En démocratie ou Etat de Droit, alternance signifie substitution d’un gouvernement issu d’un parti politique donné, par un nouveau gouvernement provenant d’un tout autre parti de distincte obédience. Ce qui implique, nécessairement ou « automatiquement », la substitution du programme du premier par celui du second. Autrement dit, une conception d’ordre politico-économique, sociale et culturelle cède la place à une autre conception qui lui est naturellement concurrente. Opération qu’on peut qualifier de réel changement, sur le plan stratégique de gestion publique. En fait et contrairement à une opinion courante, la philosophie politique de l’alternance est à concevoir au niveau des modes d’expression du pouvoir, à distinguer de ses modèles. On devrait ici entendre par « modes d’expression du pouvoir », ceux du gouvernement et de ses dépendances, tandis que par « pouvoir politique dans un Etat démocratique », on l’entend plutôt correspondre au système, régime ou mécanisme réglementant le fonctionnement de l’État, en tant que personne morale de droit public, transcendant le cadre partisan des partis politiques. Le pouvoir politique, c’est donc la Constitution, son strict respect et son application, par lois votées par le Parlement, ainsi que par les règlements, pris en conformité avec ces deux sources du Droit. Dès lors, on comprend toute l’importance, dans un Etat démocratique, de la séparation garantie entre pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif. Pouvoirs qui ne sauraient avoir de valeur que par leur séparation, ce qui n’exclue évidemment pas leur agencement et coordination, conformément aux stipulations constitutionnelles, législatives et réglementaires convergeant à assurer la garantie et le respect, sans complaisance, de l’intérêt général : la justice. Le rôle d’un quelconque gouvernement n’est autre, en fait, que d’utiliser le modèle de pouvoir politique de l’État, en vue de concevoir et d’appliquer les légitimes politiques de son choix, sans pour autant oser enfreindre les principes et règles de fonctionnement institutionnel étatique. Gare donc à ce qu’un parti politique au pouvoir confonde le pouvoir politique de l’État avec son propre fonctionnement, en tant que parti politique ! En franchissant de telles limites de transcendance du pouvoir politique démocratique, un gouvernement remplacerait le modèle politique de l’État par l’intérêt partisan et transformerait le multipartisme en une simple figuration, juste bonne à légitimer l’unilatéralisme et la confiscation de la souveraineté du peuple, unique source valable du pouvoir politique. C’est dire, en quelque sorte, que pour parler d’alternance effective, en matière de gestion publique, encore faut -il qu’on soit, tout d’abord, dans un véritable Etat de Droit, capable de soutenir des élections libres et transparentes, intenables sans une administration indépendante des clivages partisans. Dans un Etat démocratique, les pouvoirs publics doivent strictement se conformer au principe de neutralité vis-à-vis de l’ensemble des partis politiques, sans exception aucune. Il appartient donc à l’administration publique d’observer la même distance, par rapport à tous les partis politiques engagés en compétition électorale. En l’absence de transparence et de liberté des élections démocratiques, il devient pratiquement impossible, voire hypothétique, d’assister à une quelconque alternance. Puisque le moyen d’accès au pouvoir reste celui des élections, il est plus qu’impérieux d’assurer, à chaque citoyen, le jeu de son libre arbitre, conformément au principe du suffrage universel. A défaut de quoi, l’organisation d’élections resterait un non-événement démocratique. Si les élections ne se déroulent pas dans les conditions susdites, conformément aux principes que j’ai décrits et sur lesquels tombent d’accord tous les constitutionnalistes de ce monde, ainsi que les Organisations nationales et internationales intéressées par la garantie des droits de l’homme, il faut plutôt parler de passation de service, continuité, préservation ou reconduction du statu quo par désignation, sans pour autant observer la simple formalité de réelle tenue des congrès des partis, supposée préludes à toute déclaration de candidature. Sans vouloir signifier, par cela, la disqualification de quiconque. Je suppose plutôt que n’importe quel citoyen, jouissant de ses facultés et d’une reconnaissable bonne réputation, dispose du plein droit, absolu, de se présenter à la magistrature suprême de l’Etat. Ce que je veux dire, c’est, tout simplement, qu’il devrait y avoir un minimum de procédure démocratique, dans le savoir-faire gestionnaire d’un parti politique, prélude impératif au processus de déclaration de candidature, surtout à la présidentielle.
Transcender la logique partisane
Comment n’est-on pas parvenu, jusqu’à présent, à adopter, dans les partis politiques, le mécanisme du « gouvernement d’ombre » ou « de fait », tel qu’il paraît exister, dans les pays de tradition démocratique, à l’instar de la Grande- Bretagne ou à l’image de tout autre Etat suffisamment digne du qualificatif démocratique ? En effet, c’est tellement pratique, en démocratie, que chacun des partis politique sache automatiquement transposer un tel mécanisme, dans la réalité, sitôt qu’il a eu accès au pouvoir, à l’issue d’élections libres et transparentes. Je sais cependant qu’une telle performance démocratique suppose une culture de la stabilité institutionnelle du pouvoir politique. Chose à laquelle est convié le prochain président élu en 2019. Appelons-le donc à intégrer, dans son programme électoral, le travail pour l’avènement d’un insoupçonnable Etat de Droit et qu’ensuite, le meilleur gagne ! C’est à ce prix que l’alternance existera et recouvrira sa pleine signification. A mon avis, le problème, en cet objectif de garantir l’alternance des gouvernements démocratiques ne se situe pas, forcément, au niveau des limites ou du nombre des mandats, mais bien plutôt dans l’absence de transparence du processus électoral. On constate que, s’il existe, de nos jours, des États démocratiques qui limitent les mandats présidentiels et gouvernementaux, d’autres les laissent ouverts, jusqu’à trois mandats. Néanmoins, une fois aménagée la limite des mandats, mieux vaut, en tout cas, la respecter. C’est une bonne chose de l’avoir été respectée, dans notre pays. Mais, qu’on soit tous honnêtes, entre nous-mêmes, et tirons la leçon de que toute alternance de gouvernements démocratiques reste hypothétique, sans la garantie d’élections libres et transparentes ! C’est la seule clef valable, pour accéder au pouvoir démocratique. Aucun gouvernement ne doit se confondre avec le pouvoir politique de l’État qui doit, lui, transcender la logique partisane. Et rappelons, pour conclure et pour l'Histoire, que si le premier gouvernement mauritanien issu de l'indépendance ne connut d'autre alternance qu’à sa déposition par coup d'Etat, en 1978, on en n’a jamais vécue, non plus, depuis cette date-là.
Mohamed NAFEH
Crel-Université NAA