Passions d’un engagement (45): Teichtayatt: La punition collective(5) Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

14 January, 2025 - 14:32

Quand le champ de bataille se déplace dans le champ agricole(1)
J’ai rappelé une fois que la première campagne agricole dans notre périmètre du lac Rkiz entreprise par nos parents connue par notre groupe d’âge fut celle de 1961. Depuis lors leurs campagnes agricoles se succèdent sans discontinuer jusqu’à même au-delà de la fin du siècle dernier.
 

Des facteurs défavorables à l’agriculture
L’activité agricole s’arrêtera sous l’effet de la conjugaison de nombreux facteurs dont: la fréquence des cycles de sécheresse, le vieillissement de la classe laborieuse en plus de la disparition de nombreuses personnes parmi elles, ainsi que l’occupation des nouvelles générations dans des activités professionnelles modernes, la fonction publique notamment.
Notre périmètre agricole couvre à peine 3 kilomètres carrés. Son origine remonte au début des années 20 du 20e siècle lorsque le cadi de Mederdra pour mettre en terme aux frictions entre agriculteurs fut chargé par l’administration coloniale d’un découpage de l’ensemble de la cuvette du lac Rkiz entre les agriculteurs présents sur le terrain (et aux noms de leurs tribus respectives). Nos parents en avaient profité puisqu’ils s’adonnaient déjà à cette activité sur un périmètre correspondant à l’espace couvert par un incendie allumé quelque temps auparavant par Ahbeyib Ould Ahmed Salem, un frère aîné du grand père Elbou et visant le défrichement d’un grand espace pour un besoin agricole.

L’acharnement des forces du mal
Les forces du mal s’étaient aussi intéressées à ce domaine pour nous donner du fil à retordre.
Dans les années 80 du 20e siècle, notre périmètre agricole fut considéré parmi les meilleurs et au meilleur rendement. La société d’Etat SONADER, chargée de l’encadrement des agriculteurs. avait construit chez nous la plus grande banque de céréales de tout le périmètre du lac Rkiz.
Parallèlement à leurs efforts visant la destruction de notre école, les forces du mal entreprirent en même temps une action continue de harcèlement sur nos parents cherchant à les déposséder de leurs champs agricoles.
 

La manipulation des faux agriculteurs
Une fois en 1993, j’étais informé d’une réunion suspecte en préparation à Rkiz-ville. Arrivé sur le lieu en pleine nuit, j’apprends qu’à cause des moustiques, la réunion a été déplacée en brousse. Je passe la nuit dans une moustiquaire qui était réservée à Banou, un ex-diplomate, l’un des principaux initiateurs de la réunion. J’apprends aussi que la réunion programmée ne me concernait point du moment que seuls les supposés teints clairs y étaient conviés. Ceux qui se gavaient de l’illusion d’être les seuls ayants droit à posséder des terrains agricoles au niveau de tout l’espace du lac Rkiz.
 

Comment détricoter l’action néfaste des forces du mal
Peu de temps après, je fus surpris par la visite du maire de Tékane, Alioune Ould Ewbek, un notable de la grande collectivité Oulad Aid. Quelques frictions nous avaient opposés auparavant durant des campagnes électorales. Il était accompagné par deux autres notables de chez lui: Lebatt Ould Cheddad, un cousin à lui et un Oulad Aid de souche non haratine appartenant aux rares familles d’origine maure blanche Oulad Aid. Alioune m’apprend que c’était ce dernier qui l’a mis au courant de la réunion puisque ses organisateurs l’avaient informé considérant son statut d’origine maure blanc, maure “pur-sang” dans l’esprit noir opaque des organisateurs.
Immédiatement, je décidai de m’ouvrir à 180 degrés à Alioune et ses compagnons. Je l’ai rassuré. Notre exclusion par les autres nous condamne à agir ensemble. Avant de dormir, on avait conclu un accord: sur ma demande Alioune s’engage à suivre scrupuleusement mes pas dans ma tactique de démantèlement de l’échafaudage construit par ceux qui s’acharnaient à être nos adversaires. De grands noms de grandes familles portés par des personnages d’apparence VIP, alors qu’en réalité ils n’étaient que « des tigres en papiers » pour reprendre une vieille formule d’antan, expliquais-je à Alioune.
 

L’irruption des indésirables
Le lendemain, après un retard bien calculé, on se présenta aux bureaux de la mairie, lieu choisi pour la réunion avec la délégation de la SONADER. On trouva devant l’enceinte de la mairie un attroupement de personnes non désirées à la réunion dont une dizaine de gens de Teichtayatt.
Le père Elmoctar en faisait partie. Ils ont accepté de rentrer en même temps que nous dans la salle de réunion. Elle était pleine à craquer. Notre irruption les avait tous surpris. Ils n’arrivaient pas à dissimuler leur gêne pour ne pas dire leur panique.
Plusieurs se levèrent. Ils lâchèrent spontanément : « marhaba le maire Alioune! », le premier rentrant. Puis: « marhaba Cheddad! »…
L’un d’eux offrit son siège à Alioune. Mouhamedou, le maire adjoint, le président de séance, mon compagnon avant dans la campagne électorale de Rkiz, s’élèva et m’invita à prendre place dans son fauteuil. Ce que j’ai accepté volontiers.

Éliminer les mauvaises cartes une à une
La réunion prépare une rencontre avec la délégation de la SONADER. Notre arrivée dérange leur programme de fond en comble. Il fallait chercher une formule intelligente qui pourrait m’exclure moi particulièrement de la suite. Quelqu’un découvrit l’astuce recherchée : « pour alléger », disait-il, « désignons une commission composée uniquement des chefs de tribus et des maires des communes ». Tribus et chefs de tribus, un langage bien coté ici, dans cette assemblée de nostalgiques d’un temps irrémédiablement condamné.
Puis on passa  à la désignation de la commission. «Mohamed Ould Cheikh Elhassen, chef de tribu… », Probablement le doyen d’âge de l’assemblée présente, un ancien interprète, connu pour sa sagesse et sa droiture. Puis: « Banou…, maire et chef de la tribu telle…». J’intervins aussitôt, m’adressant au maire adjoint qui lisait la proposition : « s’il vous plait ajoutez Cheddad ». Manifestement dérangé celui-ci me répondit: Svp Cheddad vous nous laissez continuer dans le calme! ». Et Banou de le couper: «laiss- le représenter la tribu à ma place ». Je le remercie pour sa proposition en ma faveur, puis j’ajoute que je ne peux pas représenter une tribu qui ne m’a pas délégué pour la représenter.
 

L’addition discontinue
Banou, qui tenait à calmer le jeu, propose de maintenir mon nom avec le sien dans la représentativité tribale. Ce qui n’arrange pas les autres. Chaque tribu demande à ce qu’on lui ajoute un deuxième représentant. Même le cousin de Banou feu Ahmedou Yahya demande qu’on lui ajoute un notable de nos parents Aznavir, le seul teint non clair présent avant notre irruption. Moi aussi j’exige en conséquence l’ajout du nom du père Elmoctar. « Elmoctar qui est-ce? » demanda  quelqu’un. Et Ahmedou Yahya, tremblant de colère de lui répondre : «Toujours le père et son fils!». J’ai encaissé. J’attends mon occasion qui ne va pas trop tarder à venir. Alioune à son tour demande qu’on le seconde par son compagnon Lebatt. « Lebatt Ould…? », demande le président de séance. « Lebatt Ould Cheddad », répond Alioune. Et le tiraillement entre Toto et Tata continue: « qui est encore ce Cheddad ?! », s’enquiert un autre. Je me presse de répondre en pointant du doigt Lebatt Ould Cheddad, un sage homme de grande taille manifestement plus âgé que moi: « il s’agit ici de notre petit », expliquai- je calmement.
La salle éclata de rire sauf mes deux « couses » au teint absolument clair.

La victoire de la raison
Entre-temps la délégation de la SONADER entra. La séance est officiellement ouverte. Les participants à la réunion de la veille hors de la ville étaient d’accord sur un seul point : refuser catégoriquement toute forme de mise en valeur au lac Rkiz. Durant plusieurs heures, Alioune et moi on était les seuls à soutenir la délégation de la SONADER dans ses efforts de faire accepter à l’honorable assemblée manipulée par des faux agriculteurs leur programme de mise en valeur.
A court d’arguments, les récalcitrants tombèrent un à un. Plus aucune opposition à la mise en valeur. Une lettre devrait être rédigée au nom des agriculteurs de Rkiz demandant la mise en valeur de toute la surface du lac Rkiz. Banou s’était proposé de rédiger le projet de lettre avec ses amis durant la pause déjeuner. Nous avons décidé, Alioune et moi, de les rejoindre pour éviter toute mauvaise insinuation. En réalité, on finit par me charger de rédiger l’ensemble du projet de lettre. Projet qui sera approuvé par l’assemblée générale dans l’après-midi. Un mini
congrès se tiendra à Rosso quelques mois après. Il sera chargé d’approuver un cahier de charges sur la mise en valeur du lac Rkiz
 

(À suivre)