LE WAQF, outil de développement durable ; la Mauritanie, fécondité d'une différence manifeste – 1/Par Ian Mansour de Grange

30 October, 2019 - 23:15

Sollicité en 2005 par l’Établissement National des Awqafs de Mauritanie (1), pour rédiger un ouvrage en français sur le waqf, afin d’édifier les bailleurs non-musulmans, j’ai découvert, à l’étude de ce thème, une extraordinaire richesse économique et sociale. Mais, contrairement à ce que le profond enracinement des Mauritaniens en islam me laissait accroire, je me suis également rendu compte que cette richesse leur est trop peu connue, sinon mal, en dehors d’un cercle très restreint de savants, et, surtout, très insuffisamment  exploitée. Différentes circonstances présentes, comme l’élection d’un nouveau président à la tête du pays – Que Dieu lui accorde la meilleure réussite en sa noble ambition ! – me poussent aujourd’hui à vous proposer la lecture, en épisodes hebdomadaires, de la seconde édition dudit ouvrage (2). En voici l’avant-propos. 

Waqf : drôle de mot pour un non-arabisant. Mi-amusé, mi-méfiant, le profane pourrait s'en détourner sans plus attendre. Il aurait bien tort : un trésor d'humanité se cache sous ces quatre lettres. Plus rassurant, le concept de développement durable. Et cependant presqu'autant méconnu, parce que sur-usé. Mais que le lecteur se rassure : nous n'avons pas l'intention de lui en infliger une énième écriture. Il suffira, en cet avant-propos, de rappeler quelques évidences.On associe souvent le terme de développement à celui de croissance économique. Tristes œillères, dangereuses bornes. J'aime à parler du développement de mon enfant, de ses qualités physiques, de son intelligence, de ses capacités altruistes. De tout mon cœur, je les espère durables et m'emploie humblement à cette fin. En tout cela, j'entends certes des limites : je m'inquiéterais fort de voir mon rejeton bloqué dans sa croissance physique à soixante centimètres du sol, ou dépasser, au contraire, les deux mètres cinquante. Le développement est durable parce qu'il est limité, ajusté à de vivables conditions d'existence.

On entre dès lors dans la question des relations. Compétition ou entraide ? Cohésion ou osmose ?  Et dans celle des hiérarchies. De pouvoir ou d'emboîtement ? D'enchaînements ou de concordances ? « Le monde est une harmonie de tensions », disait Héraclite, et la pérennité du développement tient, toute entière sans doute, dans ce bouleversant équilibre (3). On le vit plus ou moins consciemment tous les jours et chacun de le reconnaître : chaussure à son pied se fait oublier, on n'est jamais si libre que bien relié. Comme d'autres religions, l'islam s'est beaucoup employé à conduire ces limites dans les plus justes proportions possibles. Les hommes, quant à eux, ont apprécié diversement le soin, se chargeant à l'occasion d'en modifier le cours avec plus ou moins de bonheur. Mais le développement n'est, louange à Dieu, jamais uniforme et la diversité nous donne justement le loisir de toujours rectifier nos erreurs. Il suffit souvent d'ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure.

On verra en cet ouvrage quelque illustration de cette thèse ; comment un tout simple outil de solidarité, le waqf – peut-être fort archaïque ; en tous cas, lumineusement actualisé par le prophète Mohammed – Paix et Bénédictions sur Lui (PBL) – s'est modifié au cours des siècles dans les territoires civilisés (4) de l'islam, alors qu'il suivait des voies sensiblement différentes dans ses espaces plus fortement tribalisés, comme la Mauritanie, exemple d'une fécondité exceptionnelle ; comment cette relative dialectique ouvre aujourd'hui, de nouvelles perspectives de développement, notamment en dédramatisant le concept de propriété qui obnubile tant le discours de la modernité ; la contraint assurément. 

Mais je dois avertir honnêtement le lecteur. Je ne suis pas un spécialiste ; ni en histoire, ni en islamologie, ni en Droit, ni en rien du tout d'ailleurs : disons un chercheur, un de ces éternels étudiants qui tiennent longtemps secret le fond de leur quête. Cette situation m'autorise quelques écarts avec les convenances scientifiques. Espérons qu'ils resteront suffisamment limités pour ne pas vous en imposer de grands. Je ne désire vous inviter qu'à une « petite » gymnastique susceptible de faire pétiller a priori vos neurones ; a fortiori, ceux de notre société commune.

Les deux premières parties sont relativement sages : il y est question d'histoire et d'ethnologie et je me suis appliqué à condenser en peu de pages les travaux de grandes personnalités. On n'y trouvera probablement guère de « nouvelles anciennes du monde ». Mais la troisième partie, très imaginative et neuve quant à elle,  nous engage tous dans un effort de construction. Il fallait donc que je m'engage moi-même. En éclaireur, taillant des coupes ; ici, énergiques ; là, beaucoup plus retenues ; me contentant parfois d'indiquer des zones sensibles ; ailleurs, de probables poches de résistance : l'ensemble doit donner une impression d'inachevé ; j'allais dire : vous donner envie d'aller vous-même œuvrer en ce bel espace de conquête sociale. En ce cas, nous nous y retrouverons un peu plus tard, incha Allahou. En cette démarche solidaire, permettez-moi dès à présent un premier et dernier souhait : soyons de doux et patients conquérants, attentifs aux réponses du milieu, à leur temps de latence, variable. Si ce n'est la clé du développement durable, c'est du moins une des plus essentielles...

 

NOTES

(1) : Renommé Établissement National des Owqafs (ENO) en 2007.

(2) :Publié en 2012, la première édition est l’œuvre de la Librairie 15-21 sise à Nouakchott. En cours de réalisation, la seconde n’en diffère que très peu (corrections orthographiques résiduelles et annexes supplémentaires).

(3) : Jean-Marie Pelt, Franck Steffan – « La solidarité chez les plantes, les animaux, les humains ».

(3) :Précision sémantique indispensable : par civilisation, nous entendons « culture par et pour la cité ». Occasion de suggérer une valeur à la tribalisation, « culture par et pour la tribu ». On a longtemps admis sans discussion l'irréductible opposition de ces modes d'agrégation sociale. Il serait peut-être temps d'en admettre et vivifier les complémentarités. Beaucoup s'y emploient et la Mauritanie est un des lieux privilégiés de la planète – il n’y en a plus beaucoup – où réaliser concrètement cette réhabilitation.