Le Calame : Nous sommes à quelques jours de l’investiture du nouveau Président de la République. Vous attendez-vous à une nouvelle ère ou à la continuité de la même gouvernance que sous le Président sortant ?
Maître Mine Abdoullah : L’espoir est permis, le Président élu ayant eu à annoncer que « lui c’était lui » et que « Abdel Aziz était Abdel Aziz ». Si on se situe sous le strict angle de ces propos, on peut espérer que le Président Ghazouani, à défaut de rupture, pourrait gouverner, plus ou moins, autrement. Cependant, les Mauritaniens ayant été à plusieurs reprises déçus par les promesses faites par chaque Président qui arrive au pouvoir (par coup d’Etat ou par élection), ne sauraient, maintenant, avoir une confiance absolue à qui que ce soit. Attendons donc de voir les prochains 100 jours de M. Ghazouani pour donner un avis. En tout cas, personnellement, ayant eu l’occasion de connaître l’homme, je nourris beaucoup d’espoir en lui.
Quels sont, à votre avis, les priorités du 1er gouvernement de Ghazouani ? Son programme électoral est-il de nature à rassurer les Mauritaniens qui vivent une situation économique et sociale difficile et une dette colossale de plus de 5 milliards de Dollars, dit-on ?
- Les programmes électoraux ne signifient pas grand-chose pour les Mauritaniens ; ces programmes restent de simples professions de foi, des déclamations sur papier. Tel que décliné, le programme du Président Ghazouani est alléchant mais c’est le propre de tous les programmes électoraux… Pourra-t-il l’appliquer, l’exécuter, c’est la question… Ceci étant, à voir les multiples problèmes auxquels la Mauritanie fait face, il serait prétentieux de dire que ce pays est en chantier ; le terme le plus approprié serait plutôt qu’il est un champ en jachères. Je ne sais si le chiffre de 5 milliards de dollars avancé est vrai mais au vu des difficultés auxquelles sont confrontés les Mauritaniens, nous pouvons dire que le Président Ghazouani a du pain sur la planche.
Le scrutin du 22 juin a été marqué par des échauffourées suivies de répression, d’arrestations et même de condamnation des militants de l’opposition, précisément de la Coalition Vivre Ensemble. Les quatre candidats de l’opposition ont dénoncé la fraude, rejeté les résultats proclamés par la CENI, validés ensuite par le Conseil Constitutionnel. Ces candidats de l’opposition pouvaient-ils s’attendre à autre chose, eux qui sont allés au scrutin sans aucun consensus avec le pouvoir qui, du reste, avait son candidat?
- Un processus électoral doit requérir le consensus et le consentement de tous, des partis et acteurs politiques, en général, et des compétiteurs (candidats), en particulier. Malheureusement, le processus était biaisé, à commencer par la composition de la CENI qui est l’une des causes du manque de confiance de l’opposition. Il y en a d’autres qu’il serait inutile de lister ici. Cependant, le résultat aurait pu être autre, puisqu’au final le candidat du pouvoir, comme vous dites, est passé ; néanmoins, il est passé au vu des résultats proclamés officiellement. Quant à la vague de répression, les arrestations (disons ciblées), les condamnations et la militarisation des quartiers acquis à l’opposition, c’est quelque chose d’inquiétant qui aurait pu déboucher sur des conséquences plus fâcheuses n’eût été la sagesse des 4 candidats de l’opposition qui ont su maîtriser leurs militants. Allah Seul Sait ce qui serait arrivé si ces candidats n’avaient pas annulé leur appel à la manifestation…
Au lendemain de ce scrutin, 14 partis politiques ayant soutenu les 4 candidats de l’opposition, tout en rejetant les résultats du scrutin, ont exprimé leur disponibilité au dialogue. Que vous inspire cette posture ? Que pensez-vous du timing choisi et de la rencontre entre le président du comité de suivi de l’UPR et de Biram Dah Abeid ?
La paix n’a pas de prix et parmi les nombreuses qualités d’un homme politique il ya le bon sens, l’ouverture d’esprit, la prédisposition au dialogue ; parce que, voyez-vous, une difficulté a beau être « insurmontable », un problème compliqué, la solution se trouve toujours autour d’une table… L’attitude des 4 candidats et les partis qui les soutiennent a été louable, car elle a permis d’apaiser les esprits et éviter une confrontation inévitable. Ils ont donc fait ce que tout homme politique pacifique devait faire ; il reste de trouver un répondant de l’autre côté, du côté du nouveau pouvoir. Espérons donc que cet appel trouve une réponse positive… Quant à la rencontre entre le président du comité de suivi de l’UPR (parti au pouvoir) et Biram Dah Abeid, je ne pense pas que cela relève d’un timing mais plutôt la pleine conscience des deux parties qu’il faut établir une passerelle. Que cette passerelle soit jetée pour être utilisée huc et nunc ou qu’elle le soit pour un usage futur revient pratiquement à la même chose.
A votre avis, quel intérêt pourrait avoir un dialogue entre le nouveau pouvoir et l’opposition ?
Le nouveau pouvoir est contesté par une partie de l’opposition. Un dialogue aura donc pour avantage, en premier lieu, d’aplanir la situation entre le nouveau pouvoir et son opposition, et ensuite de jeter les bases de la concertation sur les multiples problèmes du pays, dont ceux récurrents : esclavage ou séquelles, dérives des années de braise… Et il y a surtout les problèmes de recensement, de l’enseignement, des libertés publiques, la justice, la bonne gouvernance, et j’en passe.
L’opposition est sortie divisée entre les 5 candidats à la présidentielle. Pensez-vous qu’elle pourra survivre à cette présidentielle et à la dissolution de beaucoup d’entre eux après les dernières élections locales et l’éclosion des initiatives mêmes familiales? A quelle condition ?
En tout cas, l’opposition a intérêt à s’unir, d’une manière ou d’une autre. D’abord, il y a, je pense, une nécessaire recomposition du paysage politique ; ensuite une formation de blocs plus solides et structurés et enfin une plateforme de l’opposition pour mieux faire face au pouvoir qui, comme tous les pouvoirs, n’aura cure de chercher à l’affaiblir. Si elle s’inscrit dans la dynamique de l’unité, elle tirerait son épingle du jeu ; autrement, elle sèmera les graines de sa propre déconfiture.
La Mauritanie s’attend à l’exploitation du pétrole et du gaz avec le Sénégal. Pensez-vous que les mauritaniens, pourraient, contrairement avec le poisson, le fer, l’or et le pétrole, en sentir cette fois-ci, les odeurs ?
Tout est question de gestion et de bonne gouvernance. Les richesses (qu’il s’agisse du pétrole ou autre), ne profitent, en tout cas pas, au bas peuple. Les retombées de leur exploitation ne font que gonfler les poches – déjà pleines – d’une certaine catégorie de citoyens. Hélas, jusque-là, la Mauritanie n’a pas connu un développement à la hauteur des multiples ressources dont elle dispose. Au contraire, les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles, le fossé se creuse davantage entre les pauvres et les riches… Faut-il préciser que la vraie richesse d’un pays n’est pas que ses ressources naturelles mais l’homme qui est l’alpha et l’oméga, le moyen et la fin ; d’où l’intérêt d’accorder la plus grande importance à l’éducation.
Parmi les thèmes abordés par les différents candidats à la présidentielle, figure l’unité nationale. On a assisté à des votes identitaires. Pourquoi en est-on arrivé là ? Que doit faire le président élu pour régler cette question ?
L’unité nationale est devenue, en Mauritanie, une arlésienne : tout le monde en parle mais… Quant au supposé « vote identitaire », je crois qu’il faudrait relativiser les choses. D’ailleurs, en soulevant un tel épouvantail, il faudrait faire attention à des idées reçues et des opinions toutes faites. Qui a voté « identitairement » ? A partir de quel seuil, dans quelle proportion, peut-on dire que le vote de telle ou telle catégorie d’une composante nationale (c’est de ça qu’il s’agit, n’est-ce pas ?) a été identitaire… ? Tout cela étant assez flou et peu objectif, je préfère qu’on analyse le vote que l’on veut décrier comme étant un simple ras-le-bol contre la marginalisation que certains ressentent, une façon pour eux de faire entendre leur voix. Le jour que les causes qui ont conduit à la débâcle du candidat du pouvoir dans « certaines zones » auraient été traitées (de la manière la plus juste possible), ce « débat » n’aura plus personne pour l’alimenter.
Vous êtes président de l’Ong « Publiez ce que vous payez ». Pourquoi, à votre avis, les prix, après être montés ne descendent pas même si les prix des produits pétroliers baissent et les marchés achalandés ?
- En Mauritanie, les prix dépendent du bon vouloir du pouvoir. Ils font fi de la loi du marché (l’offre et la demande). Autrement, comment peut-on expliquer que le poisson ne soit pas à la portée du citoyen lambda, alors que nos côtes sont réputées les plus poissonneuses du monde ? Un autre exemple : les prix de l’électricité qui rendent malades les chefs de famille chaque 2 mois (leur périodicité) alors que la Mauritanie, comme ses partenaires de l’OMVS, bénéficie des « bienfaits » des barrages de Diama et de Manantali. Je crois que sur la question de la montée des prix, les pouvoirs mauritaniens ont fini de trouver leur solution, comme ce mauvais praticien qui, à défaut de faire baisser la fièvre, a préféré casser le thermomètre…
Il est souhaitable, outre l’urgence d’un dialogue inclusif avec l’opposition pour apaiser le climat politique, que le nouveau pouvoir tende aussi la main à la société civile dont le rôle est essentiel dans le développement du pays ; société civile qui, malheureusement, a été marginalisée pendant toute cette dernière décennie.
Propos recueillis par Dalay Lam