
Notice de signalement, janvier 2025
Le 27 janvier en soirée, à la sortie d’un débat sur la chaîne de télévision TTV, où les invités commentaient l’actualité de la gouvernance et le discours du Premier ministre devant le Parlement, le journaliste Hanevi ould Dehah, a été victime d’une agression.Deux individus l’attendaient au parc de stationnement, en dehors du bâtiment. A la suite d’une interpellation de leur part, il s’avança vers eux, croyant qu’il s’agissait des solliciteurs habituels. Sans autre forme de sommation, le plus clair de peau, manifestement un jeune bidhani (Maure arabo-berbère) lui asséna, au visage, un coup de tête dont résulta, aux lèvres, un épanchement de sang qui évolua vite en hémorragie. De dos, le second assaillant, décrit comme hartani (descendant d’esclave), lui porta, à la nuque, une commotion énergique qui lui fit perdre connaissance, durant quelques minutes. Les deux, après l’avoir agoni d’injures et de menaces de mort d’ailleurs filmées, repartirent à bord de leur véhicule, sans chercher à se dissimuler. La totalité de la scène figure sur les bandes de vidéosurveillance, désormais aux mains de la justice.
Hanevi Ould Dehahse trouve toujours en observation dans une clinique de Nouakchott. Seul l’agresseur principal, Zeine ElAbidine ould Sadava Ould Cheikh Ahmed, entrepreneur de son état, sera interpelé par la police. Les agents lui permirent - occurrence rare - de se changer chez lui avant le début de la garde-à-vue, au commissariat 2 de Tevragh Zeina, commune résidentielle de la capitale. En détention, il bénéficie d’un traitement de faveur et y reçoit les félicitations de ses partisans. Des hommes en uniformes plaisantent avec lui. L’identité du complice n’est pas encore connue. A l’attention du lecteur profane, Il importe de rappeler, l’usage, chez les nobles Maures d’antan, qui consiste à se faire « assister » d’un serviteur, au moment d’infliger une humiliation à un individu d’extraction libre.
Le fond du contentieux met en lumière des allégations de détournements de fonds destinés au financement public du projet d’extension du Port autonome Nouadhibou par lequel transite le gros des exportations de minerais et de produits halieutiques. Parmi les fonctionnaires maintes fois indexés sous la plume acerbe de Hanevi ould Dehah, figure le nouvel ambassadeur de Mauritanie au Sénégal, Mohamed Aly ould Sidi Mohamed, à l’époque Président de l’Autorité de la zone franche de Nouadhibou. Au titre des fournisseurs régulièrement mis en cause selon les investigations de TTV et du journal en ligne Taqadomy, reviennent les noms de Zeine Elabidine et de son père Saddava ould Cheikh Ahmed. Les deux bénéficieraient de protections solides au sommet de l’Etat, notamment en vertu des alliances tribales qui accompagnent et compliquent l’exercice du pouvoir, après l’avènement des régimes militaires et de leurs avatars civils, dès 1978.
La rumeur persistante impute, l’audace et la violence du geste, à la permanence de l’impunité dont jouissent, en Mauritanie, les agents de l’Etat, auteurs d’atteintes à l’intégrité des citoyens et des étrangers. Malgré la lourdeur du passif en matière de torture et de tueries -souvent visée raciste - le pays n’a jamais jugé un tortionnaire au sein des forces de défense et de sécurité.
Néanmoins, il convient de le souligner, l’intimidation des journalistes et la contrainte physique à leur endroit ne relèvent pas d’une volonté des actuelles instances de l’Exécutif mais plutôt de rivalités et de conflits, d’ordre privé, dans une société où l’anarchie et le tribalisme s’enracinent. Sous couvert de permissivité et d’une tolérance de façade, les institutions jouent de moins en moins leur rôle de régulation tandis que le droit se réduit à l’affichage. Il en découle l’effritement accéléré de la cohésion et la débâcle de la paix civile.
La mésaventure de Hanevi Ould Dehah témoigne, à présent, du risque de dénoncer la corruption et atteste, en conséquence, de la faillite multidimensionnelle de la République islamique de Mauritanie. Il n’est même pasacquis qu’un tel déclin soit le produit d’une délibération. La médiocratie ayant définitivement pris le contrôle de l’Etat, le laisser-aller, le laxisme et l’irresponsabilité prévalent et se banalisent.
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