À en croire certaines informations, les opérations de recensement des bénéficiaires du fonds spécial de lutte contre le COVID 19 ont démarré samedi à Nouakchott. Seulement deux jours après son annonce par le président de la République. C’est en effet jeudi passé qu’Ould Ghazwani en déclarait l’imminente mise en place. Une caisse que les bonnes volontés ont commencé à alimenter dès le lendemain. Une espèce de précipitation des responsables en charge de dispatcher la manne attendue. Mais qui pilote ledit recensement ? La question est sur toutes les lèvres. Avec son évident corollaire : à qui le fonds va profiter ? Ce n’est un secret pour personne que les opérations de ce genre ne profitent que très peu aux bénéficiaires officiellement annoncés. Tout le monde sait que la Direction des statistiques et les autorités administratives sont mal indiquées pour les diriger. On le sait, les opérations « Cash », vivres, terrains, viande saoudienne, dotations du mois béni de Ramadan, etc. ont toujours profité à « ce monde-là », fervent adepte du « charité bien ordonnée commence par soi-même ». L’administration et ses acolytes locaux (forces de l’ordre, agents de renseignements…) sont les premiers à se servir avant de jeter quelques miettes aux annoncés véritables destinataires. La dernière opération de distribution de carcasses de viande saoudienne est passée totalement inaperçue en certains secteurs d’Arafat. À Mesjid Ennour, notamment, où vivent pourtant nombre de familles démunies, c’est ailleurs que celles-ci ont eu vent de l’aubaine qui leur filait sous le nez. Des voitures de luxe débarquant des quartiers nantis pour bénéficier avec complaisance des carcasses. En toute distribution, les Mauritaniens se reconnaissent soudain tous égaux : les voilà tous pauvres !
Fort de cette fâcheuse habitude, le gouvernement de Ghazwani doit rester vigilant. Car dès l’annonce du recensement, les gens ont commencé à s’interroger sur ses modalités. Les services concernés vont-ils opérer par porte-à-porte ? Ou ouvrir des bureaux de collecte d’infos, ce qui paraît difficile en la présente conjoncture du Corona ? Des informations ont circulé, le samedi 28 Mars, laissant entendre qu’il fallait déposer des photocopies de cartes d’identité en quelque lieu. Bousculades en perspective, bureaux à la sauvette pour ne pas dire mobiles ou clandestins... Une pratique bien de chez nous. Les nécessiteux sont toujours laissés pour comptes. Accompagnés de gardes et de policiers, des agents de l’administration sont ainsi passés près de chez nous, il y a deux ans de cela, à la recherche de familles démunies. Un recensement au pas de charge, sans réelle volonté de dénicher et discuter avec lesdites familles. Certains accoururent pour se faire recenser. Pour toute réponse, on leur opposa qu’ils habitaient des maisons en dur et qu’ils ne pouvaient en conséquence être considérés démunis… alors que d’autres habitant en maisons tout autant bien bâties, sinon mieux, se sont vus retenus sans le moindre commentaire. « Recensement sélectif ! », dénonçaient les premiers.
Un membre de notre rédaction avait interpellé les enquêteurs à l’époque, en leur demandant de bien vouloir le suivre, afin qu’il désigne ceux de ses voisins réellement démunis. Les agents l’ont remercié pour sa contribution avant de poursuivre leur travail. Passant, quelques jours plus tard, devant un point de distribution où se bousculaient des centaines de citoyens, il apprit de mes voisins qu’ils avaient bénéficié, chacun, d’un sac de riz de 25 kg, quelques litres d’huile, du sucre… Un droit dont beaucoup se voient délestés, faute d’attention de l’administration et de ses agents de sécurité. Certains citoyens ne supportent pas les longues queues et les brimades des forces de l’ordre ; ils finissent par abandonner leur droit.
Jouer la transparence
Après les opérations de distribution de vivres, terrains, cashs mensuels, investissements du CSA, commissariat aux droits de l’homme et Tadaamoun, enfin, le gouvernement s’apprête à lancer cette opération d’appui aux ménages démunis que le COVID 19 ne manquera pas d’affecter. Ne serait-ce qu’en conséquence du confinement : les restrictions de libertés de mouvements et d’action qui en découlent pourraient plonger de nombreuses familles dans la détresse. Leurs bras actifs vont immanquablement perdre de leurs revenus quotidiens. En sus du volet médical, il va donc falloir décaisser quelque cinq milliards de MRO pour soutenir trente mille familles pauvres. Mensuel, cet appui financier devrait durer un trimestre (soit un peu plus de 55 500 MRO par mois et par famille) et profiter prioritairement aux femmes chefs de ménage, personnes du troisième âge et handicapés, résidant en majorité à Nouakchott.
La décision du président de la République de leur venir en aide est salutaire, pourvu qu’elle soit exécutée de manière transparente et rigoureuse en équité. Des critères qui excluent de facto l’administration, connue pour son laxisme et clientélisme… Si le président Ghazwani souhaite que cette manne touche les véritables nécessiteux, il doit accepter le vœu exprimé par les partis de l’opposition d’être associés à la gestion du fonds. Un vœu que ne manqueront pas d’appuyer les maires, transformés, par décentralisation ratée, en supplétifs de l’administration. Ils disposent de bases de données concernant les citoyens de leur commune, domicile, contacts et, parfois, possibilité de géolocalisation. Des commissions paritaires doivent être mises en place, avec le concours de diverses associations de jeunes travaillant dans les quartiers périphériques de Nouakchott. Des citoyens ont entrepris, depuis dimanche, de photocopier leur carte d’identité mais beaucoup ignorent où les déposer. C’est dire que l’action doit être appuyée par une opération de communication via radios, télévisions et opérateurs de téléphonie pour informer des lieux et conditions d’inscription. Ainsi pourra-t-on éviter le fiasco et venir en assistance aux véritables personnes nécessiteuses. Les citoyens savent que des milliards sont en train de pleuvoir dans le fonds mais craignent d’être les dindons de la farce. Comme toujours !
Solidarité… intéressée !
Si les populations démunies peuvent se contenter des petits pécules du fonds COVID 19, les généreux donateurs (ordinairement hommes d’affaires…) pourraient, quant à eux comme toujours, profiter de l’aubaine. Parfois ostensiblement généreux, ces messieurs-dames s’attendent à bénéficier de substantiels allègements fiscaux et autres avantages. « Retours d’ascenseur », en somme. Ils continueront à importer des produits pour approvisionner le marché national, grâce à l’aide de l’État qui va prendre en charge, pour le reste de l’année, l’ensemble des impôts et taxes douanières sur le blé, l’huile, le lait en poudre, les légumes et les fruits…
Une décision très importante qui devrait être assortie d’un certain nombre de conditions, notamment le maintien des prix à un niveau accessible aux populations. Le gouvernement devra sévir contre toute infraction à la règle. Car, en dépit de la bonne disposition affichée sur la politique des prix, ceux-ci flambent et tous les ménages en souffrent. Il suffit, pour le constater, de se rendre en nos marchés. Les légumes et l’huile ont enregistré une hausse inexplicable : les marchandises ne sont pas « confinées » ni les stocks de sécurité épuisés et le président du patronat a assuré qu’il n’y avait pas à s’inquiéter pour l’approvisionnement du marché national. Les hommes d’affaires ont certes mis la main à la poche pour alimenter l’exceptionnelle cagnotte mais ils en tireront, en retour, de substantiels revenus. Et l’on prie, au final, pour que le fonds ne connaisse pas le sort du fameux Palais du Peuple jamais sorti de terre !
Dalay Lam