Une certaine revanche silencieuse
Le lendemain, j’avais aperçu Monsieur le fameux Professeur en aparté avec un avocat aux beaux yeux de hibou, chargé de cours lui aussi à l’université de Jleifti. Tous les deux regardaient dans ma direction. Tout indiquait que monsieur le docteur s’informait auprès de son collègue sur mon identité « politique » ou « idéologique » ou probablement tribale ou les trois à la fois. Depuis lors, sachant que tout était perdu pour moi, je ne cessais de poser librement mes questions-colle au Docteur. Il se gênait beaucoup de mes questions. Raison pour laquelle je persistais à les poser à chaque fois que l’occasion se
présentait et même au-delà.
Changement d’option d’étude
En réalité, malgré ma rupture organisationnelle avec mes amis du MND, je demeurais toujours fidèle à une certaine attitude de principe vis-à-vis des questions majeures d’intérêt culturel ou idéologique. Cette conduite a précédé mon engagement politique. Après un redoublement en première année d’économie, redoublement cyniquement bien orchestré, je me suis inscrit dans la section d’anglais à la faculté de Lettres. En dépit d’obstructions manifestes, j’ai réussi à escalader les quatre marches des quatre années programmées pour la maitrise sans pour autant obtenir le fameux diplôme.
De nouvelles embûches sur un chemin déjà difficile
Deux obstacles vont se dresser devant moi pour empêcher une telle consécration. Le premier serait l’arrivée en troisième année, si mes souvenirs sont bons, d’un bout d’homme, professeur de son état, proche parent de détracteurs locaux bien connus. Le deuxième obstacle fut le choix de mon sujet de mémoire: « La lutte des noirs américains pour l’égalité ».
Pour moi, le choix d’un tel sujet fut dicté d’abord par la nécessité de mieux approfondir l’histoire des USA à travers la traite négrière. Ensuite, il n’était pas exclu que d’une façon plus ou moins consciente, le contexte socioculturel mauritanien, déjà en ce moment si sensible à ce genre de questions, ait influencé mon choix. Certains me conseillèrent de changer de sujet de mémoire. Ce que j’avais royalement (ou naïvement) refusé.
Un Islamo-nationalisme chauvin
Ajouter à ces deux obstacles, d’autres de moindre importance. Le corps professoral de ce début d’université de Jleifti fut fortement influencé par le nationalisme arabe. Ce courant idéologique fut fondé, parallèlement aux fondateurs du parti « Baath », par le président égyptien Nasser, un homme connu pourtant pour son ouverture et sa grande contribution à la naissance du panafricanisme des années 50. Ses courageuses réformes des années 1950, comme la nationalisation du canal de Suez et la mise en échec de l’agression tripartite impérialiste en 1956, lui avaient donné une grande audience en Afrique et partout dans le monde d’après-guerre.
Malheureusement, en Mauritanie, les adeptes du courant nationaliste arabe lui imprimèrent un relent raciste manifeste à l’égard de nos communautés non arabes, relent doublé d’une négligence manifeste des questions d’ordre social. Les fortes purges scolaires dont on avait été victime la décennie précédente, avaient beaucoup réduit la présence d’enseignants aux idées ouvertes et éclairées parmi le corps des enseignants qui dispensaient des cours dans les deux premières facultés de l’université de Jleifti.
Des cours magistraux sans magister
Les autres courants de pensées, particulièrement les nationalistes arabes, nasséristes et baathistes, furent épargnés pour l’essentiel par lesdites purges. Généralement, ils se dérobaient aux grèves, les grèves scolaires notamment, pour ne pas s’exposer au renvoi. Ils en avaient profité pour la plupart pour réussir leur enseignement supérieur. Dans leurs cours, ils ne cessaient d’exprimer d’une façon ou d’une autre leurs idées teintées de nationalisme chauvin et obscurantiste.
Les devoirs, mêmes ceux relatifs au cours d’anglais étaient conçus de telle façon de vanter la grandeur et l’histoire de la civilisation arabe. Gare aux étudiants qui ne faisaient pas ressortir l’invincibilité de la « nation arabe, du « Golfe jusqu’à l’Atlantique », expression qui leur été si chère. Je n’ai jamais cédé à une telle pression morale. Dans mes copies d’examen ou de devoirs, je n’ai cessé de réaffirmer comme eux combien était immense la contribution des civilisations arabo-islamiques à la civilisation universelle.
Des thèses de valeur toujours d’actualité
En même temps, j’avais toujours mis l’accent sur l’intérêt pour les arabes et les musulmans de confirmer ce passé si glorieux par une plus grande présence dans les affaires et le progrès du monde contemporain. Mes devoirs pareils furent souvent notés par les plus faibles notes. Je me souviens de quelques-uns d’entre eux que je considérais comme des thèses de grande qualité, émargées par une note du genre 6 ou 7 sur 20. Pourtant certains de mes professeurs affichaient une piété sans bornes. Ils ne cessaient de nous recommander de toujours se conduire avec justice et droiture, « exactement comme se comportait le prophète Mohamed (PSSL) », insistaient-ils. La morale religieuse prenait une bonne partie de leurs cours. Ils oubliaient tout au moment des corrections des devoirs des élèves les plus innocents, les moins protégés, souvent ceux parmi nous au teint sombre et qui comptaient souvent parmi les plus brillants.
(À suivre)