C’est encore une fois au nom du seul droit féodal, alors que la Chari’a et le Droit moderne s’entendent sur la propriété exclusive de l’Etat sur les richesses du sous-sol, que les Aghzazirs, extracteurs immémoriaux du sel de la Sebkha d’Idjil, de générations en générations, sont obligés, par certaines autorités judiciaires et administratives de la wilaya du Tiris Zemmour, de parapher un acte établi par des tiers, leur imposant de payer tribut, prélevé à l’avance, pour être autoriser à exploiter les salines. Travailleurs ou esclaves ? De fait, l’acte en question n’a pas plus de justification légale que morale. Il est même en contradiction formelle avec la loi constitutionnelle n°2012-015 portant révision de la Constitution du 20 juillet 1991 qui stipule, en son article 13 : « Nul ne peut être réduit en esclavage ou à toute forme d’asservissement de l’être humain, ni soumis à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces pratiques constituent des crimes contre l’Humanité et sont punis comme tels par la loi ».
Expulsés de leurs huttes depuis trois semaines, les Aghzazirs refusent cette filouterie. La situation ne saurait que dégrader davantage le climat social et porter préjudice à des citoyens qui travaillent dans des conditions extrêmes, dans le seul but de soutenir, dans la dignité, leurs familles. Ces honnêtes hommes n’ont jamais versé tribut (Legrama) ; ils ont été et sont toujours les seuls spécialistes autorisés à extraire le sel gemme de la Sebkha d’Idjil, avec la reconnaissance et la bénédiction de toutes les autorités qui se sont succédé dans ce pays, depuis des siècles. Ces sauniers, seuls habilités à désigner gérant de la Sebkha, l’exploitaient à leur convenance et pouvaient, à leur guise, vendre ou donner le sel, fruit de leur rude labeur.
C’est vers l’an 1200 que débuta l’exploitation de la Sebkha d’Idjil. En l’an 1660, mourut l’ancêtre des Aghzazirs à Amogjar (Garvet Aghzazirs), alors qu’il transportait le sel vers le Mali, un siècle et demi avant la naissance de Hamod dont certains de ses fils se prétendent, aujourd’hui, propriétaires de la Sebkha, s’en autoproclament gérants, sans le consentement de quiconque, et imposent leur autocratie. L’administration coloniale préserva le droit d’exploitation des Aghzazirs, ainsi que d’autres droits saisis sur les caravaniers : un nevga de mil, deux amas de fagots et une outre d’eau, par tête de chameau.
En 1958, les camions des établissements Lacombe revenant du Nord par la route impériale (Dakhla-Rosso) se présentèrent en nouveaux clients pour transporter les barres de sel. Chacun d’eux versait, aux Aghzazirs, 2,50 FCFA par barre de sel chargé, perpétuant leurs droits sur les caravaniers. Le prix de la barre de sel, qui pesait 25 kilos environ, était de 25 FCFA, répartis comme suit. Sauniers (Aghzazirs) : 20 FCFA, soit 80 % ; administration coloniale : 5 FCFA, soit 20 %. Les Aghzazirs cédaient les 2,50 FCFA par barre représentant leurs droits sur les caravaniers, à Mohamed Salem ould Boulla qui leur assurait, en retour, la nourriture, le transport, la vente, les soins et toute la logistique relative à l’exploitation et cela jusqu’à sa mort (Allah yarehmou).
Après le décès de Mohamed Salem ould Boulla, c’est à l’unanimité que les Aghzazirs confièrent la gérance à Mohamed ould Boulla, fils aîné du défunt. Une décision qui relevait de leurs seules compétences comme depuis toujours, ainsi qu’en témoignent un grand nombre de faits incontestables. Feu Mohamed Salem ould Boulla avait été ainsi désigné, en 1958, par les Aghzazirs, représenté par feu Mohamed Salem ould Salem ould Othmane, en présence de l’administration coloniale et de l’Emir de l’Adrar, alors qu’un notable de F’dérick, appuyé par les colons, voulait s’approprier les salines et y faire travailler des non-Aghzazirs – et c’est cette prétention qui est précisément reprise par Ehl Hamod. En 1945, Lelle ould Saleck El Mokhtar avait été désigné par les Aghzazirs (voir l’acte d’achat passé entre les Aghzazirs, les Torchanes, Lehmenat, Laghlal, Idawali, et Oulad Billa) ; tout comme Sid’Ahmed ould Boïdiya (voir l’acte de vente de cent barres de sel aux Idawali de Chinguetti, avec un commun accord de déposer quinze barres à Kseir Torchane, quinze à MBarka Oumar (à côté de l’Ecole fédérale) et quinze à Chinguetti). Plus loin encore, vers 1870, Sid’Ahmed ould M’Hahmed Othmane fut désigné par les Aghzazirs à Ouadane et Chinguetti (cf. Archives Chinguetti, message télégraphique).
En 1970, la région de l’Adrar et du Tiris Zemmour confirmèrent répartition et procédure suivies, sans que jamais personne ne la conteste. Avec l’avènement des communes en 1986, le conseil municipal de F’dérick les confirma à nouveau, par délibération et sans plus d’objection. Mais tout change en 2008. Une ordonnance du juge de Zouérate entend soudain imposer, aux Aghzazirs, de réserver 30 % des fruits de leur labeur, prélevés à l’avance, à Ehl Lahah, Ehl Sidaty, Ehl Mohamed Lemine, Ehl Cheikh et Ehl Choumad. Suite à l’appel des Aghzazirs, cet avis est rejeté par l’ordonnance n° 07/09, en date du 24/02/2009, de la Cour suprême. Celle-ci confirme que l’Etat est le propriétaire exclusif de la Sebkha d’Idjil ; qu’il s’est désengagé d’une partie [de l’exploitation] au bénéfice des sauniers [Aghzazirs qui] doivent être rétablis sur leur lieu de travail et ne payer que la taxe municipale. Cette taxe ne doit en aucun cas être modifiée, en plus ni en moins, par rapport à ce qu’elle était auparavant. »
Mais la partie adverse refuse ce verdict. En 2010, une ordonnance sans numéro du tribunal de F’dérick, émanant d’un juge désigné à cet effet, stipule qu’il ne reconnaît pas les ordonnances de la Cour suprême et fait saisir tout le sel des Aghzazirs se trouvant dans la digue de protection aux abords des salines, en demandant l’application de l’ordonnance de 2008. En 2013, la Cour suprême, toutes chambres réunies, retourne l’affaire au président du Tribunal de F’derick, en exigeant la stricte application de l’ordonnance n°07/09 du 24/02/2009. Depuis, tout semble bloqué. Mais dans le pire des sens : la spoliation de nos droits, concrète à défaut d’être légale.
Cette situation, aussi surprenante, inattendue que déconcertante, oblige les Aghzazirs à demander, au président de la République, de donner instructions aux autorités compétentes de mettre fin à ces pratiques infâmes, exercées contre des honnêtes citoyens. Par vos paroles lors de votre investiture devant le peuple Mauritanien vous vous êtes engagé, monsieur le Président, à combattre les injustices, les inégalités de toutes sortes, ainsi que leurs effets pervers. L’actuelle situation de la Sebkha d’Idjil est une des plus évidentes illustrations de ces exploitations éhontées de la sueur du peuple. Vous ne pouvez assurément pas l’admettre. En l’attente d’une prise en compte de nos préoccupations et convaincus de l’intérêt que vous portez à la justice, au respect du droit du citoyen et à sa dignité, nous demeurons convaincus que cette demande retiendra votre attention et que vous lui réservez la suite adéquate
Ould Salem ould Othmane