Le Calame : Vous venez de réitérer, le dimanche 9 juin, au stade de la capitale, le soutien de votre parti APP au candidat Ghazwani, ceci, après l’avoir annoncé, une semaine auparavant à l’ancienne maison des jeunes. Une seule fois ne suffisait pas ? Le meeting de la capitale ressemblait fort à un défi, disons une réponse à ceux qui ont crié, après l’annonce à la maison des jeunes qu’APP ne pouvait rien apporter au candidat Ghazwani ? Pensez-vous que le défi a été relevé par la mobilisation au stade
Messasoud Boulkheir : Les deux sorties que vous évoquez sont indépendantes l’une de l’autre, car si la manifestation de la Maison des Jeunes avait pour principal objectif d’annoncer publiquement la position du Parti, la seconde organisée au stade annonçait, quant à elle, notre entrée dans la campagne électorale, campagne que nous avons tenu à mener indépendamment de celle du candidat que nous avons choisi.
Pour le reste, il appartiendra à chacun de solder ses comptes à sa guise. Ce qui est sûr en ce qui nous concerne, nous avons toujours fait ce que nous avons choisi de faire, loin de tout défi, mais sans nous préoccuper de ce qu’en diraient les autres, qu’ils soient adversaires ou sympathisants ou neutres…
- Ce soutien d’APP au candidat Ghazwani est le résultat de longues négociations et une visite qu’il vous a rendue à domicile. Quelles sont les principaux termes de cet accord ?
- Comme d’habitude, les questions essentielles ont été dans l’ordre l’exigence d’œuvrer à la consolidation de l’Unité nationale, de l’enracinement de la démocratie et du respect des droits humains, de la bonne gouvernance qui implique plus d’engagement de l’Etat au bénéfice des laissés pour compte et enfin l’implication de A.P.P, dans les limites du possible dans la gestion des affaires publiques…
-On vous connaissait hostile ou farouchement opposé aux différents régimes militaires qui se sont succédé à la tête du pays. N’est-ce pas surprenant de vous voir derrière un général à la retraite et qui de surcroit porte la responsabilité sur la gestion du pays ces dix dernières ? Est-ce à dire que le départ des militaires du pouvoir n’est plus d’actualité?
- Si mon opposition a surtout été remarquée sous les régimes militaires, c’est que ces derniers ont été très longs, comparativement au premier régime civil qui n’aura duré que 18 ans, mais cette opposition est beaucoup plus à la manière de gouverner qu’à la typologie vestimentaire de celui qui gouverne.
Je m’étais aussi opposé, à ma manière et dans la limite de mes possibilités, au premier régime civil. N’est-ce pas sous lui qu’à débuté ma dénonciation publique et solitaire de l’esclavage en 1962 ou 1963 au cours d’une réunion des cadres présidée par le très respecté Ministre de l’Intérieur ou Permanent du B.P.N., Ahmed ould MOHAMED SALAH ?
C‘est également sous le régime civil qu’a été fondé le Mouvement ELHOR !
L’extrapolation que vous faites vous appartient et il ne m’appartient pas de la commenter… Je reste égal à moi-même et la lutte continue dans le respect strict de la Constitution qui interdit aux militaires en exercice de diriger le pays, comme elle leur interdit de prendre le pouvoir par la force…
- Qu’est-ce qui vous pensez que le candidat Ghazwani gérerait le pays différemment de l’actuel président ? Ould Abdel Aziz ne s’était-il pas proclamé président des pauvres et pourfendeur de la gabegie avec le résultat que l’on sait?
- Je n’en pense que du bien et le soutien que lui apporte A.P.P. en est l’illustration la plus évidente. Notre souhait le plus ardent est qu’il ne marche pas dans les traces de son prédécesseur et qu’il s’en affranchisse, au contraire, au plus vite s’il était élu…Ce qu’avait dit ou tu le Président sortant est maintenant dépassé et il est loisible à tout un chacun de le commenter à l’envi…
- Certains observateurs se demandent si, une fois élu, le président Ghazwani pourrait s’émanciper totalement de son alter ego qui l’a désigné comme dauphin et son candidat. Ils craignent qu’il devienne tout simplement le Medvedev mauritanien. Vous n’avez pas ces craintes, vous ? Pensez-vous que les différents soutiens du cercle du pouvoir en place lui laisseraient les mains libres pour conduire les réformes que vous attendez de lui ?
- Toutes ces craintes et ces interrogations bien justifiées ont été balayées par le choix du Parti de soutenir ce Candidat dans l’espoir qu’il saura démentir tous les sceptiques oiseaux de mauvais augures…
- Dans votre discours au stade de la capitale, vous n’avez pas été tendre avec la gouvernance d’Ould Abdel Aziz que vous avez pourtant soutenu durant ces dix dernières année même si on sait que, cette espèce d’alliance a connu des hauts et des bas. Que reprochez-vous au président Ould Abdel Aziz ? Vous lui reconnaissez quand même ce bilan positif sur la sécurité et la stabilité du pays ? Que pensez-vous, au passage, de la vente par le gouvernement de la mine de F’Derick à une société australienne ?
- Quelles que soient les relations que j’ai pu avoir avec le Président sortant, elles ne se sont jamais eu pour base la renonciation à notre statut d’opposant qui implique la dénonciation et la stigmatisation de la gestion des affaires publiques. Certes, pour nous être bénévolement investis dans le rapprochement de la Majorité et de l’Opposition dans la cadre d’un Dialogue national inclusif, nous avons tactiquement opté pour une ligne intermédiaire, permettant de nous ménager une entrée ici et là, sans rien céder cependant sur les fondamentaux…C’est cela qui nous permet aujourd’hui, à l’heure du bilan, de dire que nous avons toujours été en désaccord sur tout ce qui concerne la bonne gouvernance, sans toutefois nier ou minimiser la stabilité qui a caractérisé la décennie, même si elle n’a pas réussi à permettre la réalisation des grands chantiers indispensables à la survie du pays.
C’est un dossier que je ne maitrise pas bien et en l’absence d’une expertise crédible, je ne vais pas me prononcer…
- Au cours de ce même discours, vous avez déclaré, comme Ould Abdel Aziz qu’il n’y aura pas de 2e tour, que le candidat Ghazwani sera élu au premier tour. Peut-on connaître les raisons ? N’êtes-vous en train d’accréditer les thèses des candidats de l’opposition qui accusent le pouvoir de préparer un hold up électoral ?
- Ma déclaration n’avait aucun caractère affirmatif et se contentait d’exprimer un souhait…
- Au lendemain des dernières élections municipales, législatives et régionales, vous aviez réclamé, dans une interview au Calame, la refonte de la CENI pour tenir compte de la nouvelle donne politique, ajoutant que la meilleure manière de le faire c’est d’organiser un dialogue inclusif. En vain. Pensez-vous que la CENI, dans sa configuration actuelle peut organiser, en toute indépendance le scrutin présidentiel du 22 juin 2019 ? Que pensez-vous du refus du gouvernement de la présence d’observateurs de l’UE lors de cette présidentielle ? Que pensez-vous de l’attribution du marché d’impression des cartes d’électeurs à l’imprimerie du patron des partons mauritaniens, Zeine El Abidine, très proche du président Ould Abdel Aziz ? L’opposition crie au « délit d’initié ». Vous en pensez quoi ?
- Je dis très sincèrement et très clairement que l’Opposition avait le droit d’être représentée dans la CENI et que son absence entachera sûrement la crédibilité de cette Institution qui a déjà du plomb dans l’aile suite aux nouvelles configurations politiques de ces derniers temps.
Je pense également que ces malheureuses décisions auraient dû être évitées car dans le domaine électoral la crédibilité des opérations dépasse dans l’opinion leur résultat.
- Parmi les points discutés avec le candidat Ghazwani figure la question de l’unité nationale au cœur des débats de toutes les chapelles politiques. On redoute même aujourd’hui des votes identitaires, tribaux et régionaux. Comment, à votre avis, la Mauritanie en est arrivée là ? Quelles sont les causes de cette montée du communautarisme en Mauritanie ?
- La cause première est et sera toujours la mauvaise gouvernance. Il peut s’ajouter à cela la mauvaise appréciation et la mauvaise gradation de l’échelle des valeurs, le tout sous-tendu par l’inexpérience de la chose publique.
- L’opposition mauritanienne n’a pas réussi à s’entendre sur un candidat unique, elle est répartie, comme celle dite dialoguiste autour des prétendants à la présidence. Qu’est-ce qui, à votre avis explique le fait que vous n’arrivez pas à vous entendre pour imposer au pouvoir un rapport de force en faveur de l’opposition? Au passage quels rapports entretenez-vous aujourd’hui avec l’opposition (FNDU ou AEOD) ?
- Je pense que le l’obstacle premier est la multiplicité et la diversité des intérêts prioritaires des différents partis d’opposition. Si chacun taisait momentanément ses appétits personnels et/ou partisans au profit du seul intérêt national, un terrain d’entente et un point d’accord seraient vite trouvés.
Je constate qu’ils n’ont désormais pour unique objectif que de m’écraser comme une vermine et qu’en conséquence je n’ai d’autre choix que de rester sur la défensive.
- Pensez-vous qu’elle survivra à cette présidentielle ? L’organisation d’un dialogue politique national inclusif acceptée par le candidat Ghazwani pourrait-elle être une chance pour sa recomposition, voire son sursaut ?
- Elle survivra certainement mais recomposée…
- Votre avis sur le Manifeste pour des droits politiques, économiques et sociaux des Haratines qui a célébré son 6eanniversaire, si je ne m’abuse, et des mesures prises ces dernières années dans la lutte pour l’éradication de l’esclavage ?
- Né pour enterrer ou se substituer à ELHOR, le Manifeste de Un devient plusieurs. J’attends de savoir de vous de quel Manifeste vous parlez.
-Que pensez-vous du règlement du dossier dit passif humanitaires ?
- Depuis le coup d’Etat qui a déposé SIDIOCA, je n’en ai plus entendu parler, les Communautés dites concernées ayant décidé de se prendre en charge à l’exclusion de toute autre interférence.
Je rappelle seulement que c’est le même virus qui a atteint ELHOR, mais aussi LE MANIFESTE.
Un adage populaire Hassani dit «que les rapaces tuent et les charognards profitent.»
Propos recueillis par DL