Impliqué dans la tentative avortée de coup d’état, menée par des officiers négro-mauritaniens en 1987, le lieutenant Ba Abdoul Qoudouss sera extradé par l’Algérie où il suivait une formation. Envoyé dans le fort mouroir de Walata, il trouvera la mort. Le colonel (E /R ) Oumar Ould Beibecar, qui l’a connu à l’EMIA d’Atar, nous retrace son parcours.
J’ai connu le lieutenant Ba Abdoul Qoudous, à l’Ecole Militaire Inter-Armes d’Atar, entre Décembre 1980 et Juillet 1982. Dans la promotion du lieutenant Ousmane Seidi Sarr, première des élèves-officiers d’active, nous étions de la même 2ème brigade, celle des francisants. Il portait le numéro d’ordre 202 et moi le 222. La promotion comptait aussi une troisième brigade, celle des arabisants. La première brigade n’était pas de notre promotion, il s’agissait de la promotion ORSA : Officiers de Réserve en Situation d’Active.
A l’EMIA d’Atar, les bourses des élèves-officiers et des stagiaires étaient paradoxalement diverses. Les stagiaires officiers de réserve en situation d’active percevaient, mensuellement, 14000 ouguiyas, les élèves-officiers de l’armée nationale, 570 ouguiyas, alors que ceux de la Garde nationale en recevaient 5500. Au cours du weekend clôturant la fin du premier mois, les élèves-officiers de l’armée nationale furent convoqués, par l’officier de permanence, pour recevoir leurs salaires mais celui-ci exigea qu’ils se présentent en rampant, ordre qu’ils exécutèrent immédiatement, sans hésitation ni murmure.
Après avoir perçu, tous deux, leur montant de 570 ouguiyas, le 201, notre doyen feu Mohamed Lemine ould El Bah s’adressa ainsi au 202, son second : « Ba Abdoul Qoudouss, toi, tu n’es pas normal d’avoir abandonné un salaire de 80 000 UM, dans une grande société, pour venir à l’armée qui commence par ne te donner qu’une solde mensuelle de 570 UM ; avec pour seule perspective en cas de réussite, qu’un salaire mensuel de sous-lieutenant ne dépassant pas 15000 UM ». Ba Abdoul Qoudouss répondit par un large sourire. Et, certes, nous étions tous surpris par la démarche de ce brillant ingénieur. A plusieurs reprises, je lui en demandai, personnellement et en aparté, les vraies raisons. « C’est ma conviction », me répondit-il à chaque fois, « j’aime le métier des armes et l’argent ne m’intéresse pas. Moi aussi, je suis étonné par vos appréhensions ».
Nous étions tous bons amis. Dans une promotion des forces armées, élèves officiers, sous-officiers ou hommes de troupe, les relations qui se tissent sont plus fortes que les relations tribales ou communautaires, car ils sont unis pour un même destin, appelés à mourir sur le même champ de bataille, défendant le même idéal.
Traitement inhumain
Malheureusement, le lieutenant Ba Abdoul Qoudouss mourut enchaîné ; il aurait même gardé ses chaînes après sa mort, disent certains, ajoutant qu’on m’avait posé le problème et que j’avais donné des instructions fermes pour les maintenir. C’est archifaux. Je savais, certes, qu’il portait des chaînes, à l’instar de cinq ou six autres officiers. Mais ni le lieutenant commandant de l’escadron ni l’infirmier d’Etat qui étaient tous les deux en contact radio avec moi ne m’avaient questionné sur l’opportunité ou non de les lui enlever. Et quand je suis revenu, le lendemain, au fort, je partis directement prier devant sa tombe, pour le repos de son âme.
Personnellement, je n’ai appris cette regrettable et malheureuse situation qu’en 1999, en lisant le livre de mon frère et ami Boye Alassane Harouna, ‘’J’étais à Walata’’, page 138, ou il écrivait : « Sous l’effet du béribéri, il avait pris beaucoup de poids. De corpulence moyenne, il faisait alors deux fois son poids normal. Il s’était laissé pousser une longue barbe. Quelques jours avant de nous rejoindre dans notre salle, on pouvait très souvent le voir assis, à l’entrée de la chambre de « la bande des quatre », lisant le Saint Coran.
Sa mort intervint moins d’une semaine après son retour en notre salle. Elle fut soudaine. Son alitement, consécutif à un malaise, anodin en apparence, n’excéda pas quarante-huit heures. Il souffrait tant que nous demandâmes aux geôliers, eu égard à son état de santé, de lui retirer ses chaînes des pieds, pour le soulager de leurs poids et encombrement. Malgré notre insistance et l’état du malade qui empirait, les geôliers refusèrent de satisfaire notre demande. »
Je profite de l’occasion pour présenter toutes mes excuses, à l’épouse d’Abdoul Qoudouss, à son fils, à ses compagnons, à tous ses proches ainsi qu’à tous ceux qui se sont indignés, en apprenant cet inopportun et inhumain traitement. Puisse Le Tout-puissant l’accueillir en Son paradis.
Suite à son arrestation, Abdoul Qoudouss fit la déclaration suivante, devant le procureur général : « A la fin de mes études au Canada et après avoir obtenu mon diplôme d’ingénieur des ponts et chaussées, à l’Ecole polytechnique de Montréal, je fus recruté par la SONADER, en qualité de chef du projet du Gorgol noir, avec un salaire mensuel de 80.000 UM. Au cours de mes missions au Fouta dans le cadre de ma fonction, j’ai vite constaté que le développement agricole était entravé par une véritable tare qu’on appelle l’esclavage.
Je me suis alors engagé activement dans le mouvement El Hor, pour mettre fin à ce fléau d’un autre temps. Dans mes démarches politiques, j’ai aussi compris que tout changement radical, dans l’amélioration des conditions sociales de ces populations, ne pouvait résulter que d’une prise du pouvoir politique par la force. C’est ainsi que j’ai décidé d’incorporer l’armée nationale.
En 1979, je déposai un dossier de candidature, comprenant mon diplôme d’ingénieur. Cela dut indisposer la commission de recrutement et elle rejeta ma candidature. En 1980, j’en redéposai le dossier avec seulement mention de mon Bac. J’ai alors pu participer au concours et être admis dans la première promotion d’élèves officiers d’actives 1980-1982 de l’EMIA d’Atar.
Au cours de mon séjour à Atar, je constatai que les officiers maures des forces armées n’étaient composés que de deux groupes : l’un issu des tribus guerrières nostalgiques d’un passé guerrier et amoureux du métier des armes ; le second d’autres tribus ; plutôt politisé, lui, et engagé dans les rangs des courants nationalistes arabes. Il n’y avait donc pas de place pour un Ba dans cette institution. En 1983, j’ai commencé à établir mes premiers contacts pour organiser la conspiration, suspendus inopinément, durant mon stage en Arabie saoudite, en 1985.
Ce départ en stage imprévu perturba le travail déjà entrepris et certains collègues, comme le lieutenant Soumaré Abdoul Aziz, m’accusèrent de compromission avec le pouvoir et se retirèrent du groupe. Dès mon retour, je n’en reprenais pas moins l’organisation de la conspiration. C’est malheureusement le Manifeste des FLAM, en 1986, qui compromit notre mouvement et le fit décapiter. Le Manifeste provoqua en effet une chasse aux sorcières, dans les rangs des officiers et sous-officiers négro-mauritaniens, donnant l’occasion, au colonel DJibril ould Abdallahi, d’ordonner un vaste mouvement d’officiers qui nous désorganisa complètement, entraînant la dislocation de nos cellules.
Départ avorté au Canada
En Septembre 1987, je fus envoyé en stage en Algérie. En Novembre, je fus convoqué, avec le lieutenant Sidi Mohamed ould Alem, par notre ambassadeur à Alger qui nous notifia notre départ, le lendemain, pour Nouakchott où nous devions rester une semaine, en vue du recensement biométrique en cours dans l’armée nationale. J’étais personnellement très content de retrouver les miens et de passer quelques jours de vacances chez moi. Arrivé à l’académie, je fus cependant surpris par la présence, à la porte de ma chambre, de deux officiers se prétendant du renseignement algérien. « On a besoin de toi », me dirent-ils. « Entrez », répondis-je, « vous êtes les bienvenus ».
L’un d’eux prit la parole : « Tu dois rentrer demain à Nouakchott par le vol d’air Mauritanie. – Oui mais juste pour des formalités administratives, je dois revenir la semaine prochaine. – Non. Si tu rentres demain à Nouakchott, c’est pour y être arrêté, pour tentative présumé de coup d’Etat dont certains auteurs t’ont dénoncé. Mais, considérant que tu es un excellent officier, très compétent, nous avons jugé utile de te préserver, pour l’intérêt de ton pays, et nous te demandons de ne pas quitter l’Algérie. Nous te garantissons que tu ne seras jamais extradé vers la Mauritanie. – Ok, d’accord ».
Dès l’issue de cet entretien, j’appelai la mère de mon enfant, une canadienne résidant au Canada, en lui demandant de s’enquérir de la situation à Nouakchott et de m’en informer. Peu de temps après, elle me confirma qu’il y avait des arrestations dans les rangs des officiers et sous-officiers négro-africains, au sujet d’une tentative de coup d’Etat, et me proposa de m’envoyer mon billet pour le vol d’Air-France vers le Canada, prévu le lendemain, deux heures après le décollage d’Air-Mauritanie. J’acceptai cette offre. Je pris alors pris mes bagages, les consignai à l’aéroport d’Alger, en ne gardant qu’un cartable en main.
Le lendemain, lors de l’embarquement dans l’avion d’Air-Mauritanie, je remis mon cartable au lieutenant Alem, en lui disant : « Mon lieutenant, garde mon sac un moment, je déteste pisser dans l’avion, je vais aux toilettes et reviens dans cinq minutes ». N’ayant aucun bagage enregistré à mon nom, le pilote ne prit pas la peine de m’attendre et l’avion décolla aussitôt, pour un vol de quatre heures. De mon côté, je récupérai mes bagages en consignation et me rendis au bureau d’Air-France où je trouvai mon billet réservé pour le vol qui devait décoller deux heures plus tard.
Rassuré par le fait que le lieutenant Alem ne pourrait plus me dénoncer, avant son arrivée à Nouakchott, dans quatre heures, j’accomplissais tranquillement mes formalités et m’installai dans les salles d’embarquement, en attendant le décollage pour le Canada. Mais, au moment d’embarquer dans l’avion, quelle ne fut ma surprise d’être interpellé par le binôme d’officiers des renseignements qui m’avait entretenu, la veille, dans ma chambre à l’académie de Cherchell.
« Mon lieutenant », me disent-ils en aparté, « tu es en train de partir pour le Canada, ce n’est pas ce qui était convenu entre nous. – Mais pourquoi m’empêcher de rentrer chez-moi, alors que je dois rendre des comptes à la justice de mon pays, et me refuser de partir au Canada où je serai en lieu sûr, auprès de mon épouse et de mon enfant ? Je ne comprends pas. – Mon lieutenant, il te faut rentrer à l’académie et terminer ton stage tranquillement. D’ici là, la situation dans ton pays peut changer et, dans tous les cas, tu ne seras pas rapatrié, comme promis. »
Déçus par ce dénouement malheureux, je pris un taxi de l’aéroport pour me rendre à l’ambassade de Suède représentant les intérêts du Canada, dans l’espoir d’y obtenir l’asile politique. Après avoir accompli les démarches nécessaires auprès des autorisées canadiennes, la mère de mon enfant m’apprit que, pour bénéficier de l’asile politique, il fallait absolument établir une demande de démission, en bonne et due forme, auprès du gouvernement mauritanien, par la voie des autorités algériennes, en y précisant mon renoncement à tous mes droits. Ce que je fis.
Après une semaine de tractations, entre le gouvernement algérien et les ambassadeurs européens accrédités à Alger, on décida de me mettre à la disposition des Nations unies, par le biais du HCR, pour me conduire au Canada. Le lendemain, on me mit dans un avion prétendument à destination de Montréal, mais, jetant un coup d’œil sur les passagers, je vis beaucoup de femmes voilées à la mauritanienne. Il y avait également des éléments de la sécurité algérienne à bord de l’avion. Ainsi persuadé que ma destination était Nouakchott, je me résignai et me confiai au Tout-puissant.
Arrivé à destination, je fus cueilli par des éléments de l’armée nationale. Je pensais que mes amis allaient attendre mon retour mais les choses semblaient s’être précipitées et ils avaient décidé d’exécuter le coup d’Etat sans moi. »
C’est donc bien le gouvernement algérien qui est responsable du sort du lieutenant Ba Abdoul Qoudouss. Compte-tenu de l’implication des Nations unies, par le biais du HCR, ses ayants droit doivent nécessairement porter plainte contre le gouvernement algérien, auprès des juridictions internationales, pour obtenir une diya fixée par la Chariaa. Cette démarche n’exclut évidemment pas l’entière responsabilité du gouvernement mauritanien. Elle exige, elle, un procès en bonne et due forme, pour punir les criminels et définir les réparations qui s’imposent, au profit des victimes et de leurs ayants droit. (A suivre).
Oumar Ould Beibecar