Le Calame : La CENI vient de proclamer, ce lundi 17 septembre, les résultats provisoires du 2eme tour, organisé le 15 septembre dans plusieurs circonscriptions du pays. Selon les chiffres, le principal parti de la majorité, l’UPR a raflé la mise en s’emparant des 22 sièges de députés qui étaient en jeu. Quelle appréciation vous faites des résultats de ces 2 tours et du rôle de la commission d’organisation et d’arbitrage des élections ?
Cheikh Ould Jiddou : Je tiens tout d’abord à dire que l’actuelle CENI, si on peut l’appeler ainsi, est le pire instrument électoral de toute l’histoire de notre démocratie que ce soit sur le plan de la représentativité, de la compétence ou de la fiabilité. Déjà, son conseil de sages est digne de l’appellation « Groupement d’Intérêt Politique » puisqu’il ne représente que les intérêts politiques des seuls chefs de partis qui en ont propulsé les membres et avec lesquels ils entretiennent, tous, des liens consanguins, utérins ou par alliance. Ses représentants régionaux et locaux ont été également cooptés, dans leur grande majorité, sur la base du même critère parental. Ensuite, la nomination, non concertée, de M. Mohamed Vall Ould Bellal, en remplacement de son ancien président empêché par la maladie, a constitué une déception de plus. Et enfin, ses multiples erreurs répétées, en direct à la télévision (par exemple nombre de voix obtenues par un parti supérieur au nombre des inscrits dans le bureau ou encore 99% des bulletins sont nuls dans d’autres bureaux), lui a définitivement enlevé toute crédibilité à la fois auprès des chancelleries et des citoyens mauritaniens et étrangers médusés.
Dés l’annonce de la participation de l’opposition aux scrutins législatif, régional et municipal, il était plus correct et plus approprié que le gouvernement se concerte avec les nouveaux venus afin d’ouvrir la CENI aux nouveaux venus pour donner un minimum de légitimité à cette structure et éviter l’unilatéralisme dans l’organisation des élections et la proclamation des résultats comme il est aujourd’hui le cas. Au lieu de cela il a persisté dans son « péché originel » qui a fini par coûter cher à notre démocratie.
Pour ce qui est des résultats qui viennent d’être proclamés, dans les conditions énoncées ci-haut, chacun de nous est en droit d’y croire ou de ne point leur accorder de crédibilité. D’abord, il faut noter que le second tour a été organisé au moment même où la chambre administrative de la cour suprême (pour ce qui est de l’élection des conseils municipaux) et le conseil constitutionnel (pour ce qui est de l’élection des députés) se penchaient encore sur les recours introduits contre les résultats provisoires du premier tour des deux scrutins annoncés par la « CENI ». Cela vous donne une idée du degré de désorganisation et de panique généralisées. Ajoutez à cela le vote massif de l’armée dans les circonscriptions où l’UPR était menacé comme à Zouérate (mairie et députation) par exemple ou certaines communes de Nouakchott sans oublier certains pouvoirs électoraux et de contrôle des urnes que se sont arrogés certains préfets et commissaires de police (Boutilimit au premier tour par exemple) à l’intérieur du pays.
Il est donc clair que ces résultats sont entachés de graves irrégularités que la justice devrait corriger. A défaut, la légitimité de certains « élus » restera à jamais contestée pour ne pas dire celle des institutions elles-mêmes.
Dans un discours qu’il a prononcé à l’occasion de la proclamation de ces résultats, le président de la CENI s’est excusé des insuffisances et des manquements observés. Qu’en pensez-vous ?
« Nous ne sommes que des humains » a-t-il lancé en direct à la télévision avant d’ajouter : « si les candidats étaient des anges, Dieu Aurait Descendu sur terre une CENI composée d’anges ». Cela me rappelle l’adage arabe qui dit : le prétexte avancé est pire que le péché commis. Il aurait pu se passer de ces excuses qui ne rendront pas justice aux candidats lésés ni aux électeurs insultés par ces irrégularités et ces manquements impardonnables. Les mauritaniens ne manqueront pas d’en faire, dès demain, des blagues qui resteront dans la mémoire collective parce que là, c’en est trop ! Il me rappelle d’ailleurs les propos d’un certain président, derrière lequel apparaissait, en direct aussi à la télévision, les jets d’eau de la fontaine de la présidence et qui affirmait « être impuissant » devant les problèmes de fourniture d’eau potable dans certaines zones qui crevaient de soif à l’époque. Rappelez-vous en.
Pensez-vous que sous sa forme et composition actuelle, la CENI peut conduire, dans la sérénité, l’indépendance requise, la présidentielle de 2019 ? Sinon, que faudrait-il faire d’ici là ?
Absolument pas ! Cette « CENI » est à congédier dans les meilleurs délais. Une autre, représentative cette fois-ci, compétente et consensuelle, devrait être mise en place pour préparer dés à présent l’élection présidentielle de 2019 qui s’annonce déjà serrée et déterminante pour l’avenir de ce pays. Cet avenir que l’on ne peut laisser entre les mains d’un groupe qui a démontré son incapacité technique et sa partialité politique.
Nous avons tous intérêt à ce que les élections de 2019 se déroulent dans de meilleures conditions et sous un meilleur arbitrage. Cette « CENI » ne peut pas garantir cela.
Nombre de partis politiques ayant pris part aux élections sont sortis laminés et redoutent aujourd’hui leur dissolution. Que pensez-vous de cet émiettement de l’arène politique ? Ne pensez-vous que cette opposition porte une grosse part de responsabilité dans ce qui lui est arrivé aujourd’hui ?
A mon avis, il ne s’agit pas d’un émiettement mais d’un mécanisme de régulation mis en place pour limiter le nombre de partis insignifiants dès le départ ou devenus non représentatifs avec le temps. C’est une règle qui s’applique à tous et elle ne peut être que juste. Un parti qui, durant deux scrutins municipaux successifs, n’a pas pu obtenir 1% des suffrages exprimés n’a plus sa raison d’être et devrait effectivement disparaître de la scène politique.
Pour ce qui de l’opposition, j’estime qu’elle a plus ou moins tiré son épingle du jeu malgré les irrégularités et les manquements reconnus par le président de la « CENI » lui-même. Il est vrai aussi qu’à l’exception du parti Tewassoul, cette opposition avait longtemps systématisé le boycott des élections et en politique cela se paie toujours cash. Mais il faut reconnaître tout de même que si l’opposition a perdu la bataille électorale, elle a assurément remporté la bataille politique. Pourquoi ? Parce que d’abord elle a su amener le citoyen mauritanien à défendre et à préserver quand il le peut, bec et ongle, les urnes contre les faussaires, les fraudeurs et les trafiquants de tout genre. L’exemple des sympathisants du maire-député de Nouadhibou, M. El Ghassem Ould Bellali -que je félicite au passage- est éloquent et sans leur vigilance et leur détermination, leur candidat serait déclaré hier vaincu. D’autres citoyens ont mis en échec d’autres tentatives de fraude à Boutilimit, à Nouakchott et à Zouérate pour ne citer que ces villes. Le monde rural, quant à lui, est encore malheureusement une pépinière de la fraude. Elle a su aussi limiter l’achat des consciences qui empêchait la volonté populaire de s’exprimer. Ce n’est pas encore suffisant mais c’est le début de la fin du règne de l’ignorance et de l’insouciance électorale. Enfin, et c’est très important, elle a démontré que les partis (dits dialoguistes) qui brandissaient encore hier son étendard à l’occasion des différents dialogues politiques, ne représentent finalement pas grand chose quand on considère leurs résultats électoraux. Ces partis ont fini d’ailleurs par rejoindre de fait la majorité au second tour. Et la boucle est bouclée.
Propos recueillis par DL