La réforme de la justice: Un référent de légitimation sans contenu réel

13 March, 2025 - 03:17

Il serait naïf et illusoire de croire que nos gouvernants actuels veulent réellement instaurer une justice indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. L’histoire est là pour démontrer que la réforme de la justice est un référent de légitimation du pouvoir, une illusion entretenue par nos gouvernants pour asseoir leur pouvoir.  Cette perception s’explique par l’hostilité des régimes politiques successifs à toute restriction du champ d’action des détenteurs du pouvoir politique. Or l’idée d’un pouvoir judiciaire autonome implique nécessairement une limitation de leurs moyens d’action et d’influence sur l’appareil judiciaire.
L’évocation sans cesse de la réforme de la justice dans le discours politique des dirigeants relève plus d’une stratégie de légitimation du pouvoir politique plutôt que d’une réelle volonté d’instauration d’un système judiciaire indépendant et représentatif du peuple.
Ainsi, les recommandations issues des journées de concertation sur la justice, organisées en  octobre 2005 sous la première transition furent pour l’essentiel écartées au profit d’un projet réductionniste et centralisateur de la justice, comme l’attesta le projet de texte modificatif du statut de la magistrature élaboré par le ministre de la Justice de l’époque, maître Mahmoud Ould Bettah.
Le projet en question suscita une vive opposition parmi les jeunes magistrats qui y voyèrent une atteinte à leurs droits et une remise en cause des recommandations issues desdites rencontres.
Dans leur  combat contre le nouveau projet, les magistrats utilisèrent la démission  collective du corps judiciaire, comme moyen  de contestation du nouveau projet. Aussitôt, le ministre de la Justice provoqua une réunion urgente du Conseil Supérieur de la Magistrature le 7 avril 2007 pour accepter la démission de cinq magistrats et couper court au mouvement de contestation. Il s’agissait de: Moulaye Ély, Cheikh Baba Ahmed, Mohamed Oumar, Ahmed Isselmou et Mohamed Bouya Nahy.
Forts du soutien des journalistes indépendants, des intellectuels et d’hommes politiques, les magistrats contestataires continuèrent leur combat contre le nouveau statut de la magistrature adopté par le régime militaire.

 

Une même stratégie

Saisi de la question, le président  de la République, Sidi Ould Cheikh Abdellahi décida leur réintégration  au corps sur proposition de son ministre de la Justice, Limam Ould Teguedi et de son conseil juridique El Yezid Ould Yezid, mettant ainsi fin à l’injustice faite aux magistrats contestataires.
L’initiative prise par l’actuel ministre de la Justice Mohamed Mahmoud Ould Boye ne déroge pas à la tradition de méfiance qui, jusqu’ici a marqué la perception des régimes successifs vis à vis de l’indépendance du judiciaire. Elle s’inscrit dans la même stratégie: légitimer le pouvoir d’Etat et satisfaire l’exigence des partenaires financiers sans pour autant céder à la revendication interne d’une justice indépendante  et représentative du corps social.
Deux ans se sont écoulés après la remise du rapport de synthèse des journées de concertation sur la justice, sans qu’aucune mesure concrète ne soit prise dans le sens de la mise en application des recommandations des journées de concertation sur la justice, organisées au mois de février 2023. Dans un communiqué récent, le Club des juges a fait part de sa déception vis à vis des promesses de réformes sans cesse repoussées.

Mohamed Bouya Nahy

Ex-procureur de la République de Nouakchott