« Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, quant à mes ennemis, je m’en charge ! », cette célèbre prière de Voltaire – ou d’Antigonos II, roi de Macédoine, selon une autre version – Ould Abdel Aziz aura tout le temps de la méditer. Revenu au pays après trois mois d’exil volontaire, « voyage d’études » et d’agrément, il pensait probablement être accueilli en héros démocrate, lui qui refusa le troisième mandat, malgré l’insistance de ses (nombreux) soutiens, lui qui « rectifia » la démocratie en 2008, lui, le « prodigieux bâtisseur ». Or rien n’en fut. Revenu dare-dare parce que, selon ses sources, on commençait à être un peu regardant sur sa gestion calamiteuse d’une décennie qui le fut tout autant. Mises à rude épreuve au cours de celle-ci (malgré les satisfécits décernés à tout va par les institutions de Bretton Wood), les finances publiques ont été saignées à blanc, particulièrement au cours des derniers mois. On parle de milliards qui auraient pris des chemins « détournés » (c’est le terme). Pensant sans doute qu’il avait encore une formation politique à sa botte, des élus et des soutiens fidèles, Ould Abdel Aziz convoque une réunion du comité de gestion de son parti, pour signifier, à ceux qui l’ont enterré un peu tôt, qu’il faut encore compter avec lui. Et qu’il serait hasardeux de lui chercher noise en touchant à son « point faible ». Mais il y a une donnée fondamentale qu’il a feint d’ignorer : la versatilité légendaire des Mauritaniens. En quelques jours, ses soutiens ont fondu comme neige au soleil. Tous – à part trois caciques et pour combien de temps encore ? – se démarquent de lui. Son « aile » militaire est à son tour décapitée, à la veille de la célébration des festivités du 28 Novembre à Akjoujt. Ce qui laisse planer le doute sur une ultime tentative de déstabilisation du pouvoir de son ami de quarante ans, ou, carrément, de prise de pouvoir par la force. Il y a en tout cas anguille sous roche, malgré les démentis du ministre de la Défense. Ould Abdel Aziz ayant refusé de faire le déplacement d’Akjoujt où, comble de l’ironie, un fauteuil lui était réservé… entre Sidioca et Ahmed Ould Daddah (!), la nouvelle que tout le monde guettait a jeté une ombre sur la célébration. Depuis, le doute n’est plus permis. La rupture entre l’ancien et le nouveau Président est désormais consommée. Jusqu’où ira l’escalade ? Assigner Ould Abdel Aziz à résidence ? L’empêcher de voyager ? Le priver de son passeport ? Fouiner dans sa gestion, suivre les milliards disparus à la trace, revoir les marchés de complaisance ? Il y a à boire et à manger, pour peu qu’on le veuille et… que la conjoncture, voire la raison d’État, s’y prête. Le droit d’inventaire est, en tout cas, une forte demande populaire. Les prisons regorgent de pauvres hères, dont certains n’ont volé qu’un téléphone ou une bonbonne de gaz, alors que de gros bonnets qui ont fait main basse sur des milliards se pavanent en toute impunité.
Ould Ghazwani l’a promis : plus rien ne sera comme avant. À la différence de son prédécesseur qui ne mit aucun gant, c’est déjà dans un de velours que le fils du marabout semble mettre sa main de fer. Notamment dans ses « discussions » envers son ami de quarante ans. Il a pour lui le pouvoir, la force et une attente certaine des Mauritaniens à le voir mettre de l’ordre dans la maison. Les récents évènements semblent l’assurer en ce sens. Assez pour lever l’hypothèque Ould Abel Aziz ? Il lui reste à cette fin de poser véritablement et sans plus tarder les marques tangibles du changement, notamment en ce qui concerne les contraintes pesant sur la vie des ménages. C’est à ce prix seulement que sera écartée toute velléité « rectificatrice » de son pesant compagnon d’armes… Assez longtemps pour que celui-ci ne soit plus qu’un (très peu) aimable souvenir !
Ahmed Ould Cheikh