C’est dans le cadre d’une réflexion ouverte aux différents acteurs du secteur que le journal Le Calame ouvre ses colonnes, pour un débat public sur la séparation de l’activité hospitalière publique et privée, à travers quatre interventions sous forme de tribunes, signées par d’éminents praticiens hospitaliers et hospitalo-universitaires, ayant chacun à son actif plus de dix ans d’activité hospitalière publique.
Cette semaine c'est le Dr Mohamed Abdelkader dit Hamma qui ouvre le bal
Au milieu des années 80, notre pays a connu une vague de libéralisation économique, avec entre autres, celle concernant l’ouverture au capital privé du secteur de la santé.
Cette mesure, bien qu’elle semble être dictée par une conjoncture internationale, a permis de résoudre deux problèmes, au moins dans l’immédiat : désengorger les structures sanitaires publiques, et générer pour les médecins un revenu mensuel décent leur permettant d’oublier les maigres salaires de la fonction publique. Le pays, ne disposant pas de suffisamment de ressources humaines (moins de 1000 médecins depuis l’indépendance, dont à peine 400 sur le terrain) pour couvrir les besoins des deux secteurs (public et privé), tous les agents de la santé se sont retrouvés subitement dans une situation de «double emploi» avec comme seule restriction très théorique, la limitation de l’exercice privé en dehors des heures du travail « normal ».
Les médecins, (et le personnel paramédical de manière générale) se sont alors engagés dans une forme de « polygamie » ne respectant souvent aucune norme de justice ou d’égalité, entre un hôpital public peu rémunérant, mais servant une grande population dont une partie peut constituer une clientèle privée et des cliniques privées leur assurant des revenus décents.
Aujourd’hui, plus de trente après, les résultats de cette « aventure » semblent très controversées, à telle enseigne, que certaines rumeurs venant du ministère parlent d’une décision imminente de séparation nette et définitive des deux secteurs.
Dans le milieu des professionnels de la santé, les avis sont très divers, voire contradictoires, entre d’une part, les partisans d’une séparation franche à la manière du « Brexit », ceux d’une séparation progressive et lente à la manière d’un sevrage d’un nourrisson, et ceux prônant le statu quo, d’autre part.
Cette décision, si elle est prise, entrainera une réaction de trois ordres :
- Une minorité de médecins, relativement anciens, ayant une grande clientèle choisira sans hésitation le secteur privé.
- La grande majorité de médecins considérant que le salaire de la fonction publique, aussi maigre soit-il, constitue une assurance et le fait de l’abandonner constitue un saut vers l’inconnu.
- Le personnel paramédical (infirmiers, sages-femmes, techniciens d’anesthésie) : Ce personnel restera en majorité fonctionnaire pour la simple et bonne raison qu’en privé, il reste dépendant des médecins et propriétaires de cliniques.
Avons-nous les moyens de cette séparation ?
La réponse est a priori négative. Certains pays mieux lotis que le nôtre l’étudient depuis plusieurs années sans y arriver. Elle peut s’envisager uniquement dans le cadre d’une mise à mort programmée de la médecine privée.
Dans les faits, l’Etat en général, et le ministère de la santé en particulier, n’ont jamais donné beaucoup d’importance à la médecine privée:
- Pas de direction de médecine privée.
- Pas de politique de promotion (genre crédit avec facilités à l’instar de ceux octroyés aux agriculteurs, pécheurs ……… etc.).
- Pas de contrôle du cahier des charges.
- pas de contrôle du personnel.
- Le SNIS (service national de la statistique et de l’information médicale), n’intègre aucune donnée venant du secteur privé (nombre et nature des consultations, nombre de décès et leurs causes, maladies à déclaration obligatoires, natalité, mortalité…etc.).
- Rupture unilatérale par la CNAM de tous ses contrats avec le secteur privé.
- La seule image visible de cette médecine privée est celle très caricaturale d’un «médecin gagnant beaucoup d’argent en arnaquant de pauvres malades».
Cette situation a réduit ce secteur privé de la santé à une sorte de secteur « informel », avec comme corollaire :
- Des structures mises sur pied grâce à des efforts individuels.
- Absence totale des grands investissements dans des technologies de pointe ou des cliniques de haut standing.
- Absence de tout audit sérieux évaluant son impact sur la santé de nos citoyens.
- Absence d’implication de l’Etat dans la répartition géographique des cliniques, les tarifs des services et le contrôle des recettes pour une taxation plus équitable.
En pratique, où se soigne le mauritanien ?
- Les plus aisés, sauf urgence, vont à l’étranger avec la mode récente des assurances européennes notamment espagnoles.
- Les plus démunis n’ont d’autres choix que l’hôpital public.
- La classe moyenne, de plus en plus large, a un parcours mixte. En effet, tout le volet ambulatoire (consultations, bilan sanguin, radio…), se fait en privé. Les gestes lourds (interventions chirurgicales, hospitalisations notamment en réanimation) sont plus accessibles en public.
Au vu de ce qui précède, il s’avère que les deux secteurs vivent une certaine complémentarité qui semble bénéfique pour le patient qui se sert où sa bourse le permet et au médecin qui peut accompagner son malade dans les différentes étapes de son parcours de soins.
Prendre une telle décision de manière précipitée léserait en même temps, un secteur privé s’appuyant essentiellement sur les heures libres de médecins fonctionnaires et un secteur public incapable de supporter les répliques du moindre séisme venant du secteur privé.
*Gynécologue Obstétricien