Le Calame : Notre pays vient d’enregistrer un 3e cas de COVID -19. Un mauritanien venu de France dans le vol d’Air France du 15 mars dont les passagers n’avaient pas été confinés. Ne s’agit-il pas là d’une faute lourde de conséquences de nos autorités ?
Brahim B. Ramdhane : Je ne saurais commencer ces propos dont vous m’offrez l’occasion sans exprimer la solidarité des cadres et militants de la Fondation avec nos chers concitoyens et par-delà avec le gouvernement dans ses efforts visant à circonscrire les dangers et les incidences de cette pandémie sur les populations. En effet, le moment est grave et exige de chacune et de chacun de faire montre de dépassement mais aussi d’altruisme, tant étant entendu qu’aujourd’hui la situation nécessite plus que jamais, la conjugaison des efforts de toutes les forces vives du pays.
Pour en revenir à votre question, le défilement du mauritanien venu de France au confinement est inadmissible. C’est une faute grave, certes. Mais je ne pense pas qu’elle soit celles des autorités, lesquelles travaillent, comme nous le voyons, d’arrache-pied pour nous prémunir des conséquences catastrophiques de cette pandémie et éviter au pays la psychose et les horreurs qui en découlent.
A cet effet, j’estime que les mesures jusqu’ici prise sont tout à fait adéquates ; même si d’ailleurs, et cela le président de la République l’a dit à juste titre dans sa première sortie : les actions engagées ne donneraient les résultats escomptés que si seulement les populations suivent à la lettre les consignes et directives données par les services compétents ! Et ici je ne saurais m’empêcher de dire avec amertume que ce 3ème cas auxquels viennent s’ajouter deux autres sont des faits de négligence, j’allais dire de la malhonnêteté intellectuelle de nos compatriotes fuyant de gré les exigences du confinement requis. Sans doute que ces citoyens quelque peu inconscients jouissent quelque part d’une certaine complicité dans les maillons des structures sanitaires et sécuritaires, complicité devant être identifiée et sévèrement condamnée !
Bref, il y a des responsabilités quelque peu partagées. Cela n’est pas cependant surprenant, eu égard à notre faible niveau de civisme et de prise de conscience par rapport à ces dangers. C’est pourquoi il va falloir éviter le pire avec le risque de propagation à l’intérieur du pays... Le 5ème cas découvert à Kaédi tout comme les rumeurs de plus en plus persistante faisant état de personnes fuyant le confinement exposant les leurs... Dieu ne nous dit-il pas que ce qui nous arrive de mal c’est toujours de nous-mêmes ? Je crains fort que la culture de l’impunité soit en train de porter ses fruits ?
Je profite de votre créneau pour demander aux populations plus de vigilance et de méfiance et aux autorités plus d’intransigeance voire de mesures draconiennes pour éradiquer les prémices d’un désastre imminent.
Je pense aussi que le ministre de la Santé ne doit pas puiser ses informations de l’administration territoriale mais des sources médicales qui sont présentement les seules crédibles. C’est si vrai que les docteurs, on le sait, sont sous le serment d’Hippocrate. Ils sont donc assermentés et dignes de foi.
Cette révélation a été faite au lendemain de l’annonce par le président de la République de la création d’un fonds de lutte contre le COVID -19. Avez-vous le sentiment qu’il s’agit là d’une bonne décision ?
Oui ...Mais ...! C’est effectivement mon sentiment. C’est une très bonne décision. Cependant ma préoccupation majeure, c’est comment ces mesures peuvent être exécutées pour que les soutiens puissent arriver à bon port. En matière de programmes socio-économiques prises par nos gouvernants, elles sont souvent bonnes, mais ce sont les mesures d’applications qui laissent souvent à désirer. Les décideurs publics pêchent à chaque fois par maladresse dans le choix des personnes qu’il faut précisément dans de pareils cas ! Nelson Mandela disait : « Ce que tu fais pour moi, si tu le fais sans moi, tu le fais contre moi ».
Au vu des expériences passées, ne craignez-vous que cette manne profite plus aux gros bonnets qu’aux véritables nécessiteux ? Que faudrait-il faire pour sa mise en œuvre ?
Effectivement c’est bien cela notre crainte majeure. C’est aussi la même crainte que nous avons formulée lors de la création de TAAZOUR dont on a éloigné les victimes tant au niveau de la gestion que de la planification. Pour tous ces cas, nous avons tendu la main et exprimé notre volonté d’y participer dans le suivi et le contrôle des programmes afin d’en assurer la transparence et l’efficacité… L’espoir d’être entendu est toujours là, présent.
A la veille de la décision de créer le fonds spécial Covid-19, le président de la République s’est entretenu avec les acteurs politiques du pays. Et la société civile ?
La société civile n’a pas été consultée ni contactée par le président de la République avant sa dernière sortie. Mais nous estimons qu’elle a été interpellée en filigrane à travers l’appel inclusif à la participation tous azimuts à la conjugaison des efforts pour venir à bout de cette pandémie. Et ici, nous disons haut et fort nous sommes disposés à y participer. Mieux nous sommes même demandeurs de cette coopération gage de bonne gestion des ressources en question pour que seuls les pauvres puissent en bénéficier.
La déclaration du président d’IRA Mauritanie, Biram Dah Abeid, traitant la Mauritanie de pays d’Apartheid a suscité une levée de boucliers. Il a subi des tirs croisés des proches du pouvoir mais aussi de ses détracteurs. Comprenez-vous ses réactions ? Les partagez-vous ?
Je pense que cette levée de boucliers est une preuve suffisante pour dire qu’il y a effectivement anguille sous roche... J’ai toujours pensé, avec constance et sans calcul politique qu’il y a bien un semblant d’Apartheid qui n’en dit pas le nom. C’est vrai que ce n’est pas un Apartheid réglementé, légiféré, déclaré. Mais il est tacite. Vous pouvez voir ses manifestations partout présentes dans les comportements de tous les jours, et ce depuis 1960. On les trouve dans le traitement sélectif des soumissionnaires, les recrutements militaires et prémilitaires surtout dans les corps des officiers, les promotions et nominations dans les postes de haute responsabilité, l’’attribution de toutes les sortes de licences ou agréments de banques et la liste est longue. Il y a discrimination même dans l’enseignement !
Ceci dit, ce n’est pas la première fois que ce sujet de discrimination et de racisme revient en surface. On en parlait dans les années quatre-vingt-dix. Certains l’appelaient racisme d’Etat. Et cela suscita à l’époque autant de colère que maintenant. Mais qui s’en offusqua ? Exactement les mêmes qu’aujourd’hui. C’est le système avec ses ramifications, ces sangsues qui sucent les victimes et tiennent à leur privilèges indus aux dépens de leurs prochains.
Peu importe cependant le qualificatif, encore moins le nom ! Il y a bel et bien inégalité criante et donc une véritable injustice sur la base de la race et de la naissance. Il y a bien un mal aux relents racistes qui exige une solution sans délai, une prise de décision juste. Face à cette situation de non-droits, il faudra un traitement de choc pour mettre fin aux dysfonctionnements structurels et multidimensionnels qui minent les rouages publics et privés de l’Etat. La solution n’est pas le déni. Loin s’en faut. La solution, c’est la reconnaissance et accepter de s’engager immédiatement dans une politique d’ouverture immédiate aux fins d’établir un équilibre au sommet de l’Etat de nature à rassurer chaque Mauritanienne et chaque Mauritanien et les convaincre du contraire de ce que nous disons.
Cette sortie remet sur le tapis la question de l’unité nationale que l’on rabâche tout le temps. Avez-vous le sentiment que le président Ghazwani est dans la disposition d’y apporter des solutions ?
J’ai beaucoup d’estime et de considération pour le président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani avec lequel j’ai discuté tout récemment. Je reconnais qu’il est plein de volonté. Il me semble aussi très sincère et honnête. Mais son défaut majeur c’est qu’il ne veut pas appeler un chat le chat. Il veut soigner un mal sans dire c’est quoi exactement ce mal ! Il y va par métaphores. L’expérience a montré, hélas que cela n’est pas payant tout comme LES GRANDES DECISIONS N’ONT JAMAIS ETE POPULAIRES ! Ainsi il doit oser …!
Et si on vous demandait de proposer des solutions à la problématique de l’unité nationale, que préconiseriez-vous ?
Alors je suggérerai les mesures suivantes:
- Régler définitivement la question du passif humanitaire et réparer les dégâts que continue à causer le racisme d'Etat dans notre pays; en organisant un débat national, en créant une commission vérité et réconciliation et en appelant au retour de tous les déportés mauritaniens encore en exil.
- Créer d’une véritable Agence Nationale pour l’Eradication de l’Esclavage dotée de moyens autonomes, directement rattachée à la Présidence avec un mandat clair et bien défini ;
- Proclamer une réforme du foncier agricole devant permettre aux victimes de l’esclavage d’accéder à la propriété de terres et mettre en place un fonds spécial aux fins de leur assurer une aide financière et technique ;
- Créer des commissariats pour la lutte contre l’esclavage chargés de traquer et débusquer les infractions à la loi criminalisant l’esclavage, loi N° 31/2015 ;
Une commission d’enquête parlementaire travaille depuis quelques mois sur la gestion de l’ancien président Aziz. Que pensez-vous d’abord de sa création, de son mandat et sa méthodologie de travail ?
l’idée est très bonne. Les dossiers à contrôler ne devaient pas être limités. Il fallait donner à la commission carte blanche d’enquêter sur tout ce qui a trait à cette décennie et qui soit suspect !
Ainsi faite, je ne pense pas que la commission apportera de grands résultats. Surtout que certains membres de ladite commission ne sont pas en odeur de sainteté ! Malgré tout cela, j’ai beaucoup d’estime et de considération pour Dane Ould Ethmane et le jeune député Ould Sidi Mouloud !
La question que l’opinion mauritanienne se pose est de savoir si la commission est suffisamment indépendante, si elle pourra éclairer l’opinion et si ses recommandations seront transmises à la justice. Et pour cause, les révélations de la Cour des Comptes, rendues publiques, il y a quelques mois dorment encore dans les tiroirs.
Tout cela est vrai. C’est d’ailleurs notre souci à nous tous ! Mais s’il y a une volonté politique de faciliter le travail de cette commission, le travail aboutira sûrement à des résultats qui peuvent être le début de quelque chose.
Pouvez-vous nous dresser succinctement des activités de votre Fondation depuis création ?
La Fondation Sahel pour la Défense des Droits de l’Homme, l’Appui à l’Education et à la Paix Sociale (agrément numéro 082 du 7 mars 2017) est née de la volonté de quelques militants chevronnés de la cause antiesclavagiste et pour la défense des droits humains qui. Après avoir expérimenté les méthodes d’agitation et de mobilisation sur le terrain des victimes de l’esclavage, nous en sommes arrivés à la conviction que, maintenant, il convient de passer à la vitesse supérieure et de changer de braquet.
La vitesse supérieure et le changement de braquet consisteront à s’attaquer aux racines du mal et à l’éradiquer. Pour la Fondation Sahel, les racines du mal sont symbolisées dans le maintien des fils et filles des victimes dans l’assujettissement, l’exclusion, la marginalisation et l’ignorance ; cette camisole de force que se transmettent des générations en générations et qui les briment en leur bouchant tout espoir de s’en sortir.
Les victimes de l’esclavage, de ses séquelles, de la discrimination raciale, l’exclusion sociale et celles de la marginalisation sont maintenant conscientes de leurs droits. Elles les revendiquent avec une impatience de plus en plus tenace risque, une fois méprisée ou ignorée, de mettre à mal la cohésion sociale et la paix civile dans notre pays.
Sans attendre une quelconque aide, notre Fondation a pu, sur ses propres moyens, scolariser, pour l’année scolaire en cours, plus de 700 enfants issus des milieux les plus défavorisés qui étaient destinés à la rue. Elle a initié à ces fins des campagnes de porte-à-porte de recherches et de rencontre avec leurs familles pour les identifier, résoudre leurs problèmes d’Etat-civil. Nous leur avons proposé des schémas éducatifs, du reste, nombreux et variés, allant des places accordés gracieusement par des écoles privées ou octroyées moyennant des frais de scolarité réduits ou bien aux parrainages par tierces personnes en passant par les écoles d’été, les cours de soutiens en faveur des écoliers en classes d’examen (BACCALAUREAT ET BREVET).
Propos recueillis par DL