Cette question pertinente m’a été posée par une connaissance sur les réseaux sociaux. J’y ai répondu rapidement par l’affirmative sans avoir pu, faute de temps, développer ma réponse. Mais vu que l’adoption est une donnée courante dans le contexte occidental où très souvent les gens mélangent des règles, des logiques, des juridictions et des termes qui ne vont pas forcément de pair, je me suis dit qu’il serait mieux de développer la question pour que les uns et les autres comprennent les règles de l'adoption en Islam et sa différence avec celle occidentale, qui permet certaines possibilités non autorisées par notre religion.
En réalité, l’Islam ne s’oppose pas à l’adoption, surtout quand celle-ci est dans l’intérêt de l’enfant ou dans la consolidation des liens de famille et de parenté. D’ailleurs, très souvent, on voit des enfants, parmi lesquels des orphelins, qui sont adoptés par leurs oncles, leurs tantes, leurs grands-parents, les amis de leurs parents, etc.
Tout cela n’est nullement interdit par l’Islam, car il a pour but de raffermir les liens de famille ou de parenté, de ddévelopper l’amour entre les gens de la même famille, entre des voisins du même quartier, du même village ou de la même région, d'assurer le bien-être et l'épanouissement de l'enfant adopté. En un mot, tout ce qui contribue à raffermir ces liens est une recommandation religieuse, à condition qu’il n’enfreigne pas les règles de l'Islam en l'espèce.
Il est donc bel et bien permis d'adopter des enfants en Islam. Les exemples ne manquent pas. Mais cette permission d’adopter obéit à des règles strictes. En adoptant un enfant en Islam, on s’engage, après avoir eu l’accord de ses tuteurs légaux, à lui donner une bonne éducation, à prendre soin de lui, à ne pas lui imposer des contraintes qui vont au-delà de ses capacités physiques ou qui contribuent à sa perturbation. On s’engage également à lui assurer une bonne éducation religieuse. On doit également lui apprendre les règles de bienséance dans tous les domaines de la vie et de la société, à savoir, entre autres, les valeurs du respect, du partage, de justice, de tolérance, etc.
En adoptant un enfant, on doit savoir que, contrairement à ce qui se fait en Occident, on n'a pas le droit de faire de lui un héritier (sauf s’il l’est juridiquement déjà, à savoir par exemple quand on adopte l’enfant d’un frère en l’absence d’un fils ou d’un frère pour vous) ni de changer son nom de famille. L'adoption à la manière occidentale, qui consiste à faire de l'enfant adopté un héritier et à changer son nom ou, parfois, à effacer toute relation avec ses parents biologiques, est strictement interdite en Islam. Pour preuve, le Prophète PsL avait été adopté au moment de l’allaitement par la généreuse Halima de la tribu des Bani Sa'ad et, quand il avait perdu ses parents en bas-âge, par les membres de son patriclan (ses oncles paternels). Lui même avait par la suite adopté Zeyd ibn Hârith, mais il n'avait pas fait de lui un héritier, ni n'avait changé son nom. Vu le soin que le Prophète Muhammad accordait à ce fils adoptif, certains de ses compagnons commençaient à faire de lui un fils du Prophète PsL, en l’appelant, entre autres, Zeyd Ibn Muhammad. Et Allah, pour désapprouver un tel amalgame, dit au verset 41 de la sourate Al Ahzab [Les Coalisés], ceci :
Muhammad n’est le père d’aucun de vos hommes, mais il est le Messager d’Allāh, et le Sceau des Prophètes ; et Allāh a pleine connaissance de toutes choses.
D’ailleurs, le Prophète PsL se mariera plus tard avec Zaynab bint Jahsh, une femme que Zeyd avait divorcée, ce qui prouve que les liens d'adoption et les liens de filiation ne sont pas pareils en Islam. On peut le lire à travers le verset 37 de la même sourate :
Quand tu disais à celui qu'Allah avait comblé de bienfaits, tout comme toi-même l'avais comblé : "Garde pour toi ton épouse et crains Allah", et tu cachais en ton âme ce qu'Allah allait rendre public. Tu craignais les gens, et c'est Allah qui est plus digne de ta crainte. Puis quand Zayd eût cessé toute relation avec elle, Nous te la fîmes épouser, afin qu'il n'y ait aucun empêchement pour les croyants d'épouser les femmes de leurs fils adoptifs, quand ceux-ci cessent toute relation avec elles. Le commandement d'Allah doit être exécuté.
Toutefois, il y a des exceptions à cette règle qu'il serait important de souligner ici avant de poursuivre le développement : il peut arriver que le père adoptif et l'enfant adopté n'aient pas le droit d'épouser les mêmes femmes. Cette interdiction apparait quand l'enfant adopté est nourri, pour une raison ou pour une autre, au sein de la femme du père adoptif. Dans ce cas de figure, le père adoptif devient, en plus de son rôle d'adoption, un père de lait pour l'enfant adopté. Cela établira donc les mêmes interdictions entre l'enfant adopté et son père adoptif que celles qui existent entre lui et son père biologique, à la seule différence que l'un ne peut pas hériter l'autre. Il serait long de développer ces interdictions ici. En outre, si le père adoptif a pour épouse la mère de l'enfant adopté, il va sans dire que les interdictions restent partiellement valables, car l'enfant ne peut pas se marier avec sa propre mère, si son père adoptif venait à mourir ou à la répudier.
Pour revenir à l’interdiction de changer en toute connaissance de cause les noms de famille ou la filiation des enfants adoptés, il est question aux versets 4-5 toujours de la sourate Al Ahzab, de ceci :
Il [Allah] n'a point fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants. Ce sont des propos [qui sortent] de votre bouche. Mais Allah dit la vérité et c'est Lui qui met [l'homme] dans la bonne direction. Appelez-les du nom de leurs pères : c’est plus équitable devant Allah. Mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères en religion ou vos alliés. Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément. Allah, cependant, est Pardonneur et Miséricordieux.
Il ne fait pas partie des règles de l’Islam de confier l’adoption de son enfant à un non-musulman qui peut l’inciter à renoncer à sa religion, à manger ou à boire ce qui ne lui est pas permis, lui donner une éducation autre que celle recommandée par l’Islam, changer son nom de famille et faire de lui un héritier, alors que, dans les règles de succession en Islam, un musulman et un non musulman n'ont pas un lien d'héritage, quand bien même ils seraient père et enfant. L'un(e) n'hérite pas l'autre. Toutefois, il n'est pas interdit d'être généreux vis-à-vis de son enfant adoptif, et vice versa. Chacun peut librement faire un don à l'autre ou même faire un testament d'un don en faveur de l'autre dans la limite du tiers autorisé par l'Islam. Car, dans les règles testamentaires en Islam, on ne peut pas léguer plus du tiers de son bien à une tierce personne.
Il ne fait pas non plus partie des règles de l'Islam d'adopter dans le seul but de s’exonérer de faire des enfants. Un musulman qui se satisfait d'un enfant adopté, aussi pieux soit-il, au point de refuser de faire des enfants, n'a pas respecté la recommandation du Prophète PsL, qui nous a dit de faire des enfants pour que les gens de sa communauté soient plus nombreux le jour du Jugement dernier face à ceux des autres communautés. Il nous dit à ce sujet :
Mariez-vous avec des femmes douces et fertiles, car je me vanterai de votre nombre [par rapport aux autres communautés] le jour du Jugement dernier
Un autre élément est à verser à ce dossier complexe. Il n'est pas interdit d'adopter l'enfant qu'on a eu en dehors du mariage, mais les conditions de son adoption en Islam restent les mêmes que celles de tous les enfants adoptés : il ne peut pas hériter son géniteur, même si celui-ci devient son père adoptif, et le reconnaît comme enfant à part entière au regard des juridictions modernes, et vice versa. Toutefois, en plus de la bonne éducation que le père adoptif doit lui donner, il n'est pas non plus interdit que l'un bénéficie de la générosité matérielle de l'autre, et cela selon les règles de l'Islam en vigueur en matière de don et de testament, comme cela est développé plus haut.
En conclusion, on aura donc compris, à travers ce modeste texte, que l'adoption n'est pas interdite en Islam. Toutefois, elle obéit à des règles strictes et immuables. Elle ne doit pas être source de satisfaction au point de se priver de faire des enfants, ni un recours pour faire des tierces des héritiers. Car, aussi longtemps que l'on adopte un enfant, cela ne fera pas de lui un héritier désigné, si les liens de parenté et de religion qui vous lient ne le lui permettent pas. L'adoption est une responsabilité qui consiste à obliger le père adoptif à respecter l'enfant adopté, à l’honorer et à l'éduquer selon les règles développées supra. Elle n'a pas non plus pour but de dénaturer ou de désorganiser la filiation de l'enfant adopté au bénéfice d'une partie ou d'une autre. L'enfant adopté doit rester attaché à sa fratrie et à ses parents biologiques avec lesquels il y a un lien de sang et d'héritage. Tout ce qui sort de ce cadre ne relève pas des règles d'adoption en Islam. J'espère que ce texte, si modeste soit-il, contribuera à la compréhension de cette question théologique si complexe et si vaste. Allah est plus Savant !
Ce texte est dédié à mon père et mon maître : El Hadji Mahamadou Bouna WAGUÉ,
Le meilleur faqih et pédagogue qu’il m’est donné de connaître.