Dans l’émission « Liqakhass » (entretien exclusif) de la télévision publique Al Mouritaniya, le Ministre de l’Éducation nationale, de la formation technique et de la réforme, monsieur Mohamed Melaïnine ould Eyih, a passé en revue diverses questions, toutes relatives à une réforme freinée par le Covid-19 mais qui reste le principal chantier de l’École républicaine annoncée par le président de la République dans son programme « Taahoudati ».
Le ministre a d’abord évoqué l’essentiel pour toute réforme, à savoir l’investissement dans les ressources humaines. Avec une masse salariale passée de 48 milliards d’ouguiyas à 63 milliards, au cours des deux dernières années, et le démarrage de la construction d’infrastructures scolaires, dans le cadre du programme « Mes priorités » (900 classes) et « Mes priorités élargies » (1000 classes), la réforme lui paraît bien lancée. Elle concerne d’abord l’enseignement de base et commencera à donner ses fruits dans six ans, à la fin du premier cycle primaire. La programmation est étalée sur plusieurs années : c’est le long terme que la réforme vise.
En ce qui concerne la plateforme numérique centralisant toutes les données du département, « elle facilite la gestion », dit le ministre, « non seulement du personnel mais, également, des centaines de milliers d’élèves, par l’attribution d’un numéro national permettant le suivi de chacun durant tout son cursus ». La plateforme permet aussi d’établir des statistiques fiables. « Elle nécessite du temps et des moyens pour atteindre sa pleine efficacité mais nous avons commencé avec les ressources disponibles […] Concernant par exemple l’enseignement privé qui nous posait d'énormes problèmes en termes d’organisation, nous avons y introduit déjà les élèves du Primaire. Ceux du Secondaire suivront. Toutes les données devraient être disponibles dans trois à quatre mois », espère Ould Eyih.
Retour en force des cantines scolaires
Relancée il y a quelques jours à partir des régions de l’Est, le programme de nutrition scolaire (cantines) est lié directement à celui du président de la République concernant la lutte contre la pauvreté et la marginalisation. Il s’agit d’une approche nouvelle consistant à intégrer les cantines dans les politiques nationales de lutte contre la pauvreté (à travers la Délégation Taazour et le Commissariat à la sécurité alimentaire), ce qui fait qu’il n’est plus seulement dépendant des éventuels apports de nos Partenaires Techniques et Financiers (PTF).Aide aux citoyens démunis, par la prise en charge alimentaire de leurs enfants, les cantines contribuent également à la lutte que mènent les autorités contre la déperdition scolaire. Comme par le passé, elles sont aussi un élément important de cohésion sociale car les enfants y apprennent le partage, en vivant ensemble dans de similaires conditions.
Le choix des écoles bénéficiaires est fonction de la situation économique de leur zone respective et du nombre des élèves. Les PTF associés à ce vaste programme de nutrition scolaire concernant plus de 700 écoles et doté d’un financement de 14 milliards d’anciennes ouguiyas sont le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et Counterpart International, une ONG américaine intervenant dans le secteur du développement international. On remarque, parmi les donateurs, l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID) et le département américain de l’Agriculture (USDA). Évaluée par des experts, la valeur nutritive des produits utilisés est certaine mais la présentation de ces repas indexée par divers internautes, « est liée intrinsèquement à l’état de bon nombre d’écoles rurales », reconnaît le ministre en toute franchise, ajoutant que « le gouvernement travaille, dans le cadre du programme "Taahoudati", à améliorer ces conditions générales ».
De l’évaluation des enseignants
Une grande partie de l’émission fut consacrée à l’évaluation des enseignants « qui aura lieu dans les conditions idoines », affirme Mohamed Melaïnine ould Eyih, précisant qu’« elle répond à deux objectifs : la formation de base et la formation continue. La réforme envisagée passe par le développement des ressources humaines avec le recrutement, depuis 2019, de 1700 enseignants et 400 prestataires de services. Cette année 2021, le département compte engager plus de 1200 nouveaux cadres (800 instituteurs, 300 professeurs) en plus d’inspecteurs et de formateurs des Écoles NormaIes d’Instituteurs (ENI). La sélection sera relevée. Pour entrer à l’École NormaIe Supérieure (ENS), il faudra désormais justifier d’un bac+5. Pour garantir la qualité de l’enseignement, les critères d’entrée et de sortie doivent être bien précis. « Il y a des insuffisances notoires dans la formation », reconnaît le ministre,« y compris à l’entrée des écoles professionnelles. Naguère, il arrivait souvent que le nombre réel d’admis ne couvrît pas les besoins et l’on puisait donc dans les « admissibles […] : c’est ce genre de situation qu’il faut éviter à l’avenir ».
À un autre niveau, certains parlent de formation « approximative » dans les ENI où le souci prioritaire était d’obtenir à tout prix le plus haut taux possible de scolarisation :la quantité au détriment de la qualité... Tous ceux qui entraient dans ces écoles « professionnelles » en ressortaient systématiquement avec un diplôme les habilitant à enseigner ! Les insuffisances de la formation surgissaient alors sur le terrain. L’évaluation – que personne ne devrait contester… – doit servir à déterminer le besoin de formation de chaque enseignant et à penser les contenus de celle-ci. L’impérative nécessité de mener une réforme profonde de l’enseignement appelle donc à l’unanimité des enseignants sur le besoin d’évaluation, prélude à une offre de formation continue indispensable, même dans un contexte normal, dans la vie professionnelle de tout fonctionnaire.
C’est en cette démarche que le ministre a rencontré les syndicats pour les rassurer sur les finalités dudit processus qui ne vise en aucun cas à exclure, contrairement à ce que laissent supposer certains, ceux qui seraient déclarés « faibles » mais à partir sur de saines bases avant d’entamer le renforcement des capacités par la formation continue. Il s’agit d’un nouveau départ avec l’apparition, dans les prochaines années, d’enseignants d’un nouveau profil et – il va sans dire mais cela ira certainement mieux en le disant –l’accroissement des compétences de ceux déjà en activité par ces formations à forte dose d’innovation didactique et pédagogique. La même démarche s’appliquera aux enseignements secondaire et professionnel mais le ministère a commencé par le Fondamental, en sa qualité de base et au regard des ressources disponibles qui dictent des choix programmatiques. Les formateurs seront choisis prioritairement au sein des inspecteurs de l’enseignement fondamental, des professeurs du Secondaire et des instituteurs expérimentés, notamment ceux qui ont participé à la réécriture des programmes.
Une profession à revaloriser
La revalorisation de la profession d’enseignement, dont le projet de loi a déjà été présenté en conseil des ministres, passe par ce besoin de mise à niveau qui profite prioritairement aux enseignants eux-mêmes et aux élèves sous leur responsabilité. L’enseignant qui chercherait à s’en dispenser porterait préjudice aux élèves : le ministère ne saurait le tolérer. L’évaluation était d’ailleurs déjà prévue au temps de la séparation des ministères (enseignement fondamental et enseignement secondaire), une journée de sensibilisation avait même été organisée avec l’implication des syndicats. Son démarrage fut retardé par l’apparition du coronavirus. « À l’époque, aucune voix discordante ne s’était élevée », fait remarquer le ministre,« alors pourquoi maintenant où l’on s’apprête à mettre en œuvre cet important volet de la réforme ? ».
À ceux qui voudraient voir les directeurs des écoles exemptés d’évaluation, le ministre répond par la négative, « ne sont-ils pas eux-mêmes chargés de l’encadrement de proximité ? », fait-il remarquer. Le sort de 600 instituteurs versés dans l’enseignement secondaire et dont certains sont détenteurs de diplômes de l’enseignement supérieur a aussi été évoqué. Le ministre ne voit aucune opposition notoire au passage d’un corps à un autre mais souligne que celui-là est régi par la loi (fonction publique).
D’autres questions subsidiaires ont été abordées, comme celle des livres scolaires produits par l’Institut Pédagogique National (IPN) et vendus sur les marchés dix fois leur prix ou la dotation des Directions régionales (DREN) en véhicules 4x4. Concernant le trafic des manuels scolaires,« ce sont des agissements condamnables contre lesquels le département est décidé d’agir fermement », prévient Ould Eyih. Présentement, ce sont les DREN qui recensent les besoins par niveau et par école, avant de faire parvenir les livres aux établissements en fonction de ces données. Chaque élève devrait donc en être pourvu. C’est loin d’être le cas et cette anomalie situe la zone où s’est organisée la gazra… On doit s’attendre à des actions concrètes visant à y mettre définitivement fin.
Abordant l’appui financier au secteur privé, « certaines écoles ne sont pas à jour en termes de critères à remplir », admet le ministre,« mais une partie de l’aide a été retenue pour être distribuée aux établissements qui n’ont pu, en fin d’année budgétaire 2020, fournir à temps les informations requises mais qui parviendront à redresser leur situation ».
Et de conclure sur l’impact notablement fort de la pandémie sur la présente année scolaire.« La situation est fort différente de l’année dernière. En 2020, le COVID-19 est arrivé à un moment où le programme était déjà bien entamé et nous avons pu opérer un ajustement en prolongeant simplement la scolarité. Ce n’est pas le cas cette fois où nous avons ouvert en pleine pandémie. Nous pouvons certes prolonger, écourter les vacances scolaires, voire en supprimer, mais il faudra finir l’année au bon moment (Juillet-Août) pour démarrer la rentrée 2021-2022 dans des conditions normales. Une stratégie est en cours d’élaboration pour s’adapter à cette contrainte partout présente dans le Monde ».
Sneïba Mohamed