors que les écarts de revenus entre les plus riches et les plus pauvres y sont au moins aussi importants qu’en pays développé. Une échelle d’un pour cinquante mille, au minimum (3)… Dans ces conditions, on peut entrevoir en quoi les soucis quotidiens du burundais lambda, par exemple, sont autrement plus vitaux que ceux de son homologue luxembourgeois nanti d’un PIB/ha annuel moyen près de cinq cents fois supérieur à celui-là. Et, plus généralement, les conséquences de telles réalités sur les mouvements des gens : sur les deux cent soixante millions de personnes (3,25% de la population mondiale) qui vivent en situation d’immigrés, plus de la moitié d’entre eux y ont été obligés (guerres, famines, oppressions discriminatoires et autres atteintes aux droits humains)…

Sans-papiers, réfugiés, immigrés, étrangers et touristes forment une très disparate communauté d’environ 20% de la population du monde. À l’instant où vous lisez ces lignes, un habitant sur cinq de notre planète ne vit pas en son pays natal et se retrouve en conséquence très diversement protégé dans ses droits humains fondamentaux. Certes les touristes (plus de 60% du total) qui ne séjournent hors de leur pays que peu de temps n’éprouvent aucun problème à cet égard et sont même généralement favorisés, en ce qu’ils apportent des devises partout où ils passent. Les autres éprouvent de variables difficultés. Un coopérant américain au Burundi beaucoup moins, a priori, qu’un boutiquier rwandais exerçant son petit commerce en ce même pays, tandis que l’intégration d’un immigré en France est à l’ordinaire plus facile s’il est de type européen plutôt que maghrébin… Des considérations raciales et culturelles un tantinet plus légères lorsque l’étranger dispose de quelque bien : on sait alors lui réserver des égards… Bref, l’argent n’est pas le moindre des paramètres dans le respect des droits humains, les sans-papiers tout en bas de l’échelle en savent quelque chose…

Toutes ces nuances devraient maintenant nous permettre de lire, sous l’aridité des chiffres, le tableau ci-contre avec une certaine conscience des contingences dans la promotion, ici et là, des droits humains. En relevant tout d’abord ses faiblesses, à commencer par la plus préoccupante : le Produit Intérieur Brut (PIB) est une donnée globale strictement économique qui ne tient aucun compte du capital naturel dont la dégradation lui est pourtant étroitement associée, le système en cours n’enrichissant l’Humanité qu’en appauvrissant la planète Terre. On remarquera ensuite qu’une hypothétique augmentation du PIB ne signifie pas un enrichissement des plus pauvres, sinon très dérisoirement : au niveau mondial, une éventuelle augmentation de 100 $ du PIB/ha n’accorderait, selon le tableau, qu’en effet à peine 3,3 $ supplémentaires au revenu annuel des 10% plus pauvres. OXFAM va même beaucoup plus loin dans cette relativisation, en affirmant dans son dernier rapport (4) que « depuis 2020, les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune. Au cours de la même période, près de cinq milliards de personnes se sont appauvries ». Et d’appeler en conséquence « les gouvernements à règlementer et réorganiser efficacement le secteur privé ».

 

La Société civile à l’avant-garde des droits fondamentaux

La dimension internationale de l’appel d’OXFRAM est évidente dans le traitement des migrations et[P1] , plus particulièrement encore, des sans-papiers dont le nombre est estimé à 80 millions dans le Monde. Précisons tout d’abord ce dernier point : un sans-papiers est une personne qui vit dans un pays sans autorisation de séjour ; cela ne signifie donc pas forcément qu’il soit dépourvu de papiers d’identité (5). Mais il est ordinairement pauvre et cela le met d’autant plus à la merci de toutes sortes d’exploitation que la révélation de sa présence aux autorités peut être synonyme d’expulsion. Certes pas systématiquement : alors que les États s’interdisent toute politique de régularisation systématique afin d’éviter d’être débordés, les besoins en main d’œuvre « bon marché » côtoient ici de plus nobles considérations des droits de l’Homme… Ambigüe, la situation est fortement liée aux inégalités économiques internationales et son éclaircissement passe par des accords de coopération entre les pays diversement touchés par les flux migratoires.

La récente convention signée entre l’UE et la Mauritanie (6) est-elle un avant-goût d’une refonte plus générale de la gestion mondiale des migrations et, par ce canal, des droits de l’Homme ? La question laisse en suspens une probable insuffisance des États à englober tous les aspects de ces dynamiques concomitantes. La migration et les droits de l’Homme ne se jouent pas d’abord dans les bureaux des administrations, les partenariats inter-étatiques et les textes de lois (7). C’est en premier lieu dans la proximité du voisinage et les relations civiles, au quotidien, que se renforcent les liens de notre humanité commune et il faut ici souligner combien essentiels sont les efforts des associations et des syndicats à les promouvoir et les clamer aux oreilles des puissants de ce monde, plus souvent penchés sur leurs chiffres d’affaires qu’attentifs aux peuples qui les génèrent. D’aucuns feront sans doute remarquer ici qu’il existe, au sein de la Société civile, des courants d’opinion peu enclins à intégrer les migrants – l’Autre, l’Étranger, l’Étrange – dans leur conception de la Civilisation. C’est indéniable et l’expression même du débat républicain. Œuvrer à leur présenter une alternative plus universaliste en est d’autant plus nécessaire… pour peu qu’on croie au meilleur de chacun pour le meilleur de tous ; et vice-versa. (À suivre).

Ian Mansour de Grange

manstaw@gmail.com

NOTES

(1) : Comme c’est déjà le cas en de nombreux gouvernements, notamment celui de la France depuis 2014.

(2) : Et c’est ici rappeler qu’à défaut de droits nationaux ou citoyens, un immigré clandestin en dispose de plus fondamentaux et doit être toujours traité en conséquence…

(3) : Soit le rapport entre 1,65 $/jour, plancher de la pauvreté ici retenu, et 82 000 $/jour, revenu à 3% d’un capital d’un milliard de dollars. Et l’on notera également que le revenu journalier (au même taux de 3%) de l’homme réputé le plus riche au monde (Elon Musk) est quasiment douze millions de fois supérieur audit plancher…  

(4) : www.oxfamfrance.org/rapports/multinationales-et-inegalites-multiples/ ; un constat partagé avec d’autres, voir www.nequalitylab.world/fr/ par exemple.

(5) : Le nombre de personnes vivant dans leur propre pays d’origine sans papiers d’identité se situerait entre huit et dix millions. À l’analyse du tableau ci-contre, Le fait paraît indéniable en Chine et au Brésil… Ailleurs, c’est plus discuté mais l’existence d’enfants nés hors de la patrie de leurs parents migrants clandestinement n’en est pas moins très probable partout où la question des sans-papiers est soulevée.

(6) : Voir http://lecalame.info/?q=node/15644

(7) : Mais c’est bien là que s’y nouent leurs problématiques, notamment dans la délivrance discriminatoire des visas de séjour, mère de tant de trafics illégaux aux frontières…

 

 

 

Pays

Population (en millions)

PIB $ /ha

% pour les 10% plus pauvres (1)

% pour les 10% plus riches  (1)

% à - de 1, 65 $/jour

% d’actifs (2) au chômage

% chômage jeunes (3)

% étrangers-immigrés (4)

% sans-papiers

Luxembourg

0, 64

127 585

2,8

25

0,2

5

17

47,4

- de 0,1

Qatar

2,5

94 503

2,6

45

0,1

0,02

0,07

82

- de 0,1

USA

333,3

76 326

2,2

30

0,2

4

8

15

4

Allemagne

83,8

48 717

3

34

0,1

3

6

19

- de 0,1

France

67,9

40 913

3

32

0,1

7

15

17

0,9

Arabie saoudite

36,5

30 372

2

38

10

6

15

27

5,5

Espagne

47,8

29 661

1,8

25

0,9

14

30

13

1,5

Chine

1 400

12 831

3

30

0,1

5

15

0,04

0,1

MONDE ENTIER

8 000

12 500

3,3

40

8

5

9

3,5

1

Brésil

215,3

8 917

0,9

42

6,9

9

21

0,4

1

Algérie

44,9

4 343

5

22

1,4

13

32

1

0,2

Tunisie

12,3

3 765

3,5

25

0,6

18

41

0,5

Données trop floues ou inexistantes

Maroc

37,5

3 491

2,8

32

0,5

10

24

1

Inde

1 417,2

2 411

3,5

28

12

5

18

0,4

Mauritanie

4,7

2 081

3,5

25

6,5

11

24

2,5

 Sénégal

17,3

1 600

3,2

30,7

9,2

3

4

2

Mali

22,6

833

3,2

29

15,2

3

4

1,5

Burundi

12,9

259

2

34

65,1

1

2

2,5

Année 2022                               (1) : estimations médianes variablement contestée (notamment par OXFAM) au gré des critères d’évaluation retenus – (2) : de 15 à 65 ans – (3) : de 15 à 24 ans – (4) : résidence principale hors de leur pays d’origine - Source : https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/ et Banque Mondiale

 

N.B. : Pour calculer le PIB/ha, on a préféré utiliser, en notre présente démarche, le PIB nominal plutôt qu’à parité du pouvoir d'achat (PPA). Pour comparer le poids économique des pays entre eux, il est en effet préférable d’ignorer les différences de pouvoir d'achat.

 

 [P1]