Depuis la première élection présidentielle de l’ère démocratique, en 1992, et à quelques exceptions près, les lendemains d’élections se ressemblent en Mauritanie. Le vainqueur et son camp proclament leur victoire, avant même qu’elle ne soit officiellement annoncée. L’opposition crie au holdup électoral, oubliant, mémoire courte, que sa participation équivalait à une caution d’un processus fourbi d’avance. Dépités, des militants descendent dans la rue, cassent quelques vitres de voiture, avant d’être réprimés, violemment, par les forces anti-émeutes. Et, en 24 heures, le sort en est jeté. L’élection qu’on vient de vivre n’a, jusqu’à présent, pas dérogé à cette règle semble-t-il immuable. Les quatre candidats de l’opposition ont rejeté les résultats de la consultation, alors même qu’ils n’ont pas été proclamés officiellement par la CENI. Au cours de la journée du vote, ils ont signalé, à cette structure chargée d’organiser celui-ci, plusieurs irrégularités qui seraient, selon eux, de nature à fausser les règles du jeu. Mais les dés étaient pipés. Participer à une élection, sans être représentés dans la commission électorale et sans un minimum de garanties de transparence, ne peut que déboucher sur un tel résultat : leurs yeux pour pleurer, pendant les cinq prochaines années. Et continuer à protester et contester à loisir. Ils l’ont fait « pour » Ould Abdel Aziz, pendant dix ans, après avoir légitimé son élection en 2009, avec leur participation aux Accords de Dakar. Chat échaudé devait pourtant craindre l’eau froide. Mais rien n’y fait. Il est quelque part écrit que notre opposition restera toujours ce qu’elle est. Roulée dans la farine à chaque élection, sans jamais tirer les leçons de ses échecs répétés. Cette fois encore, Ould Abdel Aziz qui n’a pas réussi, malgré plusieurs tentatives, à décrocher un troisième mandat, a tout fait pour jeter le discrédit sur la consultation. Après avoir fait miroiter, à l’opposition, une participation à la CENI, il a fait machine arrière, lui faisant perdre un temps précieux, en négociations aussi longues qu’inutiles. Il ne restait plus, à cette infortunée, qu’à boycotter l’élection, contre l’avis de ses militants, ou participer et cautionner un processus sur lequel elle n’avait aucune prise. Le vin est tiré. Faut-il pour autant le boire ?
Seul point positif, et non des moindres, de cette élection : elle consacre l’alternance au pouvoir. Celui qui mit le pays en coupe réglée, pendant onze ans, n’aura plus – c’est, en tout cas, ce que tout le monde espère – voix au chapitre. Il n’a d’ailleurs plus aucune possibilité de réaliser un comeback, la Constitution est explicite sur ce point. Le titre d’ancien Président, dont il n’a jamais rêvé, devra donc suffire à son bonheur. Mais il laisse un lourd héritage à son successeur : des secteurs sociaux moribonds, un chômage au zénith, une dette record, un tissu social en lambeaux, une situation politique délétère, une économie exsangue. Bref, un cadeau empoisonné. Ghazwani réussira-t-il à recoller les morceaux ? C’est avec la meilleure volonté du monde qu’il lui faudra, d’abord, gérer l’après-élection, en évitant de s’enliser, comme son prédécesseur, dans une crise politique sans issue. Comment ? Engager, dès à présent, un véritable dialogue qui débouchera sur des élections législatives et municipales anticipées consensuelles et faire participer, pourquoi pas, l’opposition qui le désire, à un gouvernement de large union nationale. En cette période charnière de son histoire, le pays a besoin de tous ses fils et filles ; tout le monde gagnera à vivre, enfin, une situation politique apaisée. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’il tournera la page d’une décennie de privations et de frustrations populaires croissantes. Qu’il ne s’y trompe pas : aussi traditionnelle et programmée paraît sa victoire express, elle est un trompe-l’œil d’un cyclone dont il lui faut conjurer, sans tarder, la fatalité.
Ahmed ould Cheikh