Dialogue politique en vue ?

12 March, 2025 - 04:16

Depuis 2019, après chaque sortie du président Mohamed Cheikh Ghazouani, le milieu politique « lave ses calebasses et attend », comme disaient nos grand-mères. À chaque fois, les contradictions entre les discours du Raïs et la réalité de la gouvernance du pays suscitent des doutes, des incompréhensions et des déceptions. À l’entame de son premier quinquennat, il s’était ouvert à l’opposition en instaurant un climat d'accalmie politique. Cette démarche fut largement acceptée, entretenant l'espoir de tourner la page d'une décennie d'étouffement et de mauvaise gouvernance, pour s’ouvrir à une nouvelle ère de promotion de notre démocratie. Cela conduisit à une démobilisation de l’opposition que le stratège du Palais parvint, comme par enchantement, à instrumentaliser. En effet, en contrepartie de cette accalmie qui lui a donné le temps de prendre en main les affaires de l'État, il a permis à une opposition chancelante de tirer profit du système, pour survivre politiquement et autres « petits à-côtés »... Baraka maraboutique ancestrale ou stratégie militaire de génie, il est ainsi parvenu à se tailler sur mesure une opposition qui ménage par intérêt son régime… tout en restant radicalisable au besoin. Une « vassalité circonstanciée » qui permet au pouvoir de lui ravir l’initiative, la contenir et exacerber ses divisions. On a compris trop tard que l’objectif visé par l’accalmie politique était de compromettre et déstabiliser l’opposition.

Aujourd'hui, le président appelle encore de tous ses vœux à un dialogue politique ; un vrai, dit-il, cette fois inclusif, où l’on aborderait toutes les questions sensibles et lancinantes. Malgré l'intérêt de telles discussions pour sortir le pays de sa dérive, il est légitime d’être sceptique sur leur opportunité actuelle. On se souvient de ce que le pouvoir en avait déjà interrompu un sine die, au premier quinquennat, unilatéralement et sans crier gare. Alors pourquoi en lance-t-il un nouveau au début du second mandat ? C’est dans la réponse à cette question que l'on doit chercher l'enjeu de cette rencontre que le pouvoir cherche à faire valoir comme une ouverture politique et qui risque d’être aussi minée que la précédente.

En réalité, même si l'on peut concéder au président Mohamed Cheikh Ghazouani la sincérité de ses engagements et de ses orientations progressistes, il n'en demeure pas moins vrai que sa présidence n’a été qu’une succession d’échecs, d’incompréhensions et de déceptions. Aujourd'hui, la désillusion et le désespoir sont tels qu’incrédules, les citoyens éprouvent le sentiment que le pays est présidé par une « délégation de l’autorité » présidentielle. Le fait que Mohamed Cheikh Ghazouani n'ait pas su ou pu imposer son autorité souveraine annonce une fin de règne incertaine et une succession à hauts risques. Dès lors, la hantise de subir le même sort que le régime de Mohamed ould Abdel Aziz le pousse à organiser un dialogue politique visant à établir une nouvelle accalmie, le temps de concocter un plan à même d’assurer une alternance du pouvoir plus sereine.

Pour réussir cette manœuvre, le régime mise paradoxalement plus sur l'opposition que sur sa majorité présidentielle, connue pour son opportunisme et ses retournements de veste. La seconde continuera à s’aligner docilement sur la politique du pouvoir, avec la même connivence et le même opportunisme, en attendant que se précise le projet d'alternance que proposera le régime. Ce qui lui importe, c’est surtout de bien se positionner dans la future majorité présidentielle, quelle qu'elle soit. Quant à l'opposition démocratique, elle ne manquera pas, à l'occasion de ce dialogue, d’étaler au grand jour sa faillite et ses égoïsmes sordides. Elle y participera en ordre dispersé, comme d’habitude, dans des postures revendicatives unilatérales. Chaque partie faisant cavalier seul, ne profitant de la nécessité de parvenir à un consensus que pour donner signe de vie et se faire valoir. L’émiettement de l’opposition et son incapacité à constituer des coalitions fiables et conséquentes sont des faiblesses structurelles que le pouvoir sait instrumentaliser pour la déstabiliser davantage.

 

Objectifs sous-tendus par le pouvoir 

La fidélisation de l'Assemblée nationale sera l’enjeu capital que le pouvoir s’efforcera cependant de camoufler, en faisant miroiter à l'opposition des élections anticipées, organisées consensuellement avec une CENI reconstituée. Mal préparée, l’opposition serait alors entraînée à une défaite fatale. Second objectif, l’effondrement du « semblant de démocratie » existant. Il s’agit ici d’avaliser le néo-monopartisme, en cassant l'unanimité sur la controverse relative à la nouvelle loi sur les partis politiques en faisant montre de flexibilité dans la régularisation de ceux qui sont légalisés. Tout ceci appuyé, en surface, par des résolutions consensuelles, vagues et formelles sur les problématiques de l'esclavage, du passif humanitaire, de la discrimination, de la gabegie et aux autres purulences en cours et dont les applications, très incertaines, seraient au mieux biaisées et taillées sur mesure.

Avec la faillite de la présidence de Mohamed Cheikh Ghazouani : accentuation de la mauvaise gouvernance, de la gabegie, de la discrimination, des replis identitaires, du recul des libertés et de la démocratie ; on ne peut objectivement que douter de la fiabilité d’un dialogue ainsi goupillé dont les protagonistes seront plus préoccupés par des calculs politiques égoïstes qu’à s’accorder sur l’instauration d’un État de droit viable. L’expérience et la prévoyance exigent de l'opposition plus de vigilance et de lucidité. Elle doit se démarquer résolument du système et oser une refondation basée sur un dialogue inter-oppositions. Son objectif prioritaire absolu devant être le changement du système presque quarantenaire devenu un véritable cancer politique pour le pays.

Le dialogue n'a d'intérêt, pour l'opposition, que s'il aboutit à soulager les Mauritaniens du joug de ce système qui les prend en otage ; sinon, à tout le moins, à faire bouger les lignes dans le sens du changement. Mais en se présentant à une rencontre avec le pouvoir sans s’être vigoureusement ressaisie, elle risque d’avaliser son coup de grâce : quelles que soient ses conclusions, elles ne seront pas appliquées par le régime actuel ni par la future version du système.

Mohamed Daoud Imigine