Un système à levier redoutable
On est là au milieu de la quatrième période. C’est un moment décisif, certes contemporain mais non moins historique dans les relations de l’Occident avec l’Orient et même avec la planète entière. Car, cette fois-ci, Il s’organise au fur et à mesure , sous la conduite des Etats Unis, pour exercer une autre forme de domination, plus insidieuse, plus efficace et moins coûteuse. Cette ultime contre-offensive va reposer sur un système monétaire international à levier redoutable, auquel il sera impossible de s’échapper. Il s’agit de ce système par lequel l’Occident contrôle exclusivement toute la circulation monétaire du monde à travers son réseau bancaire qui régit tous les mécanismes du marché mondial des échanges commerciaux à partir de ses grands centres de concentration ou courroies de transfert que sont New York, Londres, Zurich, Frankfort et Paris, qui s’étendent à l’aide de leurs filiales et correspondants sur toute la planète.
La maîtrise exclusive des rouages de toutes les opérations commerciales par lesquelles l’Occident contrôle le flux financier international et donc l’économie mondiale, loin de s’affaiblir, va s’accentuer de jour en jour et ira jusqu’à susciter, dans les pays du tiers monde, un paradoxe douloureux : voilà des pays producteurs très riches en matières premières, objets de fortes demandes, et qui peuvent se retrouver soudainement en manque de liquidité (…).
C’est un système d’autant plus redoutable que ce ne sont autres que ces mêmes banques américaines et européennes, pourtant toutes privées, qui se chargeront d’appliquer rigoureusement les sanctions occidentales contre n’importe quel concurrent ou adversaire non-occidental, telles que la Chine et la Russie, sans parler de l’Iran et autres. Et il suffit que les Etats Unis décident de sanctionner un pays pour qu’il devienne vite la cible commune de toute cette structure financière internationale.
Donc une quatrième période largement marquée par ce système qui fut le principal levier que l’Occident avait activé de manière à la fois invisible et durable pour mettre à genoux l’ex URSS et les pays que l’on nommait alors ses satellites. Il demeure encore une arme redoutable entre les mains des Etats Unis qui, seuls, désignent les adversaires et décident quand faut-il les sanctionner.
C’est en cela qu’elle constitue une période plus que décisive, pour ce qu’elle représente dans le tournant des événements qui ont bouleversé beaucoup de certitudes et changé la face du monde.
Qui eût cru en effet que la puissante armée de l’Union Soviétique pouvait subir une si grave défaite en Afghanistan, telle qu’elle entrainât : l’éclatement de l’URSS en différents pays (…), la chute du Mur de Berlin suivie de l’unification des deux Allemagnes et une belle occasion pour l’OTAN de provoquer une guerre civile en Yougoslavie afin d’y intervenir militairement et de le diviser en cinq petits Etats (Serbie, Croatie, Monténégro, Macédoine et Bosnie), bref la disparition du communisme ?
Qui pouvait encore imaginer que l’Irak allait reculer d’un siècle parce que le président Saddam Hussein – dont le pays fut victime d’un raid aérien d’Israël visant à détruire un projet de centrale nucléaire civile – avait verbalement menacé Israël, lors d’un Sommet arabe à Amman, en brandissant une petite fiole, comme pour sous entendre que la bombe nucléaire irakienne était en cours de fabrication ?
Etait-il prévisible, à ce moment-là, que les Etats Unis allaient saisir ce prétexte, en se préparant longuement et avec beaucoup de détermination, pour envahir ce pays en l’absence de tout mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU, tuant près d’un million d’irakiens, civils et militaires, avant de disloquer l’armée et de dissoudre toutes les autres structures étatiques du pays, le laissant ainsi en champ de ruine ?
Le reste de l’histoire appartient à l’actualité
C’est dans ce contexte que surgira Vladimir Poutine, gardant en lui une profonde blessure provenant de l’humiliation faite à la Russie pendant qu’elle sortait difficilement de sa convalescence, suite à l’implosion qui emporta l’ex URRS, humiliation particulièrement douloureuse lorsque la Russie ne pouvait qu’assister impuissante face aux événements, à conséquence géopolitique majeure, qui se déroulaient en Irak, en Serbie et en Lybie où elle fut considérée comme moins que rien par l’Occident(1).
C’est aussi dans ce contexte-là que la Chine connaîtra, presque discrètement, durant plus de deux décennies, une croissance économique prodigieuse, avec un taux à deux chiffres, faisant aujourd’hui de la Chine la première puissance économique mondiale, selon de récentes études d’institutions américaines prestigieuses. (Nous y reviendrons)
Le but de cette petite rétrospective était de présenter brièvement l’évolution historique des
relations entre l’Occident et l’Orient. Le reste de l’histoire appartient à l’actualité que nous
pouvons aborder à présent pour orienter notre perception de la dimension économique et
la portée géopolitique qui en découlent :
Tout le monde sait que la géopolitique est d’abord une question économique, car le pouvoir politique et militaire repose sur le pouvoir économique. Or la posture économique des Etats Unis est de plus en plus insoutenable à court terme, elle se caractérise par un triple déséquilibre : le tarissement de l’épargne et l’endettement des ménages, le déficit budgétaire résultant du refus idéologique de toute hausse d’impôts significative, enfin le déficit abyssal de la balance des comptes publics – autrement dit la dette nationale qui s’élève à plus de 20 000 Milliards de dollars à la fin de l’année écoulée. C’est donc un déséquilibre global qui n’est pas très loin de provoquer l’effondrement de l’économie américaine. La baisse continuelle de la valeur du dollar viendra renforcer cette tendance qui ne manquera pas d’entraîner un relèvement brutal des taux bancaires, ralentissant ainsi l’économie intérieure pour au moins plusieurs années…
Cette chute du dollar se traduit déjà par la dévalorisation des titres du trésor américain que détiennent pour la plupart, sous forme de réserves, les pays du Moyen Orient et asiatiques, la Chine en premier lieu en ce qu’elle possède à elle seule plus de 25% de ces titres, ce qui va tout simplement ruiner ses finances si cela continuait au moment où, poussée par des forces populistes, l’Administration de Donald Trump décide de réinstaurer le protectionnisme en augmentant les taxes sur quelques produits importés de Chine.
Précisons que parmi les raisons de cette mesure, il y a le déficit annuel de la balance commerciale, entre les deux pays, qui s’élève, en 2017, à plus de 370 milliards de dollars en faveur de la Chine ; encore que ce n’est pas nouveau que les Etats Unis piétinent les accords commerciaux ou autres chaque fois que ces derniers n’assurent plus leur hégémonie, même si, dans cette occurrence, la Chine avait aussitôt répliqué en ciblant 128 produits américains qui feront l’objet de taxes supplémentaires à l’importation.
(1)Voir mes articles publiés au Calame, en 2016, sous le titre : La crise Syrienne et la résurrection de la Russie