Avril 2019, trente ans après le triomphe des idées extrémistes et racistes de la mouvance panarabiste, nous devons commémorer partout en Mauritanie et sous toutes les latitudes la déportation de dizaines de milliers de noirs mauritaniens au Sénégal et au Mali. Le pouvoir sera fortement tenté de s'opposer à toute manifestation publique de grande ampleur. Au meilleur des cas, il la confinera sous haute surveillance policière dans des locaux de partis ou d'organisations de défense des droits humains. La tentation d’une interdiction est plus grande. Le temps et les hostilités ne doivent pourtant pas avoir de prises sur le devoir de mémoire, l'exigence de vérité et notre soif légitime de justice.
En France, par exemple, le parcours de reconnaissance de l’État de la rafle du Vél' d'Hiv a été long, très long : c'est seulement en 1993 que le président François Mitterrand instaure une « journée commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite « gouvernement de l’État français » entre 1940 et 1944. La reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déportation et l'extermination des Juifs viendra en 1995 et sera le fait du président Jacques Chirac.
Chez nous aussi, ces déportations qui sont un jalon du génocide encore nié furent planifiées, décidées et exécutées par l'autorité politique, son armée, sa police, des idéologues de la mouvance panarabiste et des civils embrigadés. Certains acteurs de premier plan sont encore au pouvoir, d'autres dans ses cercles restreints. Ils font tout pour retarder et faire reculer la vérité. La marche du pouvoir ce mercredi 9 janvier ne doit pas nous divertir. Son calendrier électoral 2019 ne doit pas faire oublier qu'il est passé maître dans l'art de tenir l'agenda politique avec à sa remorque une partie de l'opposition : seul maître à bord, le général président qui écrase tout et tout le monde, décide et donne le top départ, siffle la fin de la récréation et annonce la prochaine étape. A ce rythme, la présidentielle prévue cette année pourrait être une simple formalité pour lui ou pour son dauphin. Monsieur le général président Mohamed Ould Abdel Aziz, la reconnaissance du génocide dressera les Mauritaniens « contre les discours de la haine et de l'incitation à la division », l'instauration d'une journée nationale commémorative marquera profondément notre conscience collective comme au Rwanda. La priorité doit être à l'apaisement qui passe par la justice. Malheureusement, les actes que vous avez posés depuis dix ans au moins n'ont pas été des actes de construction d'une Mauritanie plurielle et égalitaire entre ses composantes. Votre récente menace d'appliquer la loi N° 023/2018 pénalisant la discrimination à toute demande de justice que vous assimilez à une « atteinte à la sécurité et à la stabilité » du pays le prouve.
Ciré Ba – Paris, le 10 janvier 2018