Si j’étais « Ghazouani».

30 January, 2020 - 00:07

Pas de doute. Votre silence fait parler. Certains l’ont même érigé en marqueur de votre gouvernance. D’autres, en style de communication! Il est vrai que l’empathie silencieuse de votre Premier ministre, aux côtés d’un père effondré, fut, en matière de communication, un modèle du genre. C’était à l’occasion de la tragédie de Dar Naïm. Dans un autre registre, le choix des membres de votre équipe et la place accordée à des profils de technocrates semblent signer le primat du faire sur le dire. Prudence tout de même car « en politique, le savoir technique n’est pas tout ». Mais ce ne sont là qu’interprétations. Si votre objectif était d’entretenir le mystère, c’estréussi. Ce n’est pas à vous qu’un éditorialiste inspiré aurait ordonné: «Taisez-vous pour le bien de notre pays ». Et pas seulement parce qu’on ne donne pas des ordres à un président en exercice, doublé d’un ancien soldat de surcroît.

Le constat est largement partagé. Vous n’êtes pas de l’espèce des gouvernants bavards. Du moins pour l’instant. Reste à savoir pourquoi. Réserve, culte de l’action… ou déficit d’assurance Les plus dubitatifs s’interrogeaient déjà. Puis advint votre plutôt rassurant discours de Dakar de novembre dernier à l’occasion du Forum International sur la Paix et la Sécurité. Eh oui. Vous aussi, avez votre «Discours de Dakar».

On vous le concède, il y a des avantages au silence. Partant du principe qu’«en politique, dire c’est faire », l’incontinence verbale est souvent perçue a contrario comme un palliatif à l’inertie. Plutôt que parler, il vaudrait mieux agir entend-on souvent. Vous connaissez la pique d’un dirigeant politique à un adversaire : «Vous vous contentez de gérer le ministère de la parole ». Dans le même ordre d’idées, il a été reproché récemment à votre prédécesseur d’avoir trop parlé. Et trop tôt. Justement. On vous attendait beaucoup sur la nature de votre relation avec votre « ami de quarante ans ». Ce dernier y a désormais répondu à sa façon. Vous aussi, mais différemment. Le silence est paré de multiples vertus. C’est à l’action que l’on mesure la réalisation d’une promesse verbale. Un homme silencieux en impose spontanément et donne moins de prise à la riposte. On prête habituellement aux taiseux plus d’intentions et de puissance qu’ils n’en ont. « Silencieux comme peut l’être la menace ». Ou le mystère.

 Arrive fatalement un moment où on touche aux limites de l’exercice. Ce qui constituait un atout se mue alors en fragilité.

Nous voilà à près de six mois de votre investiture. Le temps passant, votre silence est devenu énigmatique. On a beau considérer que « la parole publique est une langue morte », le bon peuple en a besoin de temps à autre comme d’une boussole. Chez nous, plus qu’ ailleurs, le pouvoir est à ce point associé à la parole qu’on a du mal à imaginer son détenteur trop économe de son verbe.

Il n’y a pas loin du silence au mutisme. Vous n’aurez pas, on l’imagine, attendu ces lignes pour savoir que sur certains sujets, un silence prolongé nourrit le scepticisme et l’inquiétude. L’on peine à connaître votre position au sujet de l’héritage politique que vous gérez et plus généralement du système auquel l’honnêteté commande de dire que vous n’avez pas été extérieur. Il y a des préoccupations et des gages qui ne sauraient attendre. La cohésion nationale, plus que jamais mise à mal, est de celles-là. Sans être exclusive, elle est une priorité dans la mesure où elle conditionne le reste. Le cap en ce domaine essentiel doit être fixé par le capitaine et par lui seul. Le reste relève de la gestion quotidienne. « L’intendance suivra ».  Vos collaborateurs y veilleront. S’agissant tout particulièrement des multiples entraves à l’unité nationale, n’écoutez surtout pas ceux qui vous chuchoteront à l’oreille : «il est urgent d’attendre ».  Si « on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment», « on » y a intérêt quelquefois. « En politique, dire c’est faire ». Votre statut actuel est une étape de votre parcours. Et quelle étape ! Vous en avez donc vu d’autres. Vous vous souvenez probablement de l’impact du discours de juin 2007 et de l’espoir qu’il suscita. Il fut prononcé par un de vos lointains prédécesseurs qui n’eut pas  le temps de faire.

T.B.