2008-2018, Une décennie perdue/Par MOUSSA FALL, Président du mouvement pour le changement démocratique (M.C.D.) Sixième partie

7 November, 2018 - 21:16

CE QU’AURAIT PU DEVENIR LA MAURITANIE SOUS UNE BONNE GOUVERNANCE

 

Que serait devenue la Mauritanie aujourd’hui, si elle avait bénéficié d’une bonne gouvernance ? On ne peut, certes, pas refaire l’histoire mais, à l’image d’Érasme qui faisait parler la Folie pour s’autoriser à dire ses vérités, faisons de la retro-fiction pour imaginer une Mauritanie après 10 ans d’une gouvernance avisée et rationnelle :

 

  1. L’État de droit serait déjà installé et aurait été en phase de consolidation. Deux élections présidentielles se seraient déroulées : la première en 2012 et la seconde en 2017. Dans tous les cas de figure, nous aurions connu, au moins, une alternance démocratique, ce qui aurait permis à notre pays de franchir un nouveau pas décisif sur la voie de la consolidation de l’État de droit. L’équilibre des pouvoirs entre nos différentes institutions aurait franchi des étapes appréciables.
     
  2. Une gouvernance avisée et rationnelle aurait suivi une politique budgétaire accordant la priorité à l’éducation. Le budget de l’éducation nationale aurait été porté à 5,5% du PIB au minimum. Ces allocations auraient été utilisées pour :la révision des programmes et leur adaptation aux exigences du développement et de la modernité ; l’amélioration du niveau des enseignants par leur formation ; la motivation de ces derniers par des salaires leur permettant de vivre décemment ; le rehaussement du ratio maitres/élèves par des recrutements ; le renforcement de la discipline et des contrôles ; la fidélisation du corps enseignant ;la construction de nouvelles infrastructures scolaires. etc. On serait aujourd’hui en présence d’une école publique plus performante, plus compétitive et plus attractive pour l’ensemble des fils du pays. Une école publique favorisant la cohésion sociale entre tous les fils du pays quelque soient leurs origines sociales avec un contenu qui assure aussi bien l’enracinement dans la culture nationale que l’ouverture à la modernité. On aurait alors eu un système éducatif bien mieux noté dans les classements internationaux avec un plus élevé que celui que nous occupons actuellement : 129eme/130.
     
  3. Une gouvernance avisée et rationnelle aurait accordé la seconde priorité au secteur de la santé. Les dépenses publiques pour la santé auraient été portées à 2,5% du PIB au moins et le personnel médical aurait été mieux payé, mieux engagé, plus motivé et travaillant dans un cadre plus propice. Nos hôpitaux et centres médicaux n’auraient pas été désertés au profit de cliniques privées et la fierté de soigner des citoyens et de sauver des vies aurait pris le pas sur toutes les autres considérations. Nos citoyens n’auraient pas perdu toute confiance dans notre système de santé pour s’orienter vers les pays voisins, aussi bien pour les examens médicaux et les soins, que pour l’achat des médicaments, comme c’est le cas aujourd’hui. La prévention et la santé communautaire auraient été promues et renforcées. Notre pays ne serait pas classé, comme aujourd’hui, en queue de peloton dans les indicateurs internationaux pour la qualité de son système de santé.

 

  1. Les ressources qui auraient permis d’atteindre ces objectifs pour l’éducation et la santé pouvaient être mobilisées avec un budget d’investissement plus cadré, mieux orienté et géré rationnellement sans opacité et sans gré à gré, avec un dégraissement du secteur public et des transferts et subventions moins volumineux, avec un endettement plus maitrisé et un service de la dette moins asphyxiant.

 

  1. Une gouvernance plus avisée et rationnelle permis un développement rapide des infrastructures fondé sur une planification nationale avisée, loin de l’improvisation et de l’opacité qui prévalent actuellement. L’entretien permanent de la route de l’espoir, de la route Nouadhibou-Nouakchott et réhabilitation de la route Nouakchott-Rosso, notamment auraient été assurés sans retard et sans manipulations financières. Elle aurait négocié avec les parties concernées le règlement durable –même à titre provisoire- du passage de Guerguerat et construit le tronçon qui relie au réseau routier Maghrébin. La route de Rosso et le pont de Rosso auraient été déjà achevés. Et le trafic allant du nord vers le sud et du sud vers le nord aurait été considérablement facilité et fluidifié. Les effets bénéfiques d’une telle situation auraient considérablement profité à notre économie dans de très nombreux domaines. Notre pays serait devenu plus ouvert, plus attractif, le climat des affaires serait devenu plus favorable et le dynamisme reconnu de nos hommes d’affaires aurait trouvé un large espace pour s’épanouir.

 

  1. Le cadre de vie de nos populations aurait été considérablement amélioré. L’augmentation des masses salariales notamment celles des enseignants et des personnels de santé aurait assuré, outre ses avantages pour la qualité des services publics, une redistribution plus équitable et une amélioration du pouvoir d’achat de la classe moyenne ainsi qu’une réduction significative de la pauvreté. Des programmes d’assistance aux populations mieux ciblés et mieux gérés auraient remplacé ceux en cours dont l’efficacité est décriée tant par les bénéficiaires que par les partenaires au développement.

 

  1. Les questions majeures de société, auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, auraient déjà fait l’objet de débats nationaux et des stratégies durables auraient été élaborées. Des programmes d’action découlant de ces stratégies de lutte contre l’esclavage et ses séquelles et de renforcement de l’unité entre nos différentes composantes, y compris la reconnaissance et la réparation de crimes et préjudices commis dans les années 1990, auraient déjà été mis en œuvre pour promouvoir des rapports sociaux normalisés pour le plus grand bien de l’ensemble de nos citoyens.

 

  1. L’état déplorable dans lequel se trouve notre administration constitue l’un des principaux obstacles au développement du pays. Rappelons qu’un programme de réforme et de modernisation de l’administration avait été engagé et un ministère avait été créé à cet effet en 2007. Si la réforme initiée alors avait été menée à son terme, on aurait aujourd’hui, fort probablement, une administration bien plus performante. Les recrutements au niveau de l’État auraient obéi à des critères objectifs de compétence et de qualification loin du népotisme et du clientélisme actuels. Les promotions auraient répondu à des critères de mérite. L’effectif des fonctionnaires aurait été mis en adéquation avec les besoins réels du pays et la politique des rémunérations révisée pour motiver davantage le personnel de l’État et le mettre dans des conditions de travail descentes.

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Nous nous engageons à présent dans la dernière ligne droite avant l’échéance de la présidentielle de 2019, une échéance capitale pour l’avenir du pays. Une échéance qui pourrait être salutaire à condition que la classe politique, dans sa grande majorité, s’accorde sur la nécessité de changer de cap à cette occasion.

 

Un changement de cap portant entre autres sur :

 

    • La normalisation de la vie politique par le règlement de la crise que  traverse le pays depuis 2008 : L’exercice du pouvoir dans le cadre d’un état de non droit ; l’impossibilité d’une alternance démocratique ; la confiscation de tous les pouvoirs sont autant de facteurs qui perpétuent les risques de coups d’État récurrents, et de guerres civiles et de pauvreté. Ces situations de crise, que l’on observe dans de nombreux pays, doivent nous interpeller pour édifier un État de droit respectueux de la loi, des institutions et des règles démocratiques.
       
    • La qualité de la gouvernance étant déterminante pour un pays, il s’impose de conjuguer tous les efforts pour rompre avec l’amateurisme, l’improvisation, l’ultra centralisation de la gestion du pays et l’utilisation du pouvoir à des fins d’enrichissement particuliers.

 

  • Une bonne gouvernance doit d’abord avoir une vision claire issue d’une démarche participative. Dans le cadre de cette vision, les priorités seront définies en fonction des besoins du pays et les différentes politiques, en particulier la politique budgétaire doit traduire, sans équivoque, ces priorités.
     
  • Une bonne gouvernance doit impliquer de manière effective le personnel de l’État à travers son association, sa responsabilisation et la décentralisation contrôlée des pouvoirs.

 

  • Une bonne gouvernance nécessite une participation active des populations dans le cadre d’une décentralisation effective et d’une démocratie locale appuyée par l’Etat et non manipulée par l’administration et les puissances d’argent.

 

  • Une bonne gouvernance doit aussi libérer les énergies, favoriser le développement des affaires, promouvoir l’égalité des chances et vouloir le bien à tous les citoyens.
     
    • Des réformes en profondeur seront nécessaires pour moderniser la société. La société mauritanienne est traversée par des courants centrifuges opposant ses différentes composantes. Les principales sources de conflits à traiter en priorité sont :

 

  • Les facteurs relatifs à l’unité nationale qui résultent de la coexistence de communautés ethniques différentes qui partagent des valeurs communes certes, mais qui n’arrivent pas à trouver les compromis appropriés pour vivre dans l’harmonie du fait des politiques discriminatoires. Les relations parfois conflictuelles entre ces deux communautés prennent parfois des dimensions dramatiques dont la persistance fait courir des risques permanents à la cohésion et à la paix sociales. Même s’il est illusoire de penser pouvoir résoudre ces problèmes par un coup de baguette magique, et effacer d’un trait de plume toutes les sources de conflits, il est impératif d’engager une politique nouvelle fondée sur l’équité et l’égalité des chances pour désamorcer les crises récurrentes sur ce front et créer un cadre pour mieux vivre ensemble dans le même pays.
     
  • Les facteurs relatifs à l’émancipation sociale qui résultent de l’existence d’une importante composante sociale regroupant d’anciens esclaves communément appelés harratines et, encore ,des personnes toujours sous le joug de l’esclavage. Historiquement cette communauté n’a pas bénéficié des mêmes chances que les autres, ni sur le plan de l’éducation, ni sur le plan de l’accès à la propriété. Elle accuse de ce fait un retard considérable qu’il faut nécessairement combler. C’est à cette condition que l’on peut réduire les inégalités et assurer une meilleure cohésion et une meilleure émancipation sociale. L’esclavage et ses séquelles ne sont évidemment pas limités à une seule communauté et devraient traités à l’échelle nationale de manière globale et objective.
     
  • Les facteurs relatifs à la persistance du tribalisme qui ressurgit avec vigueur, aiguisant les tiraillements et altérant le bon fonctionnement de l’État. Il affecte surtout la neutralité et l’impartialité qui sont les fondements de l’État de droit. L’intérêt tribal se greffe sur l’exercice du pouvoir pour accentuer le favoritisme et les inégalités. Il en résulte une propension des votes particularistes, en particulier tribaux, polluant le jeu démocratique en reléguant au second plan les débats partisans sur les projets politiques.

 

Le traitement de ces différentes questions structurelles appelle à une réforme en profondeur de notre société. L’objectif à atteindre sera d’évoluer vers une société plus moderne, plus émancipée, plus unie et plus égalitaire. Les meilleures réformes sont celles qui tirent le pays tout entier vers le haut, qui ne lèsent aucune des composantes et qui apportent un plus à chacune d’elles. Les facteurs d’accélération du progrès et du développement exigent pour un pays de se réformer et de moderniser en continu les rapports sociaux en son sein sans perdre de vue que les meilleures réformes sont aussi, celles qui traitent les inégalités et les imperfections de la société sans renier l’identité et les valeurs fondamentales de celle-ci.

 

    • L’amélioration de la place révoltante qu’occupe la Mauritanie dans tous les classements internationaux qui reflète les graves  retards du pays et qui porte un préjudice inexcusable à l’image du pays. Les retards et les reculs constatés sur tous les indices, et dans l’indifférence des responsables, méritent d’être traités avec énergie pour sortir le pays des rangs des derniers de la classe dans le monde. Les contreperformances enregistrées sont directement liées à la qualité de la gouvernance des pays. Les pays émergents qui ont engagé les réformes structurelles appropriées ont enregistré des progrès spectaculaires en peu de temps.

 

La décennie 2019-2029 qui s’annonce offrira à la Mauritanie de nouvelles opportunités : l’exploitation du gaz démarrera selon les prévisions en 2021 ; l’usine de Tasiast portera sa production de traitement de l’or de 8000 à 12000 tonnes par jour ; la Snim pourrait retrouver son équilibre et se redresser avec une gestion plus autonome, plus maîtrisée et plus compétente ; le climat des affaires pourrait être considérablement amélioré par le respect des règlementations et par  une intégration plus poussée aux marchés régionaux grâce, notamment, à la réhabilitation des grands axes routiers, à la construction du pont de Rosso et à la conclusion des accords internationaux en cours de négociation.

 

Ces perspectives offrent à la Mauritanie l’occasion de se relancer et de rattraper ses retards.  Le bilan de la décennie 2008-2018, que nous venons de passer en revue, est édifiant sur les erreurs commises et les occasions perdues par notre pays.  Cette expérience vécue doit renforcer notre détermination à changer résolument de cap, à rompre avec le système autocratique pour l’instauration d’une bonne gouvernance exercée dans le cadre d’un État de droit. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourrait tirer le meilleur profit des opportunités qui s’annoncent. Les choses ne changeront pas d’elles-mêmes. Le changement de cap qui s’impose ne se fera qu’avec l’effort et l’engagement collectif du plus grand nombre de citoyens et de l’ensemble des forces vives du pays.