La routine guide le monde. Emmanuel Kant, grand philosophe allemand, disait, lui, que c’était l’habitude. Pas moins que ça, pour la Mauritanie d’aujourd’hui. C’est vraiment la routine. L’habitude, les mêmes rituels. Exactement pour tout le monde. Pour toutes les institutions. Prenons, au hasard, quelques personnalités ou institutions. Et, c’est connu, à tout seigneur, tout honneur. Le président, par exemple. Depuis qu’on l’a connu président, chaque année, c’est un paquet de voyages. Parfois au tout bout du Monde. Parfois tout près. Juste le lancer d’un bâton. Une fois pour aller assister à une exposition. Une fois pour partager les fêtes d’indépendance avec des amis. Parfois pour aller faire des choses que personne ne sait, mais qui peuvent avoir liaison, pour user d’un jargon militaire, avec sa petite histoire de balle et sa petite égratignure que les gens de nombreuses affaires ont agrandi sans raison, sauf l’aigreur, la méchanceté et le mépris des directions nationales exagérément et pompeusement éclairées. Chaque année depuis qu’on a connu le président, c’est une quarantaine de conseils de ministres où l’on raconte presque toujours la même chose : communiqués des ministres des Affaires étrangères, de celui de l’Intérieur et de la décentralisation et, occasionnellement, d’un quelconque autre ministre. Puis les mesures individuelles. Celui-là promu, celle-là relevé, celui-là rabroué en public, celle-là chérie en privé. Chaque année depuis qu’on a connu le président, ce sont quelques visites prétendument inopinées mais qui ont l’intelligence de mobiliser, sur le terrain, tous les responsables de tutelle de l’institution visitée. En cela, le centre d’oncologie détient la palme de l’établissement le plus visité. Chaque année depuis qu’on a connu le président, ce sont fréquemment des menaces, envers les potentiels probables (excusez l’amalgame) « voleurs » des choses de la « res publica ». Le premier des ministres ne fait, lui aussi, que de la routine. Recevoir les ministres pour « instructions ». Recevoir les notables et chefs de tribus pour recueillir leurs doléances. Recevoir les chefs de mission des institutions internationales de passage en Mauritanie. Accueillir le Président et le raccompagner, en cas de voyage, jusqu’à la passerelle de l’avion. Sinon, quoi d’autre, pour un Premier ministre, dans un pays comme la Mauritanie ? Les ministres. C’est quoi, en réalité ? Assister aux conseils des ministres. Voyager avec le Président. Recevoir des députés et autres hommes politiques dans leurs bureaux (oui, au pluriel, il y en a au moins deux, sans parler des ixièmes). Téléphoner longuement. S’éclaffer de rire longuement. S’assoupir longuement, sur un fauteuil, les pieds en haut. Pour certains, évidemment. La boutique centrale de Mauritanie, elle fait quoi ? Garder l’argent, ce qui n’est pas une mince affaire. Et si l’on croit « Gorgorlu », il y en a beaucoup. Des centaines de milliards. Mais à quoi sert l’or, quand on passe la nuit avec le ventre creux ? La boutique de Mauritanie garde les devises. La boutique centrale de Mauritanie monte et descend. Elle surveille la présidence et renfloue ses caisses, au besoin. Elle est discrète et ne fait ni d’histoire ni de géographie. La SNIM : vend le fer. Organise des salons. Recrute les fils à papa et les gendres aux attaches bien ancrées. Finance les campagnes électorales. Régit les tâcherons et les commissionnaires. Croque les minerais et vient sur l’humide et le sec. Mais dans le « bon sens » et au profit des « bonnes gens ». L’armée : on sait plus si c’est la Grande Muette ou la Grande Gueule. Là aussi, c’est toujours la routine. Quasiment les mêmes chefs. Les mêmes manœuvres, au propre comme au figuré. Les anciens sont partis. Qui comme attachés militaires. Qui à la retraite. Toujours l’habitude des officiers retraités. Le recyclage en patron de sociétés de gardiennage qui recrutent les anciens militaires, gendarmes, gardes et autres anciens flics ou forestiers. Même routine, aussi, de redéploiement des hauts gradés, avec prudence, dans des postes suivant humeur et degré d’ambition. Routine ou habitude. Ainsi va la Mauritanie. Là où va son président, comme disait le regretté Habib.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».