Chapitre 1 : S’sangue, l’éparse
Présentation : Jusqu’à la fin du 18ème siècle, le désert mauritanien tenait bien les toubabs en respect et à distance. Ils avaient tellement peur de cet océan de sable mou et sans limites où les hors-la loi enturbannés semaient la terreur… La simple idée d’y aller leur donnait le hoquet…
Et spontanément, il devint source d’inquiétude pour les maîtres des colonies voisines, quant à la convoitise d’autres puissances européennes. D’ailleurs, ce qui faisait prendre la mouche était l’improvisation de comptoirs de fortune (où avait lieu le troc) le long de la côte atlantique, en prolongement du commerce triangulaire… (Gomme arabique, esclaves… etc.).
En échange, les maures recevaient tissus, tabac, thé vert, toiles, etc... Mais il s’était avéré que les armes à feu et munitions faisaient bien partie du lot…
Aussi, les incursions « d’explorateurs » sous des prétextes fallacieux, étaient-elles bien révélatrices d’intentions à peine voilées…
Et c’était là où l’occupation du pays maure fut décidée par les français !
C’était ainsi alors que la pacification de l’immense désert en fut la toile de fond.
La fameuse offre « gratuite » qu’avait faite Coppolani aux dignitaires religieux, qui étaient soucieux de faire régner la paix, en ce qui n’avait rien d’un Etat. Donc, celle-là même qui avait convaincu et trompé à la fois pour mener à une occupation de fait …
Aussitôt, trois premières garnisons militaires furent installées dans le sud mauritanien, presque à égale distance du fleuve.
En clair, une progression en tiroir vers le nord :
-Garnison de Méderdra (ouest)
-Celle du camp du lac (centre) « quendelec »
-Celle de M’Bout (est) « l’oued »
Puis une quatrième à Kiffa en 1907, juste après l’assassinat de Xavier Copollani…
Pendant que nous y sommes, c’était bien autour de ces unités françaises que les esclaves déserteurs constituèrent les premières bourgades, afin d’y trouver protection, en vertu de la loi française abolissant l’esclavage.
Les plus célèbres regroupements étaient :
- S’sangue – Méderdra
-Guadaye – Boutilimit
-Djambour – M’Bout
-El ghadime – Kiffa (djambour)
C’était ainsi que l’une des dunes du vaste et pittoresque Iguidi du sud devenait S’sangue. Jusqu’en début des années cinquante, il n’y avait, en gros, que N’çara (nom donné aux européens en général et aux français en particulier) et leurs protégés esclaves… S’sangue en hassaniya se dit de toute unité militaire.
Cette base statique devait appuyer et soutenir d’autres légères stationnées, en pointe à Khrouve, plus au nord. Elles étaient chargées de la poursuite des rezzous R’gueibatt qui terrorisaient les populations.
Depuis lors, cette base, « S’sangue », était devenue le point de repère le plus saillant dans la zone pour les voyageurs et tous ceux qui prenaient la brousse…
C’était donc à la suite d’une attaque perpétrée par des résistants qui avaient trompé la vigilance des sentinelles de la base, qu’une nuit sombre fut bien celle du massacre ! Quand le lendemain, la découverte macabre coupa les souffles !
Les cadavres épars jonchaient le sol mouillé par la rosée (ejviv medheridhre)
Des corps rebelles y étaient mais ceux des soldats français étaient beaucoup plus nombreux.
Donc, ces hommes sans vie qui gisaient éparpillés, çà et là, avaient inspiré les autochtones en appropriant cette notion de « dispersion » à la dune qui en avait mérité le symbole et l’honneur…
Terme transcrit plus tard par les colons par sa phonétique simple et, qui devint le deuxième nom de la bourgade et celui définitif et officiel de la circonscription administrative, Méderdra !
Méderdra, pour ceux qui ne la connaissaient pas, est un village bâti sur un espace en croix, dont les quatre angles droit formés par l’intersection sont des réserves naturelles réglementées…
Elle est tout à fait, sur un beau carrefour, exactement ou presque à égale distance de Rosso au sud et de la route de l’espoir au nord ; de l’atlantique à l’ouest et de R’kiz à l’est.
C’est ainsi donc, et depuis la nuit des temps que l’éparse est aux aguets…
Notre ange gardien surveille le fleuve, guette le désert, il écoute l’océan et donne un clin d’œil de connivence à la jonction d’entre la Chamama et l’Aoukar…
C’était peut être bien, pour cette raison assez stratégique, que les colons choisirent la dune, qui fut Méderdra, pour installer leur première base militaire.
A ce propos justement, l’on peut confirmer, sans risque de se tromper, que le choix initial du site méderdrois, par N’çara, n’était nullement insignifiant… et du fait que tout espoir équivaut bien à une opinion tolérée, et même permise, souhaitons tous ensemble, voir et rapidement goudronné, le tronçon Rosso – route de l’espoir pour compléter la croix de Méderdra.
On aura ainsi le plus beau et le plus dynamique carrefour du pays !
D’ailleurs, c’est parfaitement bien, cette intersection qui, à coup sûr, aura à soulager significativement l’encombrement de Nouakchott, quant au trafic routier…
L’éparse est incontestablement et historiquement, trois fois capitale :
-De l’Iguidi
-Celle de l’émirat du Trarza
-Celle de la civilisation Hassane
L’Iguidi est synonyme de trois spécialités qui lui sont propres et spécifiques, surtout, elles lui sont indissociables :
-C’est le territoire où l’acacia est en puissance dans la flore, donc le plus grand producteur de la gomme arabique, de première qualité, dans toute la sous-région.
-Celui des Oulad Deymane, pas ailleurs, malgré qu’ils sont maîtres du savoir, de l’éloquence, de la prose et de la sagesse imperturbable.
-C’est aussi le domaine exclusif du fameux K’deim. Un mets froid, à base de fruits de pastèques grillés et sucrés, très nutritif, impérissable, compagnon des broussards, très apprécié en hiver.
Attention, ce mot K’deim fut interdit à S’sangue par le célèbre farceur Etheimine Bah ! C’était son sobriquet que lui avaient collé ses amis « leghvalé ». Celui qui le hélait par ce nom était follement pourchassé et dès que K’deim le rattrapait, il se mouchait, sans gêne sur lui, à défaut de lui payer un thé. K’deim avait aussi la faculté d’imiter tous les comportements de l’hygiène, même ses gémissements, mais seulement quand sa bouche n’était pas remplie de tabac et c’était très rare.
S’sangue c’est aussi une longue histoire de tiraillement, de haine acharnée entre deux de ses plus grandes et plus anciennes composantes sociales. Il s’agissait et s’agit toujours, apparemment, d’une rivalité sourde-muette jamais élucidée. Une sorte de guerre froide ou plus exactement une manie de camps opposés qui se cherchent et s’évitent à la fois, dans une excentricité à peine voilée.
Ainsi, l’on est bien en droit de se demander, est ce à Méderdra il ne s’agirait pas de « répliques » du grand séisme des siècles derniers ? … Ou simplement d’une revanche très tardive et sans escient ?
En tout cas, c’est bien à cause de ce conflit, sans nom, que l’éparse, la fabuleuse, avait bel et bien raté son décollage, sur tous les plans et depuis belle lurette. Rien que par la faute de certains de ses fils, en panne de notoriété. Et pourtant, ceux là avait tellement applaudi qu’ils perdirent les mains, les pieds et même l’âme. Et sans rien en échange pour la cité.
En effet, la langueur qu’affichent les âmes méderdoises depuis quelques décennies, justifie parfaitement l’animosité que génère le cumul d’échecs lamentables déjà enregistrés, et sur leur compte.