« Je sentis des hommes me passer dans le dos. L’un d’entre eux me ceintura de ses bras au moment où l’autre m’envoyait un coup de tête au visage. Un troisième, pour neutraliser ce qui me restait de degré de liberté, me jeta, par-dessus, un tissu que j’avais identifié comme étant un boubou… Au début, les coups ne venaient que d’un seul côté mais comme j’essayais de coincer celui qui me ceinturait en le poussant contre la voiture, les coups commençaient à pleuvoir de partout… ».
Il s’agit là d’un extrait de la relation de l’agression dont fut victime, dans la nuit du samedi 10 à dimanche 11 janvier 2015, le célèbre et talentueux journaliste mauritanien, rédacteur en chef du redouté site-web Taqadoumy, Hanevy ould Dehah, fondateur de la chaine de télévision El watanya. Les premiers éléments (photos, numéros de plaques d’immatriculation et témoignages de nombreuses personnes présentes) dirigent les soupçons vers un groupe de proches cousins du chef de l’Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz. Les policiers, en dépit de nombreux éléments concordants, rechignent à ouvrir une enquête véritable.
La même semaine, le groupe de jeunes rappeurs mauritaniens, Awlad Leblad, furent victimes d’une grossière machination (accusation de détention de drogue et viol), montée, selon la presse, par les fils du président de la République et des éléments de son entourage, pour les obliger à composer une ode à la gloire de leur paternel qui pourrait atténuer les effets dévastateurs de leur dernier tube, composé au vitriol et largement partagé sur les réseaux sociaux, Gueyem (https://www.youtube.com/watch?v=z8xssjKmv9E) . L’un des membres de la troupe (Hamada Ould Sidi) dort en prison depuis le 13 janvier et les autres pensent sérieusement à s’exiler.
Quelques jours après, (le 15 janvier ) trois militants antiesclavagistes, Biram Dah Abeid, Prix 2013 de l’ONU pour les droits de l’homme et président d’IRA (Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste), son premier adjoint, Brahim Ould Bilal et Sow Djiby, président de l’ONG Kawtaal écopaient de deux ans de prison ferme pour « rébellion non armée » à la suite de leur participation à une caravane pacifique dont le but est la sensibilisation de l’opinion pour l’abolition de l’esclavage foncier. Les trois militants seront jetés dans la prison d’Aleg, à 250 Km de leurs familles.
Il y a de cela deux jours (le 19 janvier), le très légaliste « Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des H’ratine au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même » appelait à l’organisation d’un sit-in pacifique de protestation contre l’arrestation des militants antiesclavagistes devant le Palais de Justice à Nouakchott. Les premières centaines de participants furent noyés sous une pluie de grenades à gaz lacrymogènes. Le président de SOS-Esclaves, Boubacar Ould Messaoud, faillit perdre le pied sous le coup d’un tir tendu de grenade et dut être transporté à l’hôpital alors que le très respecté Mohamed Said Ould Hommody, ancien ambassadeur et actuel secrétaire général du Manifeste suffoquait dans le nuage de gaz.
Pendant ce temps, le chef de l’Etat recevait, devant les grilles du Palais présidentiel, une manifestation d’hystériques qui, la bave aux commissures des lèvres, appelaient au meurtre des rescapés de la rédaction du journal satirique français, Charlie Hebdo, dont les principaux collaborateurs avaient été assassinés par d’autres excités du même acabit une dizaine de jours plutôt.
Tuer la liberté de la presse, par les menaces ou agressions physiques à l’encontre des journalistes, est une autre façon de tuer la liberté d’expression. Qui, aujourd’hui, autres que les journalistes, aurait pu nous informer, nous autres citoyens lambda, de la répression du sit-in du Manifeste ? Certainement pas l’Agence Mauritanienne de l’Information…
Mohamed Baba