Un ministre peut être un intellectuel et un technocrate, il peut aussi ne pas l’être. Dans notre pays comme ailleurs en Afrique, un ministre est parfois – le plus souvent – choisi en fonction de son appartenance tribale, régionale, ou du poids politique que représente sa communauté. Il peut également l’être pour les besoins de la cause, en cas de détournements de deniers publics, comme on l’a constaté ces jours-ci. Ceci dit, pas de mauvais ministre a priori : mauvais ministre, on le devient. Depuis l’indépendance de notre pays, tout ministre nommé atterrit dans un « vase clos » de proches collaborateurs qu’il trouvent devant lui. Généralement toujours les mêmes, ceux-ci sont imposés par leurs fonctions au sein des départements. Inamovibles dans la plupart des cas, ils sont, soit secrétaires généraux, soit conseillers, soit chargés de missions. Cadres ou fonctionnaires, ces individus en perpétuel reconditionnement par les régimes successifs ne sont pas, le plus souvent malheureusement, nommés pour des profils de compétences adaptés à leur fonction ou responsabilité, mais sur la base d’autres considérations, comme leur assise sociale, politique ou tribale.
Les collaborateurs des ministres sont donc en général des fonctionnaires figés dans leurs fonctions. Par exemple, un conseiller technique placé en tel service à l’âge de trente ansy restera attaché aux côtés des ministres qui se succéderont trente-cinq ans durant, avant de partir à la retraite. Aucun problème, s’il se révèle compétent, honnête, intègre et conscient. Mais un conseiller incompétent, malhonnête et corrompu va grever, trente-cinq ans durant, tout le département de ses avis, évidemment inspirés de son incompétence, intérêts personnels, ceux de sa tribu, de sa région, de son ministre ou des proches de celui-ci.
Les collaborateurs des ministres, cancer des départements
Les ministres changent mais pas leurs collaborateurs. C’est d’ailleurs pourquoi ceux-ci se pressent, dès qu’un ministre est nommé, à l’étudier pour essayer de savoir dans quelle catégorie le nouveau venu doit être classé : compétent ? Incompétent ? Flexible ? Rigide ? Intègre ? Corrompu ? Influençable ? Ils ont besoin de tenir compte des réponses à toutes ces questions pour dresser le profil du ministre nouvellement nommé.
Quand par exemple un ministre est incompétent, c’est par cette brèche qu’ils tirent un maximal profit personnel des avis qu’ils donnent. S’il est flexible, ils le désorientent dans le choix de ses décisions. S’il est corrompu, ils commencent à le tester en lui offrant de symboliques cadeaux, du parfum haut de gamme à la montre de marque, en passant par le costume griffé, pour se conclure en enveloppes fermées sur des montants remis par des « couloirs sécurisés » (la femme, le fils, le frère, la mère, le père, la sœur, etc.). Certains proches collaborateurs, conseillers ou chargés de missions vont jusqu’à rentrer dans les secrets de la famille de leur ministre, afin d’entendre qui est qui pour lui et qui est influent sur sa personne.
Les épouses, brèches pour atteindre le ministre
Dans la société africaine, les femmes des ministres sont généralement des couloirs très empruntés par ceux qui cherchent à gagner la sympathie ou la confiance de ceux-ci. Le lit de d’un ministre est le lieu idéal– disent certains –pour faire pression sur lui. Et comme généralement cette chambre à coucher est effectivement très indiquée pour débattre de certains sujets « sensibles », les épouses sont très sollicitées pour soumettre ceux-ci en tels « conseils de famille », loin des regards, en des moments particulièrement « contraignants ».
Quand, par exemple, madame est sensible aux billets, quelle qu’en soit la couleur, elle en est suffisamment renflouée pour l’inciter à user de son influence sur son mari. C’est la plus courante méthode. Elle met en général en branle les « compétences » des femmes à apporter leur touche favorable au règlement des problèmes pour lequel elles ont été « payées ».Si la femme d’un ministre sort d’une « galère », ce qui est arrivé parfois, elle prend goût à changer de look, style et habillement. En continuer, par exemple, à porter le voile de Kaédi, mais cette fois de haut de gamme. Elle passera donc du malharfa de 300 MRU vendu au moindre étal de marché à celui de 3.000ou 7.000 MRU exposé en magasin de luxe. Le sac à main chinois qu’elle avait d’habitude d’acheter au vendeur à la criée est remplacé par un YSL griffé. La montre achetée dans le tas du petit vendeur sénégalais que celui-ci a consentie à lâcher au prix de30 MRU, dix fois moins que ce qu’il proposait, est donnée à la bonne et remplacée par une Swatch achetée dans un comptoir suisse à plus de 10.000 MRU.
Un ministre n’est a priori jamais mauvais. Il le devient. Il le devient par pression, soit de ses supérieurs, (Premier ministre ou chef de l’État), soit de ses proches. C’est un responsable qui peut donc être compétent ou incompétent, compétent mais malhonnête ou incompétent mais honnête. Dans les deux cas, c’est depuis 1978 que le ministre s’est révélé dépendant des pressions qui s’exercent sur lui. Ce n’était pas le cas avant l’indépendance et sous le régime d’Ould Daddah. Tous les ministres avaient alors le sens du devoir national et de la responsabilité morale dans la gestion de la chose publique. Ils vivaient à peine mieux que leurs subordonnés mais restaient toujours dignes. Ils avaient parfois même moins de moyens que leurs subordonnés. Parce qu’ils reflétaient l’image de celui qui les dirigeait, le Père de la Nation. Maître Moktar ould Daddah fut en effet un chef d’État pauvre ou presque. Qui ne vivait que de ses très limités propres moyens ne dépassant jamais son salaire qu’il gérait comme s’il était encore étudiant à l’Université. Deux exemples illustreront les valeurs morales de cet homme créé en copie unique.
C’est le comportement du chef de l’État qui se reflète sur son ministre
Il reçut un jour, dit-on, un chèque de son homologue Mobutu Sésé Soko Odimba, président de la République Démocratique du Congo. Un chèque libellé en millions de dollars au propre nom de Moktar ould Daddah. Mobutu avait remarqué que le président mauritanien s’habillait encore de ses costumes d’étudiant et lui avait fait cadeau de cette somme faramineuse pour qu’il se paye une garde-robe griffée. Un cadeau personnel d’un ami à un ami, donc. Quand le président Moktar reçut le chèque, il convoqua le ministre des Finances pour le lui remettre, en lui demandant de verser son montant au Trésor. Ledit ministre remit à son tour remis le document au trésorier général pour exécuter les instructions du chef de l’État. Mais, libellé au nom personnel de Moktar ould Daddah, le chèque ne pouvait pas être encaissé par le Trésor, objecta son responsable, ce n’était pas conforme aux procédures ;seul le bénéficiaire pouvait entrer en possession du montant. Moktar convoqua le trésorier général pour lui demander comment résoudre ce problème. « Endossez le chèque en autorisant par écrit le Trésor à en retirer le montant au profit de l’État mauritanien et légalisez la procédure par une déclaration de don ». Ainsi fut fait et entériné par acte notarié.
Deuxième exemple. Moktar ould Daddah partit inopinément à Boutilimitt pour rendre visite à sa mère. Il s’aperçut sur place qu’il manquait d’argent, comme il se retrouvait souvent entre le 25 et le 30 de chaque mois. Il appela alors le préfet, un ami, pour lui demander de lui prêter dix mille francs (ou peut-être vingt mille, je ne me souviens plus du montant) ce que le préfet s’empressa de faire, étonné tout de même de voir un Président manquer d’un si petit montant. Et dès que Moktar perçut son salaire, il convoqua le préfet au Palais. Celui-là s’attendait à une promotion pour le service rendu. On le conduisit dans le bureau du Président qui le remercia, après les salutations d’usage, pour le service rendu à Boutilimitt et… lui restitua son argent. « Les bons comptes font les bons amis », commenta simplement Moktar, « c’est pour cela que je t’ai convoqué ». Le préfet rentra chez lui, à la fois étonné et agréablement surpris par l’honnêteté du Président mais un peu déçu, tout de même, que la promotion n’ait pas remplacé le remboursement.
C’est le comportement d’un chef d’État qui influence le comportement de ses ministres. Si celui-là est un homme juste, honnête et nationaliste, ceux-là le seront. Si le chef de l’État revêt un autre caractère, le caractère du ministre s’adapte à ce caractère. Et les exemples de l’honnêteté intellectuelle et morale de feu Moktar ould Daddah sont nombreux, comme d’ailleurs les témoignages et les preuves. (À suivre).
Mohamed Chighali