La scène est surréaliste. Les réseaux sociaux s’en sont donné à cœur joie. En quelques heures, elle a fait le tour du Web... mauritanien. Lors de l’accueil du candidat Ould Ghazwani à Guérou, deux jeunes hommes en viennent aux mains, sous les tentes dressées pour la circonstance. Ils échangent quelques coups avant qu’on ne parvienne, difficilement, à les séparer. Les deux malabars sont de ces tendances politiques rivales qui déchirent la ville et avaient, apparemment, de vieux comptes à régler. L’organisation du meeting, l’arrivée du candidat et son accueil ont fini d’exacerber les tensions. Chacun voulant tirer la couverture à lui et se donner ainsi le beau rôle, au cas où Ghazwani réussisse à glaner la majorité des suffrages mauritaniens.
Quoique l’image soit des plus déplorables, n’accablons pas Guérou. Toutes les villes qui ont accueilli (ou accueilleront) le candidat étaient (et seront) des Guérous. Et toutes se sont employées (et s’emploieront), à donner, à la flagornerie et à la bassesse, leurs lettres de vulgarité. Des initiatives de soutien – familiales, s’il vous plaît ! – ont poussé comme des champignons, cadres dirigeants et intellectuels rivalisant d’ardeur, dans le lèche-bottisme, hommes d’affaires et politiques en rupture de ban se disputant les premières loges. Si bien que le candidat lui-même est apparu, à plusieurs reprises, perdu. Cerné de toutes parts, il éprouve toutes les peines du monde à prononcer son discours. Foule bruyante, sans sécurité ni protocole pour l’encadrer. Mais le programme est chargé, avec juste deux heures, trois tout au plus, à consacrer à chaque moughataa : il faut donc transiger et effectuer l’étape au pas de charge. Le discours est programmé, il faut le prononcer, quitte à ne pas être audible. La prochaine étape ne peut attendre. Bravant la chaleur, la poussière, la fatigue et la désorganisation des accueils, voilà le candidat bien au parfum de ce qui l’attend, s’il est élu.
C’est systématique, depuis la nuit de la République : chaque fois qu’un président ou potentiel président est annoncé à l’intérieur du pays, on bat le rappel des troupes. La population locale est envahie. Ceux des natifs de la ville qui l’ont abandonnée, depuis belle lurette, reviennent en force. « Moi devant ! » semble le non-dit le plus partagé, par tous ces assoiffés d’image, comme pour suggérer, à l’illustre hôte, que tout va bien, dans ce coin perdu. Voitures de luxe, ventres bedonnants et embonpoints prononcés, cette garde de circonstance fait écran, entre le président et une réalité souvent amère. Et de se targuer « grands électeurs », dans l’espoir de vendre un électorat fictif. Incessant manège, devant l’avènement de notre « démocratie » bizarre. Et, au vu de ce qu’on a vu au cours des derniers jours, on n’est pas prêt de sortir de l’auberge. Ould Ghazwani est averti : s’il ne veut pas courir à grandes désillusions, il lui faudra nettoyer – et vite… – le terrain : le peuple en a assez d’être systématiquement pris pour l’éternel dindon d’une farce de mauvais goût. Ces dix dernières années l’ont tellement épuisé qu’il ne sait plus à quel « saint » se vouer ni qui faut-il croire. Un certain « Président des pauvres » avait promis la lune : il l’aura tant traînée dans les caniveaux que d’aucuns désespèrent de jamais la revoir en sortir. Et quand le désespoir s’y met…
Ahmed Ould Cheikh