Le monde arabe et les bouleversements en perspective
Les pays arabes du Golfe en seraient les plus affectés, surtout l’Arabie saoudite qui fut le principal acteur de la mise en place du système du pétrodollar et qui, paradoxalement, va largement contribuer au remplacement de ce système, vu qu’elle ne cesse de liquider ses réserves constituées quasiment toutes en dollars, non pas pour les transformer en or physique mais pour financer son budget annuel et notamment ses dépenses militaires. Elle n’a pas d’autres choix : les bénéfices tirés de la vente du pétrole sont très limités, car son prix actuel couvre difficilement ses coûts de production ainsi que ses frais de fonctionnement ; et la tendance des prix n’est pas non plus à la hausse, selon les experts.
Dans ce rapport coûts de production/prix de vente, seul le Qatar, parmi les pays du Golfe, se trouve aujourd’hui en position très confortable avec son gaz. Mais il en produit beaucoup plus qu’il ne lui faut pour financer ses programmes de développement national et ses politiques d’aides extérieures, ce qui signifie normalement que ses excédents financiers sont destinés soit à des investissements internationaux – et ce n’est pas une mauvaise chose en soi, même s’il comporte un risque assez important compte tenu des variations de taux de change à court et moyen termes – soit à augmenter directement ses réserves qui sont, pour lui également, presque toutes libellés en dollars et qui se verront perdre de leur valeur, consécutivement au glissement en baisse des taux de la monnaie américaine.
Une troisième hypothèse voudrait que le Qatar soit en train de se constituer ou de renforcer son stock physique de réserves en or. Seulement voilà, c’est à dessein que j’ai souligné normalement : car, d’une part, personne n’a lu ou entendu que la Banque Centrale du Qatar était en train de sécuriser ses réserves en les transformant par l’acquisition d’une importante quantité d’or et, d’autre part, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Qatar a récemment déclaré à la BBC que son pays avait dépensé, entre 2011 et 2014, une somme de 130 milliards de dollars pour soutenir les rebelles en Syrie.
Si on y ajoute- les gros contrats d’armes dont le caractère est plus contingent que nécessaire ou utile et qui font de cette région la zone qui achète le plus d’armes en comparaison au reste de la planète, plus de 50 % des achats annuels du monde entier, on comprendrait facilement où vont vraiment ces excédents financiers, sans compter les récentes déclarations de l’Emir du Qatar, ainsi que celles du prince héritier de l’Arabie saoudite, portant sur leur soutien donc leur appui financier au président Donald Trump au cas où il mettrait en exécution ses menaces de frapper la Syrie, et on sait que celle-ci vient d’être attaquée au matin de ce samedi, 14 avril, par les Etats Unis et ses deux alliés, l’Angleterre et la France…
Mais il y a plus subtile encore : quand le FMI déclare que « les dépenses des pays exportateurs de pétrole du Moyen Orient atténuent l’impact de la crise financière mondiale », il faut bien comprendre qu’il parle d’abord de la crise financière occidentale.
Car que croit-on en effet lorsque ces monarchies du Golfe achètent aux pays occidentaux des équipements et matériels militaires qui s’élèvent à des centaines de milliards de dollars au moment même où leur sécurité extérieure est assurée par des bases militaires américaines implantées à l’intérieur de chacun de leurs émirats ?
C’est justement pour compenser les contrecoups du poids de la facture pétrolière qui pèse sur la compétitivité des entreprises occidentales bénéficiaires de ces achats ainsi que leurs milliers de sous-traitants et donc, finalement, sur les finances publiques de ces pays occidentaux ; lesquels se font ainsi compenser par la fourniture de ces équipements et d’autres biens ou services dont ils ont le monopole des prix. Mais ces monarchies arabes veulent cependant faire croire que ce sont les contingences géopolitiques qui motivent ces achats, quand tout le monde sait que ces armes ne serviront à rien, sauf à les utiliser contre d’autres peuples arabes qui ne leur ont jamais posé de problèmes de sécurité, tels que les syriens et les yéménites
Il n’en reste pas moins que ces monarchies devraient se préparer dés maintenant, comme la Chine et la Russie, et d’autres encore, en franchissant un pas important vers la sortie partielle du dollar : d’abord en vue de sauvegarder leurs intérêts immédiats et ensuite d’amortir, par anticipation, l’intensité éventuelle d’une forte chute de la valeur du dollar.
La Chine et la Russie ont beaucoup appris de leur confiance presque naïve alors accordée à la FED qui, en 2012, avait surpris tout le monde par sa décision de faire recours à la planche à billet. Elles ont surtout appris de leur erreur d’anticipation en 1971 après la fin de la convertibilité du dollar en or, décidée par le président Nixon et qui permît, par la suite, au président de la FED de recourir à cette planche à billet avec l’émission de plusieurs centaines de milliards de billets de dollars sans aucune garantie, sauf la seule confiance que lui portait le monde entier.
D’ailleurs, aujourd’hui, ce ne sont pas les seuls pays de l’Eurasie susvisés qui ont pris conscience de la chose, car un nombre grandissant de pays ont déjà mis en place des alternatives à la devise américaine pour régler leurs factures de pétrole ou autres matières premières. Et cette fois-ci, les Etats Unis ne peuvent et peut-être même ne veulent plus s’y opposer par l’intermédiaire de l’OPEP, à travers l’Arabie saoudite, comme en 1973 à l’issue du choc pétrolier…
Bien sûr ! D’aucuns diront que ce discours ne date pas d’aujourd’hui, qu’ils l’entendent depuis bien longtemps et iront même jusqu’à le balayer d’un revers de la main, sous prétexte qu’il est exagéré, niant ainsi toute utilité d’analyse conjoncturelle. Mais les grands changements impliquent toujours du temps, souvent beaucoup de temps, pour prendre forme. Or les quelques faits ci-dessus présentés sont des signes avant-coureurs de grands bouleversements que connaîtront les prochaines décennies de ce siècle et auxquels le monde arabe ne pourra échapper. Au contraire ! Puisqu’il est l’un des principaux enjeux de la géopolitique mondiale.