Le 20 Février 2009, réuni à Paris, le groupe de contact (1) sur la situation en Mauritanie(2) conditionne la réalisation du projet des putschistes : anticiper l’élection présidentielle au 6 Juin. La France, présidente en exercice de l’Union européenne et du groupe de contact, a inspiré des « états-généraux de la démocratie » tenus à Nouakchott du 27 Décembre 2008 au 6 Janvier 2009. Ceux-ci laissent prévoir un scrutin le 30 Mai ou le 6 Juin. La France semble accepter ce processus depuis qu’en Septembre 2008 le secrétaire général de l’Elysée a été acheté par les putschistes((3), alors qu’initialement elle avait vigoureusement condamné le coup militaire, déposant le 6 Août 2008, le seul président de la République Islamique de Mauritanie à avoir été élu à l’issue d’un scrutin pluraliste – le 25 Mars 2007 – , à deux tours et observé par des centaines de représentants de diverses organisations internationales. Le groupe de contact prévient que l’élection dont le principe n’est pas contesté doit être « juste » et « libre ». « Elle doit aussi faire partie d’une solution globale, pacifique et démocratique à la crise, qui soit acceptable par le peuple mauritanien et qui jouisse de l’appui de la communauté internationale ».
Le mémoire de la junte pour l’organisation de la « transition » est jugé insuffisant mais comporte des « éléments substantiels en vue d’une sortie rapide la crise ». Le groupe de contact appelle donc tous les protagonistes à un « dialogue politique » sous les auspices du président en exercice de l’Union africaine. Or, ce président est le colonel Mouammar Kadhafi qui tranchera publiquement en faveur du putschiste, ce qui conduira – en rechange – aux pourparlers qu’organisera et zélera la France à Dakar. Pour l’heure, où le général Mohamed Ould Abdel Aziz n’a pas annoncé sa candidature, « ce dialogue, qu’il importe d’engager dans les plus courts délais, et dont la date, le lieu et l’organisation des travaux seront déterminés par l’Union africaine en relation avec les parties mauritaniennes, aura pour objectif de promouvoir le retour rapide à l’ordre constitutionnel au moyen d’une solution consensuelle qui soit acceptable pour le peuple mauritanien et qui puisse recueillir le soutien de la Communauté internationale ». Le principe de ce dialogue a déjà été accepté par le Front national pour la défense de la démocratie, aussitôt formé, le 6 Août 2008, pour défendre la légitimité du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et exiger son rétablissement. Les putschistes déclarent avoir « toujours été favorables au dialogue » et que la position du groupe de contact « réconforte » la junte dans ses préparatifs du scrutin présidentiel, prévu pour se tenir le 6 Juin prochain ! Au contraire, se présentant comme l’envoyé spécial du président déchu, Ould Abdeidna, reçu à Rabat opine (4) : « quand le chef de la junte est lui-même candidat, on connaît déjà le résultat. Les cartes sont truquées d’avance. On ne peut mettre sur la même balance un président élu et un putschiste. Il y a une opposition farouche au général, il faut qu’il s’en aille et commence à négocier une sortie honorable. Pour qu’il y ait des élections crédibles et surtout répondre aux attentes de la population qui refuse le coup d’État et le fait accompli, il faut faire revenir le Président dans ses fonctions, ouvrir un débat politique avec toutes les parties, sous la supervision d’observateurs nationaux et internationaux ». Opposant historique aux militants, Ahmed Ould Daddah qui avait initialement soutenu le putsch puis avait refusé d’en cautionner les suites, a proposé deux semaines auparavant(5) « comme points de sortie de crise l’abandon du pouvoir par l’armée et l’inéligibilité des forces armées et de sécurité en service au 6 Août aux prochaines élections « mais aussi « le refus du retour à la situation d’avant le 6 Août 2008 », ce qui écarte le retour au pouvoir du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Il estime que le régime militaire isolera le pays, que la population souffrira des sanctions mais que « tous les membres du Haut Conseil d’État devront bénéficier de l’attention pleine et entière de la communauté nationale, leur accordant la sortie la plus honorable, à la hauteur du sacrifice qu’ils auront consenti pour la paix, la démocratie et le retour à l’ordre constitutionnel normal dans notre pays ». Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a en effet décidé le 5 Février(6) des sanctions contre les membres civils et militaires de la junte du 6 Août 2008… (prohibition des déplacements, refus systématique des visas, contrôle des comptes bancaires).
Propositions, débats, langage, et même décisions propres à l’institution qu’il préside pour une année, ce ne peut être entendu – de loin – par un ancien putschiste, au pouvoir depuis déjà quarante ans… Le colonel Mouammar Kadhafi dépêche en Mauritanie, dès le 23 Février, une mission au motif qu’il veut célébrer, lui-même, à Chinguetti, la fête du Moloud(7). D’une pierre deux coups, il accomplira à Nouakchott, en tant que président en exercice de l’Union africaine(8), la mission que lui confie le groupe international de contact. Le 25 Février, le général Mohamed Ould Abdel Aziz se rend en Libye pour « une visite de travail et d’amitié »(9). Le suspense sur sa candidature présidentielle ne sera levé que le 15 Avril, quand il prendra officiellement l’habit civil.
Ces circonvolutions d’il y a juste dix ans, peuvent paraître à nouveau d’actualité. En revanche, la manière dont se sont établis le régime fondateur et son incarnation, il y a soixante ans, a été tout autre : claire, collégiale et en vue de résoudre ce qui paraissait alors la quadrature du cercle. L’indépendance de la Mauritanie vis-à-vis de ses voisins, vis-à-vis de la métropole française et nonobstant des partis et des tendances favorables aux voisins et à la France. Les circonstances d’aujourd’hui paraissent uniquement personnelles et dominées par une philosophie, selon laquelle les forces armées sont supérieures à la démocratie et n’y contribuent donc pas.
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16.18 Février 1960, trois jours cruciaux qui ont déterminé la Mauritanie moderne dans sa configuration et son indépendance. Apparemment, beaucoup déjà était acquis : une capitale, un nom, un gouvernement. Pourtant il restait à assurer et à vivre l’union nationale, à commencer par le rassemblement de toutes les volontés dans un gouvernement collégial du pays. Jusque là, trois organes se distinguaient : le gouvernement, le Parlement monocaméral ayant succédé à l’Assemblée territoriale mise en place depuis 1946 par l’administration française et le parti dominant, le Parti du Regroupement mauritanien, fondé à Aleg le 4 Mai 1958 quand est affirmée la vocation du pays à l’indépendance.
Du 16 au 18 Février 1960, à Nouakchott, la capitale-panneaux, de deux ou trois mille habitants, en chantier, sur plan… se réunit le groupe parlementaire du P.R.M. C’est le parti qui a transcendé la rivalité de plus de dix ans des deux grandes tendances mauritaniennes, focalisée par la personne de Horma Ould Babana, premier député élu par le Territoire qu’administre la France. Et les élections du 17 Mars 1959 l’ont confirmé(10). Le groupe parlementaire, autant dire l’Assemblée nationale dans son entier se substitue au bureau exécutif pour « achever l’organisation complète du Parti et insuffler au Parti de Regroupement Mauritanien une vigueur lui permettant de faire face aux tâches difficiles qui nous attendent ». Il constitue donc une « délégation du Parti auprès du Gouvernement pour donner avis sur les décisions administratives importantes… en attendant l’installation d’un bureau qui sera proposé au prochain congrès. » C’est exactement le scenario – déborder par l’appel à davantage de bonnes volontés que la seule direction du parti en place – que mettra en œuvre Moktar Ould Daddah, quand le Bureau politique national du Parti peuple mauritanien, qui avait unifié toutes les tendances et tous les mouvements politiques du pays à la suite de l’indépendance, se divisera dans sa séance des 3 et 4 Octobre 1963 à propos de l’indépendance financière de l’Assemblée nationale et donc de sa soumission ou pas aux décisions d’un congrès de ce parti. Ce sera le « Congrès historique » de Kaédi » qui déterminera l’exercice du pouvoir politique en Mauritanie jusqu’au 10 Juillet 1978 quand s’imposa par la force l’actuelle idéologie régissant le pays : les forces armées exercent la souveraineté nationale.
Le groupe parlementaire ainsi substitué au parti dominant « décide de tout mettre en œuvre pour défendre ses limites actuelles du nord et du sud et l’intégrité de son territoire national. » Il est donc demandé « au Gouvernement de châtier d’une façon exemplaire tout Mauritanien au service d’un parti ou d’un Etat étrangers travaillant au démembrement de l’État mauritanien ». Enfin, question apparemment toute différente, il « invite le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l’accession de la République Islamique de Mauritanie à la souveraineté internationale par transfert des compétences au cours de l’année 1961 ».
C’est cette échéance-là qui a décidé le Premier Ministre, Moktar Ould Daddah. Stigmatiser les « rattachistes »(11), partisans d’une fusion de la Mauritanie dans la fédération du Mali que constituent le Sénégal et le Soudan d’administration française, peut se faire spontanément et la majorité parlementaire en est d’accord, quoiqu’il ait fallu exclure du bureau du P.R.M. ces dissidents. Condamner la Nahda est d’autant plus aisé que celle-ci semble servir la revendication marocaine couvrir (12), mais négocier les accords d’indépendance avec l’ancienne métropole (13) dont la même majorité parlementaire estime indispensable la protection militaire et même les arbitrages éventuels de politique intérieure, Moktar Ould Daddah ressent bien qu’il ne peut le faire seul.
Le chef d’œuvre, par une collégialité insistante, par l’invitation répétée aux oppositions à rallier la majorité et le gouvernement, se réalisera à force de ténacité et de patience (14): il y faudra dix-huit mois, et se symbolisera par une élection présidentielle – certes la sienne – consensuelle (15) et par la fusion de tous les partis existants (16) moyennant la dissolution (17)du parti gouvernemental qui règne depuis le printemps de 1957 et les débuts de l’autonomie interne .
Ould Kaïge
Notes
(1) - groupe constitué par l’Union africaine, l’Union européenne, la Ligue arabe, l’Organisation de la Conférence islamique, l’Organisation des Nations Unies, l’Organisation internationale de la francophonie
(2) - Agence France Presse . Paris – 20 Février 2009 à 20 heures 53
(3) - financé par Mohamed Ould Bouamatou, le général El Ghazouani, pour le compte du président auto-proclamé du Haut Conseil d’État, le général Mohamed Ould Abdel, a rencontré sans visa d’entrée Claude Guéant et lui a remis en billet un million d’euros. Le président de la République française d’alors avait dès le putsch du 6 Août 2008 condamné cette action, mais dès le début du mois suivant, la France a changé de position. A l’heure qu’il est, Claude Guéant condamné à un an de prison ferme, mais pour une malversation d’un objet différent, va purger sa peine
(4) - Agence France Presse . Nouakchott – 27 Février 2009 à 19 heures 23
(5) - Agence France Presse . Nouakchott – 4 Février 2009 à 17 heures 17
(6) - Agence France Presse . Nouakchott – 5 Février 2009 à 21 heures 26
(7) - Agence France Presse . Nouakchott – 23 Février 2009 à 21 heures 43
(8) - le général Mohamed Ould Abdel Aziz en cette même qualité fera de même dans la crise ivoirienne…
(9) - Agence France Presse . Nouakchott – 25 Février 2009 à 12 heures 06
(10) - élections à l'Assemblée nationale : participation massive des Mauritaniens qui plébiscitent les deux listes uniques du PRM : la totalité des 40 sièges lui revient. Les consignes d'abstention de l'UNM et de la Nahda échouent
1° circonscription tête de liste : Moktar Ould Daddah ; 19 sièges
inscrits 178.146
Votants 165.554 soit 92,2%
PRM 164.871
2° circonscription tête de liste Sidi el Moktar N'Diaye : 21 sièges
inscrits 299.683
votants 187.297 soit 88,4%
PRM 185.255
(11) - 16 Février 1960 - dans une lettre au commandant de cercle du Tagant, le Premier ministre précise que "les mesures d'assignation à résidence prises contre les leaders (de l'UNM) ne sauraient être interprétés comme une atteinte à la liberté d'opinion ou une sanction contre des adversaires politiques. Elles traduisent la volonté du Gouvernement de défendre l'indépendance de la Mauritanie contre toutes les attaques quelle que soit leur origine"
24 Février 1960 - lettre du secrétaire administratif de l'U.N.M. Abdoul Aziz Ba, avant de partir en résidence surveillée : "la réaction de nos amis du PFA ne se fera pas attendre" : le parti fédéraliste africain à l’origine de la fédération bipartite du Mali de l’époque
(12) - 24 Février 1960 - le roi du Maroc reçoit successivement la "délégation mauritanienne de Rabat" et Bouyagui Ould Abidine présenté comme dirigeant du "mouvement de libération de la Mauritanie"
29 Février 1960 - décret assignant à résidence le secrétaire général de la Nahda, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske à Sélibaby
(13) - 21-28 Février 1960 voyage du Premier Ministre à Paris ; il s'entretient avec le Général de Gaulle (le 24) et avec le Premier Ministre français, et ceux des Finances, des Affaires Etrangères et des Armées
- questions minières
- le transfert des compétences sera demandé ultérieurement
(14) - 20-22 Mai 1961 1° réunion de la "table ronde" des partis et tendances politiques
- "réalisation rapide de l'unité politique en Mauritanie"
- "unité d'action entre les formations en présence"
- bureau permanent du Comité d'union : Abdoul Aziz Ba, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske et Dembele Tiecoura
30 Juin 1961 2° réunion de la "table ronde" des partis et tendances politiques
- "investit à la magistrature suprême de la RIM le camarade Moktar Ould Daddah, candidat d'union nationale"
- "souhaite un accord définitif entre la France et l'Algérie"
20-21 Juillet 1961 3° réunionde la Table ronde des partis et tendances politiques
- participation de l'USMM
- envoi de missions (dirigées par Mohamed el Moktar Marouf, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Sid Ahmed Lehbib et Bouyagui Ould Abidine
(mission de Souleymane Ould Cheikh Sydia au Sénégal) pour populariser l'unité et préparer la campagne présidentielle
- constitution de comités locaux à l'image de la Table ronde
- "accélérer le processus de l'unité politique aboutissant à la création d'un parti unique"
26-28 Août 1961 4° réunion de la "table ronde" des tendances et partis politiques
- mission générale à travers tout le pays
- désignation d'une commission pour préparer les avant-projets de statuts et de règlement intérieur : Sid Ahmed Lehbib, Bouyagui Ould Abidine, Sidi Ould Abass, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Abdoul Aziz Ba, Ba Ould Ne, Hadrami Ould Khattri, Mohamed Ould Cheikh, Houssein Ould M'Haimed
(15) - 20 Août 1961 Moktar Ould Daddah est élu Président de la République Islamique de Mauritanie
inscrits 397.588
votants 371.808 soit 93, 3%
exprimés 370.970
pour Moktar Ould Daddah 370.970
(16) - 25-30 Décembre 1961 : "Congrès de l'Unité" constitutif du parti du peuple mauritanien Hizb Chaeb (ouvert par Sid Ahmed Lehbib, président de la Table ronde)
- le Président de la République déclare : "le Parti du regroupement mauritanien ne répondit que partiellement aux espérances qui furent alors placées en lui" ; "je n'ai cessé de lutter pour éviter qu'un fossé ne se creuse entre Mauritaniens, animés d'un même patriotisme mais divisés sur les moyens" ; "Parti démocratique, parti des masses … avant tout un parti fort" ; "à lui de créer une Mauritanie nouvelle, synthèse des influences contradictoires du conservatisme et de l'évolution, du monde moderne et de la tradition"
- fusion des partis politiques existants
(17) - 21 Décembre 1961 : congrès de dissolution du Parti de regroupement mauritanien : P.R.M.
le secrétaire général Moktar Ould Daddah déclare qu’ "à l'origine de tous les événements importants de ces trois dernières années se retrouvent les initiatives du P.R.M." mais "le P.R.M. n'est pas devenu le parti strucuturé et bien organisé que nous avions souhaité". "Comment parvenir à réaliser cette mobilisation des masses ?"