Le dernier clap de fin de Med Hondo/par Didier Niewiadowski*

14 March, 2019 - 00:29

L’un des plus grands hommes de cinéma qu’a connu le continent africain vient de faire le clap de fin, le 2 mars 2019. Abib Mohamed Medoun Hondo dit Med Hondo s’en est allé à Paris, comme toujours dans la plus grande discrétion, mais les yeux tournés vers son tendre Adrar mauritanien. Né à Atar, le 2 mai 1936, dans la tribu maraboutique des Barikalla, le jeune Mohamed a vécu les derniers soubresauts du colonialisme et les premiers pas d’une indépendance mauritanienne qui ne fut pas aussi simple qu’on ne le pense parfois aujourd’hui. Cette période inspirera l’œuvre créatrice du digne successeur du Sénégalais Ousmane Sembène, le pionnier des cinéastes africains engagés.

Med Hondo précurseur de la question migratoire

Les enfants des Tirailleurs sénégalais, qui étaient aussi bien Maliens, Guinéens ou Mauritaniens, arriveront en France un peu avant et dès le début des indépendances. Ils n’étaient pas encore appelés « migrants » mais ils devaient déjà supporter les préjugés, le racisme ordinaire et l’économie informelle ignorant les droits fondamentaux de l’Homme et du citoyen. Med Hondo fut de cela, en débarquant à Marseille, en 1959, et en exerçant des boulots de survie.

Heureusement, le jeune Mohamed allait très vite se faire un nom, d’abord grâce au théâtre puis très rapidement grâce au cinéma. Med Hondo fut l’un des premiers à utiliser le 7ème art pour combattre l’injustice, le racisme, la privation de liberté des peuples, les crimes de l’humanité du colonialisme, les indépendances frelatées et la condition  souvent inhumaine des immigrés.

Ses films en tant que scénariste-réalisateur, comme  Soleil Ô en 1969, Bicots-négres, vos voisins en 1973,  West Indies, les négres marrons et la liberté en 1979, Saramounia  en 1986, sont devenus des classiques, récompensés dans les Festivals aussi réputés que ceux de Cannes, de Londres ou le Fespaco de Ouagadougou. Ils étaient programmés dans de nombreux ciné-clubs de métropole alors que leur distribution dans les salles de cinéma était problématique.

 

Med Hondo, le rebelle

 

Comme Ahmed Baba Miské, son aîné d’une année et appartenant à la même tribu maraboutique, proche des Reguibat, Med Hondo a défendu la cause des Saharouis. Son film de 1977 Nous aurons toute la mort pour dormir est un plaidoyer pour le Polisario qui venait de naître aux confins de l’Adrar. Med Hondo choisira plutôt la voie médiatique, les actions de la société civile et le cinéma tandis qu’Ahmed Baba Miské portera la cause sahraouie dans les enceintes internationales, avec une diplomatie agissante et par son œuvre littéraire. Med Hondo n’ira pas jusqu’à intégrer le Polisario. Il était davantage attaché à la vie réelle et quotidienne et était moins politique et idéaliste que son aîné.

Au-delà des approches différentes des problèmes contemporains, ces deux intellectuels ont partagé les qualités des grands penseurs mauritaniens qui sont une grande modestie cachant une érudition multiculturelle, une conviction inébranlable pour la défense des libertés et une certaine aversion du matérialisme, source de tant de déviances. 

Med Hondo et Ahmed Baba Miské resteront les grands témoins d’une époque qui peut paraître lointaine mais qui contient des germes des problèmes contemporains.

 

Paris, le 11 mars 2019 

*Professeur de droit à l’ENA et à la Faculté de droit

de Nouakchott (1976-1993)