De millions de mauritaniens pourraient se retrouver le 17 Février prochain – date-butoir de la fin de l’enrôlement pour toutes les personnes majeures non recensées – apatrides ou étrangers dans leur propre pays. De vives inquiétudes sont nourries. Des milliers d’enfants ne sont pas scolarisés, faute d’enrôlement de leurs parents qui ne peuvent bénéficier d’aucun service. La mobilisation ne faiblit pas.
Les centres d’enrôlement ouverts en Juillet dernier dans la vallée sont restés deux mois à l’arrêt ; en raison de problèmes de connexion, avance-t-on. Les activistes y voient une « volonté délibérée de prolonger l’exclusion ». Face à cette crainte, des organisations de la société civile tirent la sonnette d’alarme et invitent les autorités à repousser l’échéance et à permettre l’enrôlement de tous les Mauritaniens. Ces militants se sont réunis pour alerter sur les artifices utilisés dans les centres d’enrôlement pour empêcher les populations de s’inscrire : absence de réseau Internet ou des cadis dans les tribunaux départementaux, jugements non conformes, centres fermés… Relevant les lenteurs délibérées ainsi constatées, ils militants opposent un niet catégorique à la date-butoir du 17 Février après celle du 31 Décembre fixée pour fermer le registre d’état-civil aux citoyens âgés de plus de six ans (voir encadré 1). Ils appellent les autorités à éliminer les obstacles qui continuent à entraver l’obtention des documents d’état-civil à toutes les composantes de la population mauritanienne.
Pour le moment, ces organisations font face à un mur de silence des autorités et entendent sonner la mobilisation par différents moyens pour se faire entendre. C’est ainsi que l’Association pour la Défense des droits des Citoyens Mauritaniens Oubliés (ADECIMAO) a tenu, le samedi 3 Février, une conférence de presse avec ses partenaires autour de « l’enrôlement biométrique en Mauritanie : constats, fragilités et conséquences fâcheuses de l’arrêt de l’enrôlement sur les populations ». Madame Mariam Sidibé, coordinatrice nationale de l’ADECIMAO, dresse un constat amer : « Depuis le lancement au mois de Juin 2011 de ce que nous pourrions nommer aujourd’hui « la mésaventure », un nombre important de nos concitoyens peine à s’enrôler afin d’accéder au droit d’appartenir à la Mauritanie ». Et d’ajouter : « eu égard aux multiples péripéties administratives, aux incohérences sans équivoque des critères d’admissibilité, au manque flagrant de volonté, pour ne pas dire mauvaise foi, des autorités, nous nous interrogeons aujourd’hui sur les véritables visées et objectifs de cette mascarade biométrique ».
Apatrides en leur propre pays
« De date-butoir en date-butoir, de coup de massue à un autre asséné sur les cœurs de nos compatriotes, nous voilà encore une fois mis à l’innommable, l’impensable : la fin de l’enrôlement pour toutes les personnes majeures non recensées à la date fatidique du 17 Février 2024 ». Madame Sidibé en appelle « à la conscience collective de tous nos partenaires épris de justice sociale, de paix et d’humanité pour nous aider à dénoncer vigoureusement et à réfuter cet affront, cette épée de Damoclès au-dessus de la tête du paisible peuple mauritanien. […] L’enrôlement et l’accès à la citoyenneté », clame-t-elle, « est un droit fondamental et inéluctablement humain. L’apatridie orchestrée par les régimes successifs en Mauritanie et la mise en branle de lois iniques, scélérates et inhumaines nous poussent à qualifier sans aucune hésitation ces faits de déni violent et crime contre l’humanité ».
Monsieur Sarr Mamadou, secrétaire exécutif du FONADH, estime quant à lui que « l’enrôlement devient un véritable problème, si nous ne luttons pas pour régler cette question. Sachez que beaucoup de mauritaniens ne seront plus mauritaniens. Il est incompréhensible qu’on continue, dans notre pays, à ignorer une question de cette nature ». Et le dirigeant du FONADH de souligner : « il n’y a que la lutte pour régler ce problème. Pas par la violence mais de manière pacifique. Parce qu’il n’y a aucune volonté politique pour le régler. Les autorités ne veulent pas recenser les populations. Des villages entiers de rapatriés de l’accord tripartite (Mauritanie, Sénégal et HCR) ne sont pas enrôlés. Le combat doit être permanent jusqu’à trouver une solution ».
De son côté, madame Fatimata M’Baye, présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) évoque le risque de voir des « générations futures devenir des apatrides », précisant que l’état-civil ne doit pas être confiné à une date-butoir alors qu’il devrait être un processus ouvert. […] C’est extrêmement grave que des mauritaniens deviennent des sans-papiers ; c’est une atteinte inadmissible au droit fondamental ». Sur la lancée, maître Mohamed Salem Abbeh souligne que l’enrôlement devrait être un service public à long terme. S’interrogeant pourquoi l’ouvrir ou le fermer, il trouve paradoxal que partout dans le monde on s’engage dans les voies du développement, de la sécurité sociale et alimentaire, alors qu’en Mauritanie, on s’attarde encore sur la question de l’enrôlement.
Quant à monsieur Dia Alassane, coordinateur de Touche Pas à Ma Nationalité (TPMN), il rapporte que ce « génocide biométrique perdure depuis 2011 » ; « la volonté de l’Etat est restée la même […] : mettre les gens sur la touche ». Martelant son refus de fixation d’une échéance, le leader de TPMN s’élève contre le « soupçon intolérable » contre des millions de ses compatriotes tenus de prouver qu’ils sont mauritaniens. « Ce déni et cette ségrégation doit cesser », martèle-t-il. « L’État doit se rendre à l’évidence et ouvrir ce registre à tout le monde ! » Monsieur Dia appelle à la mobilisation, soulignant que, si l’État a pris conscience et reculé, c’est suite à la vaste mobilisation. Il raille au passage les pontes négro-africains du régime qui se sont attribués, comme à leur habitude, le mérite d’avoir poussé l’État à prolonger la date-butoir. « Nous savons depuis longtemps que l’État ne les écoute pas. Le mérite revient aux activistes qui ont battu la mobilisation devant les centres », précise-t-il. « Nous devrons continuer à occuper la rue ».
Mettre fin aux blocages
Madame Coumba Dada Kane, ex-députée, interpelle les autorités sur le nombre d’enfants authentiquement mauritaniens dans l’impossibilité d’accéder aux actes d’état-civil, du fait du non- enrôlement de leurs parents. Elle rappelle le caractère absolu du droit d’accès aux documents d’état-civil, appelle à la mobilisation des victimes pour jouir de leurs droits et invite le gouvernement à donner des instructions fermes « pour mettre fin aux nombreux blocages ».
Monsieur Balla Touré, député à l’Assemblée nationale, déplore ces entraves constatées en plusieurs localités. Il évoque le travail mené par les parlementaires qui n’ont cessé d’interpeller tous les membres du gouvernement sur les problèmes de l’enrôlement. Hamidou Wane, activiste et dirigeant de la Coordination pour l’Enrôlement de tous les Mauritaniens (CEM), rappelle aux autorités mauritaniennes le droit d’accès de tous les citoyens à l’état-civil. Cela requiert « le prolongement de l’opération d’enrôlement tant que des mauritaniens ont besoin de ces extraits et actes qui conditionnent l’avenir de leurs enfants ». Un discours à travers lequel il interpelle la raison et le cœur des autorités.
THIAM Mamadou
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Encadré 1
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Au-delà de cette date, toutes les personnes âgées de plus de 6 ans qui n’ont pas été enrôlées seront obligées de s’adresser aux tribunaux en vue d’obtenir un jugement supplétif. En 2020, jusqu’à 10% de la population mauritanienne n’avait pas accès aux documents d’état-civil, selon la Banque mondiale. « Ces populations rencontrent des problèmes d’accès à l’éducation, suite à l’ouverture en Mai 2011, d’un registre de la population qu’une nouvelle loi a placé sous l’autorité de l’Agence nationale du registre des populations et des titres sécurisés », soulignait l’institution. S’il y a eu des améliorations, suite à la décision du président Mohammed ould Ghazwani d’enrôler tous les Mauritaniens en dépassant les obstacles, la réalité, sur le terrain, est toute autre, laissant de nombreux mauritaniens sans documents d’état-civil.