Pour sa première interview (1ère partie) depuis l’élection présidentielle, M. Mamadou Sidy BA, président des Forces de Libération Africaines de Mauritanie (Flam), livre à « Rencontre avec… » son appréciation de la situation politique en Mauritanie à travers des thèmes de toute première importance.
Flam-mauritanie.org: C’est votre première interview depuis l’élection présidentielle du 22 juin 2019. Vous ne serez donc pas étonné que la première question porte sur ce sujet. Pourriez-vous nous donner votre lecture des résultats de ce scrutin et nous dire les enseignements principaux que vous en retirez ?
Mamadou Sidy BA: Les résultats sont désormais ce qu’ils sont. Il faudra faire avec. Force est de constater que certaines dérives ont la vie dure et qu’en matière de démocratie on est loin du compte. A toute chose malheur est bon toutefois. Ce qu’on a appelé de manière pudique la crise post- électorale a prouvé s’il en était besoin à quel point la xénophobie et le racisme restent enracinés dans le pays. Il a suffi de peu pour voir renaître le spectre de tragédies qu’on a connues dans une histoire récente. Des pays d’Afrique subsaharienne ont été livrés à la vindicte par le discours officiel et désignés comme fauteurs de troubles.
Leurs ressortissants ont été pris pour cibles. Certains d’entre eux ont été arbitrairement arrêtés, détenus, humiliés avant d’être expulsés. Une répression sélective s’est abattue sur des citoyens sur des bases ethniques, raciales, sociales et même spatiales dirais-je. Je pense au quadrillage méticuleux de quartiers de Nouakchott abritant en majorité des populations négro-africaines. Je pense aux risques qu’on a frôlés de réédition de meurtres de masse et de déportations ciblées de populations noires similaires à ce qu’on a subi en 1989 et après. S’agissant des résultats électoraux proprement dits, vous observerez qu’à l’exception bien évidemment de M. Ghazouani, et pour cause, tous les autres candidats les contestent. Je crains qu’il ne soit à présent trop tard pour le faire auprès des juridictions.
Vous noterez également que même la fameuse CENI qui n’a brillé ni par son impartialité ni par son indépendance a été purement et simplement court-circuitée par le pouvoir qui en a pourtant choisi les membres. Celui-ci s’est arrogé le droit d’annoncer avant même la proclamation des résultats l’élection de son candidat. Une auto-proclamation en quelque sorte ! Et ce, au mépris des règles élémentaires devant régir tout processus électoral digne de ce nom. C’est ce que nous avons appelé le coup de force électoral. Le fait était à la fois prévisible et « compréhensible ». Du moins, du point de vue du pouvoir.
La panique du candidat Ghazouani était en effet logique. Pour lui, le principal était d’éviter à tout prix voire à n’importe quel prix le couperet du second tour qui aurait signé sa perte. Bien que les FLAM aient anticipé une élection frauduleuse et que les faits lui aient donné raison, je pense que les candidats et, en particulier le candidat de la CVE, Monsieur Kane Hamidou Baba, ont eu raison, sans être dupes, de jouer le jeu de la démocratie en participant à l’élection présidentielle. Les FLAM, notamment dans leur déclaration du 25 septembre 2018, avaient exposé leur démarche et leur ligne de conduite. Il n’était pas question de regarder passer les trains. Sans prendre part nous-mêmes aux élections, nous nous réservions le droit-et nous en faisions même un devoir- de participer activement au débat public et, in fine, de prendre position pour le candidat dont le message était le plus proche du nôtre. Le message porté à cette occasion par M. Kane Hamidou Baba, par ses alliés et soutiens, Ba Mamadou Alassane, Diop Amadou Tijane, Aboubacri Souleymane Ba notamment et, au-delà, par les forces politiques (FRUD, MPR, PLEJ…), les acteurs de la société civile, a eu une force et un impact qui ont marqué les esprits.
Les thématiques développées reflètent les préoccupations de nos concitoyens en matière de cohésion sociale, d’éducation, d’enseignement, de santé, d’infrastructures publiques, d’emploi… Leur réception par les citoyens électeurs a été à la mesure des attentes. Cela étant, il faut reconnaître que la situation postélectorale qui est la nôtre est un peu piégée. D’un côté, les formations se réclamant de l’opposition contestent les résultats électoraux. D’un autre côté, certaines d’entre elles semblent tentées de se fonder sur ces mêmes résultats pour en tirer des conclusions politiques à leur avantage notamment en termes de représentativité.
A quoi pensez-vous ? Au statut tant disputé de principale force de l’opposition ?
Par exemple. Et plus globalement au rapport de forces politique dans le pays. Je crois qu’il ne faut pas se tromper d’élections. L’élection du 22 juin portait sur le choix du président de la république. Même si elle peut paraître pompeuse, je reprends volontiers à mon compte la formule du rendez-vous d’un homme avec le peuple. Chacun des candidats a porté le message censé véhiculer son offre et son projet politiques, ses objectifs voire sa démarche. Je reviens à Kane Hamidou Baba pour saluer la démarche de concertation, de synthèse, de brassage d’idées qu’il a su développer et qui a fait de lui le candidat d’une coalition par définition plurielle.
Nous-mêmes, FLAM, avions appelé de nos vœux une approche fédératrice basée sur la concertation et le dialogue entre forces politiques et acteurs sociaux par-delà les particularismes, les différences voire les divergences. C’est le sens notamment de notre déclaration du 25 septembre 2018. Malgré ses indéniables qualités et mérites personnels, M. Kane, comme n’importe qui d’autre à sa place, n’aurait pu réaliser ce qu’il a fait tout seul. Il a voulu, su et a pu s’appuyer sur une équipe solide constituée de personnes déterminées, dévouées.
C’est le cas en particulier de Monsieur Diop Amadou Tijane, président du FRUD, formation active et dynamique représentée au sein de la CVE qui, en sa qualité de Directeur du cabinet du président de la CVE, a mené un travail appréciable d’animation et de coordination. Je tiens également à témoigner toute ma confiance et toute ma sympathie à Aboubakri Souleyman Ba qui a également joué un rôle actif dans cette campagne. Tous, en bonne intelligence avec le candidat, ont joué leur partition et concouru au succès rencontré. Le rôle de personnalités éminentes et emblématiques tels M. Ba Mamadou Alassane, le Colonel Anne Amadou est également à saluer tant sa portée symbolique est remarquable et tant la contribution de ces figures importantes au projet commun est significative
Pour revenir à la question du positionnement de tel ou tel en tant que première force de l’opposition, je pense que ce statut se mesure dans le cadre d’un système démocratique au regard du poids et de la représentativité des différentes formations à l’assemblée nationale. Ce n’est pas un hasard si l’Assemblée nationale est également appelée représentation nationale. Encore faut-il que les conditions de l’élection des membres de cette assemblée soient régulières. On retrouve là le fameux piège évoqué au sujet de la présidentielle.
Que pensez-vous du premier « gouvernement Ghazouani» qui a été constitué il y a peu?
Le choix de l’équipe gouvernementale relève des prérogatives du président et de son premier ministre. Je suppose que l’équipe qui vient d’être constituée par les deux hommes a été choisie pour sa proximité politique (malgré- je ne sais d’ailleurs s’il faut dire malgré-la présence remarquée de fidèles parmi les fidèles du président sortant) et pour sa capacité à concrétiser le projet politique du candidat Ghazouani. Cela étant, j’aurais bien du mal à vous dire quel est ce projet tant l’actuel Chef de l’Etat a été discret durant sa campagne sur son programme. J’observe qu’un membre du gouvernement et non des moindres a revendiqué la continuité avec le prédécesseur de M. Ghazouani. On a beaucoup insisté sur le caractère technocratique de l’équipe gouvernementale. C’est une chose à relativiser si on entend par là que cette équipe est sans couleur politique. Ce qui n’est d’ailleurs pas souhaitable. Certains de ses membres ne sont ni vierges politiquement ni inconnus du grand public.
Quelques revenants reprennent du service. J’espère surtout que la fameuse « compétence » ne signifiera pas un chèque en blanc ou la porte ouverte à une gestion exclusivement managériale et technicienne des choses sans considération de leur dimension humaine ou de la demande sociale. Un gouvernement qui se veut démocratique ne peut se contenter de l’administration des choses au mépris de l’humain. On ne peut et on ne doit longtemps ignorer la demande et la base sociales. La compétence (présumée en l’occurrence) n’est pas incompatible avec la représentativité. Compétence oui. Pouvoir technocratique arrogant et sans contrôle non. Au surplus, la compétence se mesure aux résultats. Comme on dit, c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. On évaluera plus tard. En attendant, j’observe par ailleurs, en le regrettant, que, de par sa composition, le gouvernement actuel ne reflète pas suffisamment, c’est le moins que l’on puisse dire, la pluralité du pays. Un gouvernement ne doit certes pas être un patchwork. Cela étant, il est déplorable que certaines composantes soient si peu « représentées » et que les ministres issus de ces composantes soient relégués à des postes subalternes. L
e président et son premier ministre auraient par ailleurs pu adresser un message fort au pays en instituant un ministère de l’intégration ou de la cohésion nationale. Ce sujet correspond à une préoccupation forte voire prioritaire du pays. Personne n’ignore l’importance de cette thématique et plus encore des difficultés réelles de cohabitation en Mauritanie. Pour le reste, l’heure n’est pas encore venue de dresser un bilan global, fût-il d’étape- de l’action gouvernementale. C’est un peu tôt. Laissons un peu de temps à la nouvelle direction et on en reparlera dans trois mois par exemple. On en apprendra un peu plus-du moins je l’espère- de son orientation. Le président se sera peut-être d’ici là affranchi de certaines tutelles visibles et invisibles qui pèsent sur lui et sur son action.
(A suivre)
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