Le feuilleton du contrôle de l’UPR ou du « duel au sommet », entre l’ex-président la République et son successeur, ne cesse de tenir en haleine les Mauritaniens, depuis que le premier a remis les pieds à Nouakchott, reléguant presque au second plan les festivités de l’Indépendance dont le nouveau locataire du Palais s’est vu obligé de modifier le programme. Beaucoup de bruits et de rumeurs, à tel point que certains observateurs en viennent à se demander si tout cela ne serait que faux- semblant, écran, pour ne pas dire comédie. À quelles fins ? Les deux acteurs poursuivent leur passe d’armes, sans qu’on ne puisse comprendre quand et comment interviendra l’épilogue. Tout le monde s’accorde, pour l’heure, à reconnaître que le successeur a remporté la première manche. Mais a-t-il gagné la bataille ?
Principal enjeu apparent entre les deux amis, l’UPR a quasiment (définitivement ?) basculé, avec armes et bagages, du côté de Ghazwani. Toutes les structures de ce parti l’ont reconnu comme unique référence. Seuls deux de ses hautes personnalités – Boydiel Ould Houmeid, son vice-président, et le président de son directoire provisoire, coopté le 2 Mars dernier, Seyidna Ali Mohamed Khouna, pourtant réputé très proche de Ghazwani, continuent à s’activer du côté de l’ex-chef de l’État. Ils joueraient même les médiateurs entre les deux hommes en « conflit ». Curieux, tout de même, d’affirmer, tour à tour, qu’Ould Abdel Aziz reste la référence du parti puisqu’il en est le fondateur et que la fonction de président de la République – qu’il occupait bel et bien lorsqu’il entreprit cette fondation – est incompatible avec la présidence d’un parti politique… Président de la République-fondateur de parti dont il deviendrait « forcément » président, une fois devenu ex-président de la République ? Ben voyons…
Situation ‘’sous contrôle’’
Aujourd’hui, on se demande comment les deux camps passeront le prochain congrès prévu, par les partisans de Ghazwani, le 28 et 29 Décembre et dont Ould Abdel Aziz demande le report en Février prochain. À ces divergences de positionnement est venu se greffer le limogeage du commandant du groupement de la sécurité présidentielle (GSP, anciennement BASEP) et de son adjoint, en pleine festivités de l’Indépendance. Une décision qualifiée de « mesure routinière » par le ministre de la Défense et le président de la République lui-même, mais difficilement compréhensible pour le commun des Mauritaniens : même si l’on admet que tout nouveau président doit se choisir ses hommes de confiance, le moment n’est guère paru adéquat…
Les Mauritaniens n’y ont donc rien compris. Pis, la sortie du Président dans le journal français « Le Monde » les a déroutés. Ghazwani s’est évertué à banaliser ce qui s’est passé, rejetant sur les médias la responsabilité d’exagérer les faits. Qu’on nous dise, alors, ce qui s’est réellement passé. Le commandant du BASEP aurait été relevé de ses fonctions pour avoir communiqué avec l’ex-président de la République. Que se sont-ils dits ? Mystère. Les rumeurs et les déclarations du ministre de la Défense, le général Hanena, laissent perplexe. L’ex-commandant des forces du G5 Sahel a déclaré que la situation était « sous contrôle » : est-ce à suggérer qu’elle avait failli échapper ?
Ensuite, qu’on nous dise pourquoi, 3 mois, après avoir passé le témoin à son ami et alter ego, Ould Abdel Aziz revient-il disputer le leadership de l’UPR, plongeant le pays dans une espèce de tension au sommet de l’État ? La question : « Que s’est-il passé entre votre ami et vous-même ? » ; qu’aurait posée à celui-là la présidente de la commission nationale des femmes UPR reste pertinente. Compte tenu des rapports que ces deux amis ont entretenus pendant quarante ans, la cause de tout cela doit être « profonde », croit savoir le président de l’APP, Messaoud ould Boulkheir, dans sa récente interview au Calame.
L’une des raisons avancées, pour expliquer la guéguerre entre l’ex et le nouveau Président, serait que le gouvernement mauritanien s’apprêterait à auditer, comme l’ont réclamé certains partis politiques de l’opposition mais, aussi, des députés à l’Assemblée nationale. Jeudi dernier, un groupe de ceux-ci ont déposé une demande pour la formation d’une commission d’enquête sur certains dossiers, comme ceux relatifs au secteur de l’énergie (SOMELEC), des mines (SNIM), au fonds destiné aux générations futures, à la pêche (Polyhondong), au patrimoine foncier et agricole…
Des dossiers où seraient impliqués des proches et confidents de l’ex-Président. Selon diverses sources, ladite demande se heurte à l’opposition d’autres députés estimant qu’Ould Abdel Aziz ne serait pas le seul gabégiste de la République et qu’il existe d’autres dossiers tout aussi épineux que les détournements de fonds : le passif humanitaire et la loi d’amnistie qui le couvre depuis 93, par exemple. Une députée a d’ailleurs réclamé la constitution d’une autre commission en vue d’abroger cette loi et d’enquêter sur ce qui s’est passé durant les années 89-90. Ces contestataires pensent également à l’assassinat de l’ancien chef d’état-major des armées, le colonel N’Diaye, lors de tentative de coup de force de 2003…
Ces divergences, pour ne pas dire gesticulations, au sommet, le silence qui les entoure, la manière dont elles sont gérées interrogent les Mauritaniens qui peinent à les cerner et imaginer leur épilogue. Où les deux amis vont-ils mener le pays ? Ne sont-ils pas en train de se jouer du peuple ? Auraient-ils concocté un deal sur son dos ? L’origine de toutes ces confusions ne se trouve-t-elle pas dans la façon dont le témoin a été passé entre les deux hommes ? Autant de questions troublantes, à l’heure où le pays attend des réponses claires à ses problèmes quotidiens.
DL