C’est de tradition chez nous que de ne jamais rien faire seul. Le « seul » est un satan. C’est pourquoi ne faut-il ni marcher seul, ni manger seul, ni dormir seul, ni voyager seul, ni commander seul. Mieux vaut une affaire avec ta jamâ’a et que ça se gâte, plutôt que de la faire seul et que ça marche. On dit aussi que celui qui est privé de quelque chose ne peut pas en donner. C’est tellement logique que cela va sans dire. Mais au lieu de regarder en haut, il faut commencer par le bas. Cette histoire de conseillers ou de chargés de mission, ça fait quoi ? Oui, ça fait quoi ? Un ministre a besoin d’autant de conseillers et de chargés de mission que de directions et de départements dans son ministère. Par exemple, au ministère de l’Enseignement fondamental et de la réforme de l’éducation, il lui faut un conseiller dans les choses du fondamental ; un autre en celle de la réforme ; un autre, en celles de l’administration et des finances ; sans compter les choses strictement très internes, celles des fournisseurs, celles des entrepreneurs et, encore plus loin, dans les choses très strictement externes. Il a besoin de chargés de mission à aller et venir dans les couloirs, pour savoir ce qui se dit. Il a besoin de quelques attachés au cabinet, pour amuser la galerie et boire quelques verres de thé. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont une quinzaine. La moitié de ton « intelligence » est avec ton frère. Au ministère des Affaires étrangères par exemple : un conseiller Afrique ; un conseiller Amérique ; un conseiller Asie ; un autre Europe ; un cinquième Océanie ; Australie, Maghreb, CEDEAO et affaires du Brexit : et de dix ! Un conseiller pour la Commission Africaine, un douzième pour le Moyen-Orient, affaires internationales, affaires sous-régionales, Pôle Sud et Pôle Nord : et nous voilà à seize ! Il y a aussi besoin de chargés de mission pour aller et venir, repartir et « rerevenir ». C’est comme ça pour chaque ministère : au moins une vingtaine de conseillers, chargés de mission et attachés au cabinet. Normalement, c’est, au total, vers les six cents. Plus la soixantaine d’autres de la Présidence et du Premier ministère. Et, attention ! C’est pas du bénévolat que les gens font, en se creusant la mémoire pour conseiller, aller en mission ou s’attacher aux cabinets des ministres et autre Président. Ça coûte cher, les neurones (surtout quand on en a peu ou prou…) Imaginez donc un ministre sans conseiller, sans chargé de mission, sans attaché. Comment qui quoi mais où est donc Ornicar va-t-il proposer aux nominations, lors des conseils de ministres ? Comment saura-t-il qui est qui ? Comment doser ? C’est quelle tribu ? Quelle communauté ? Il faut bien que le ministre sache pour qui est nommé celui-ci ; pourquoi est dénommé celui-là. Et puis, sans attaché, qui va aller dans les agences de voyages ? Superviser les chantiers en construction ? Négocier pour liquider les voitures réformées, les licences de pêche, les quotas de poulpe et autres petites commissions ? Et puis, il n’y a pas que ces conseillers, chargés de mission ou attachés dont beaucoup ne semblent pas comprendre l’utilité. Il y a aussi les présidents de conseil d’administration, essentiellement une bande de retraités ou du n’importe quoi. Et ça coûte, le n’importe quoi : cinq millions mensuels pour ceux-ci ; deux millions cinq cent mensuels, pour ceux-là ; des miettes pour tous les autres ; c’est selon que vous êtes cousin d’un ancien président ou notable d’une influente tribu électoralement importante. Il y a encore les coordinateurs de gros projets, d’anciens prédateurs ayant fait leurs preuves dans la prédation, retraités en malversations ; recyclés pour de bon. Les milliers de conseillers, chargés de mission, attachés aux cabinets, présidents de conseils d’administration, coordinateurs de projets et tralala et « trepepe » et « trememe », c’est, au total, des dizaines de milliards par an, empochés, comme ça, mine de rien. Ça fait travailler combien de chômeurs ? Répondez-nous, monsieur le conseiller du ministre de l’Emploi ! Salut.
Sneiba El Kory