On a tant parlé de tout qu’il n’y a plus rien à dire, à quelques jours du départ d’un homme qui « a fait debout le monde et ne l’a pas assis ». Un homme bien. Un homme franc. Un homme blanc. Un certain homme qui a fait quelque chose, même si d’aucuns peuvent dire, un peu à juste raison, que nous, les gens du Calame, sommes comme le chien qui n’aime que celui qui l’étrangle. Il a bien fait quelque chose et ce n’est pas louanges du mort. Cet homme qui va partir dans quelques jours laissera le souvenir de onze ans de pratiques présidentielles controversées. Depuis la promesse de « partager la justice » jusqu’à celle de « suivre tous ses projets, même en dehors du Palais ». Onze ans où les Mauritaniens auront tout vu, tout entendu, tout connu. Depuis le renversement du premier président démocratiquement élu, avec un peloton de parlementaires soutenant, organisant et justifiant le coup d’Etat, jusqu’à une lutte, annoncée sans merci, contre la gabegie, jusqu’à la balle de Toueila, aux enregistrements d’Accra, aux affaires Omar Sahraoui ou prétendus accords avec Al Qaida, jusqu’à beaucoup d’autres choses que ma tête a « fuité », aux Bouamatou, Imam Cha’vi, Ould Ghadda, Birame, hommes d’affaires, écoles, ventes aux enchères, attaques de Nouakchott et autres n’importe quoi. Ou encore que je sache, l’emprisonnement des journalistes accusés de connivence avec des criminels transfrontaliers, les amendements constitutionnels, les trente-trois sénateurs qui firent éclater une bombe sur la présidence, la modification des emblèmes nationaux, drapeau et hymne national, les dialogues 1 et 2, l’élection présidentielle de 2014, les législatives et z’aidez-moi à me rappeler encore de quelque événement des onze ans d’un fonceur n’hésitant jamais à mettre les deux pieds dans un tout petit plat et éclabousser tout le monde. Un homme dont j’aime le style baroudeur, belliqueux, provocateur. Un homme qui fit bataille contre les individus, les groupes, les partis politiques, les ONGs, les institutions. Il y eut Ould M’Khaitir. Il y eut l’incinération des livres malékites, la profanation du Saint Coran. L’homme est resté lui-même, soufflant tantôt le froid, tantôt le chaud. Un homme que j’aime pour son arrogance à point nommé. Un homme qui sut, à lui seul, dompter les Mauritaniens de tous bords, toutes tendances, toutes obédiences. Moi, je vais le regretter. Lui seul est capable d’administrer nos incohérences ataviques, profondément ancrées sur des bases tellement fortuites, tellement inintelligibles qu’il faut du n’importe quoi pour les gérer. Il y eut les accords de pêche sur vingt-cinq ans. Il eut des ministres-phénomènes. Il y eut des responsables atypiques par leur comportement et déclarations. Onze ans de « ferme ta frimousse et marche ! ». Onze ans de rangs et fesses bien serrés. Onze ans pendant lesquels personne ne put respirer sans permission réglementaire. Onze ans d’un seul régent de tout. Depuis l’affectation d’un manutentionnaire dans une école de Fassala à la nomination du plus haut fonctionnaire de la République. Un homme dont j’aime la poigne, dont j’admire l’insolence frisant le mépris, dont je respecte la fermeté. Il faut être ou ne pas être. C’est comme ça, un homme de pouvoir. Insulter, s’il le faut. Blâmer, vouer aux gémonies. Un homme qui a fait quelque chose. Qui va quitter. Qui va peut- être même manquer. Rue Aziz, marchés Aziz, poisson Aziz, monnaie Aziz, drapeau Aziz, hymne Aziz : au moins ça, ça va rester. Aéroport Aziz, Palais des congrès Aziz… Un homme qui sera allé jusqu’au bout de ses mandats. De ses promesses même. Un homme qui a connu les Mauritaniens et qui l’ont connu. Il y eut « Aziz, ne nous quitte pas ! ». Il y eut « éteins, éteins la télévision ! » Un homme caractériel qui fit quand même quelque chose : apprendre à tout le monde à respecter le chef. Tout simplement, sans piper mot. Salut.
Sneiba El Kory