La question du Sahara : le mémoire de la République Islamique de Mauritanie devant la Cour de justice internationale (suite 8)

8 March, 2018 - 02:03

Reprenant notre publication, suspendue après la 7ème livraison en date du 14 Juin 2017, – voir Le Calame des 23 Décembre 2015, 17 Février, 2 Mars et 5 Septembre 2016, puis 3 Avril, 24 et 14 Juin 2017. Je dois constater que la version dont je dispose et qui était celle du principal rédacteur, le regretté Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah, a été mal photocopiée : des lacunes entre les pages 123 et 150. Il s’agit des structures politiques mauritaniennes avant les pénétrations coloniales : ce qui est l’un des éléments les plus appréciables apportés par le mémoire. Je vais reconstituer ces pages par une copie, celle-ci scannée, et cet important développement sera la matière des prochaines livraisons.

 

Nous en venons aux réponses à fournir par la Cour à la seconde des questions qui lui a été posée par l’Assemblée générale des Nations-Unies.

 

Bertrand Fessard de Foucault Ould Kaige

 

 

Fin de la DEUXIEME PARTIE

 

 

SECTION 3.  –  LES LIENS ENTRE LE TERRITOIRE DU « SAHARA 

__________       OCCIDENTAL » AVEC L’ENSEMBLE MAURITANIEN

                           ________________________________________________

 

 

 

Il convient maintenant de tenter de dégager des éléments de réponse à la deuxième question posée par l’Assemblée générale à la Cour :

 

« Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l’ensemble mauritanien ? »

 

Le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie confinera ses observations, à ce stade de la procédure, aux liens juridiques de ce territoire à l’ensemble Mauritanien.

 

On se souviendra tout d’abord qu’ainsi que cela a été exposé ci-avant, l’ensemble chinguittien ou mauritanien s’étendait du fleuve Sénégal à l’oued Saguia-el-Hamra – compte tenu de l’imprécision naturelle affectant tout oued et celui-ci en particulier. Cet oued, on l’a en effet souligné, marque bien la frontière entre deux mondes distincts [i].

 

Ceci étant posé, le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie estime que la partie des territoires sous administration espagnole, au Sud de l’oued Saguia-el-Hamra, était partie intégrante de l’ensemble mauritanien. La relation juridique entre les deux est une simple relation d’inclusion. En effet, le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie espère avoir prouvé dans les lignes qui précèdent les éléments suivants :

 

1°) La frontière internationale établie en 1900 – 1912 par la France et l’Espagne a coupé arbitrairement des régions naturelles. La frontière n’est en rien une frontière naturelle.

 

2°) La frontière a coupé de la même manière arbitraire les territoires des confédérations ou d’émirats (en particulier l’Adrar).

 

Il est inutile de rappeler ici les circonstances dans lesquelles la frontière fut établie. Cela été largement analysé dans la première partie du présent exposé. On se souviendra que ce qui a compté, c’est essentiellement les intérêts réciproques de la France et de l’Espagne et que les intérêts de la première ont largement prévalu. Ces intérêts, c’était conserver l’Adrar, la Sebkha d’Idjil, la route vers les provinces algériennes. Le tracé de la frontière n’a tenu compte en rien des établissements humains et, en particulier, des territoires de tribus qui ont tous été coupés.

 

3°) Certes on pourrait dire que ce phénomène est général en Afrique, et que de nombreux territoires africains ont ainsi été dépecés par des parallèles et des méridiens. Il convient de souligner que cette caractéristique a pourtant ici un relief tout à fait fondamental, car il ne s’agit pas de tribus sédentaires, mais bien de nomades. En se référant aux cartes n°s 2 et 3, on verra que non seulement tous les territoires de tribus ont été coupés en deux, mais que tous les parcours de nomadisation l’ont été de même, parfois en trois tronçons. Ainsi une partie du parcours était d’un côté de la frontière, le reste de l’autre. Les puits, les cimetières, les oueds cultivés, les pâturages se trouvant sur des circuits impératifs pour maintenir la vie des pasteurs se trouvaient scindés.

 

Si la frontière s’était avérée réelle, c’eût été la fin du nomadisme, la destruction d’un mode de vie qui a sa tradition, sa grandeur et sa culture, c’eût été une forme d’ethnocide. Heureusement, il n’en fut rien. De 1886 à 1912, on peut dire que la frontière était purement sur papier, au moins du côté espagnol [ii].

 

C’est bien parce que ce territoire espagnol n’était pas occupé que Cheikh Ma el Aïnin y créa Smara, dans une partie libre du pays chinguittien, le plus loin possible de l’influence étrangère.

 

Le colonisateur français ne s’est inquiété de ce fait que lorsque les territoires espagnols sont devenus des zones de refuge pour les « dissidents » ou « non-pacifiques », c’est-à-dire tous ceux qui n’acceptaient pas la colonisation. C’est ainsi qu’en 1913, les Français n’hésitèrent pas à poursuivre, en territoire espagnol, les tribus maures Réguibat et Oulad Dleim qui leur résistaient, et même à détruire Smara en plein territoire espagnol de Sakiet-el-Hamra [iii]. C’est vers ce pays que l’Emir de l’Adrar a tenté de fuir encore en 1932.

 

En 1943, on s’en souviendra, un accord administratif fut passé entre les deux administrations coloniales pour supprimer toutes entraves aux nécessités de la transhumance.

 

Est-il besoin de souligner, au surplus, que mis à part quelques unités tout à fait limitées, aucune partie de la population des territoires occupés par l’Espagne n’était sédentaire. Ils faisaient tous partie de tribus nomades dont le caractère fondamental était d’être transfrontalières.

 

Les Oulad Bou Sba, les Oulad Dleim, les Regueibat, etc. se voyaient inscrits sur les registres français ou espagnols par l’effet du hasard. Leurs puits, leurs terrains cultivés, leurs cimetières dont ils étaient ancestralement propriétaires, se voyaient placer soudain au-delà d’une frontière établie par les étrangers.

 

5°) Il convient aussi, lorsqu’il s’agit d’examiner les liens du « Sahara occidental » avec l’ensemble mauritanien au moment de la colonisation, de se rappeler qu’au début de celle-ci, au moins pendant les dix premières années, on se trouvait dans une période ou l’Emirat de l’Adrar était la principale entité politique du Nord et du Nord-Ouest chinguittien. L’influence, sinon le pouvoir de l’Emir, s’étendait alors – on l’a vu plus haut – jusqu’à l’oued de la Saguia-el-Hamra et jusqu’ la péninsule du Rio de Oro (Dakhla). L’émirat de l’Adrar, c’était la métropole culturelle et économique du Nord et du Nord-Ouest chinguittiens.

 

Les Traités d’Idjil sont, à cet égard, tout à fait symptomatiques. C’est grâce à l’influence de l’Emir que tous les chefs de tribus ont pu être rassemblés à Idjil. Les deux traités sont signés sous sa tente. Il signe – ou plutôt fait signer, suivant la tradition guerrière de l’époque,  – les  deux traités, non seulement celui relatif à l’Adrar, mais aussi celui relatif à la zone qui s’étend de l’Adrar Souttof à l’oued de la Saguia-El-Hamra. Combien est symptomatique le fait que les Oulad Bou Sba qui, pourtant, avaient déjà signé le traité avec Bonelli, signent à nouveau en présence de l’Emir.

 

La question posée à la Cour n’est pas d’examiner la validité internationale de tel ou tel titre que l’Espagne aurait pu faire valoir pour établir la frontière avec les possessions françaises ici ou là ; la question ne porte pas non plus sur une contestation territoriale entre l’Espagne et la France ou ses successeurs ; la question est de savoir si le territoire, au moment de son occupation par l’Espagne, avait une autonomie quelconque par rapport à l’ensemble mauritanien. Nous croyons avoir montré le contraire, car aucune entité de l’ensemble ne se trouve au complet au « Sahara occidental ».

 

Et le dessin géométrique que l’on peut voir aujourd’hui sur les cartes du Nord-Ouest de l’ensemble mauritanien n’est qu’un ramassis disparate de parties de l’émirat de l’Adrar et de morceaux de quelques territoires de tribus.

 

On peut donc en conclure qu’au moment de la colonisation espagnole le « Bilal Chinguiti » ou ensemble mauritanien était une entité unie par des liens historiques, religieux, linguistiques, sociaux, culturels et juridiques, formant une communauté ayant sa propre cohésion, et que les territoires occupés par l’Espagne, appelés « Sahara occidental » ne formaient aucune entité propre, n’avaient aucune identité et que la partie située au Sud de l’oued Saguia-el-Hamra faisait juridiquement partie de l’ensemble mauritanien.

 

La ferme conviction du gouvernement mauritanien est que cette partie du Sahara occidental et le territoire actuel de la République Islamique de Mauritanie constituent les parties indissociables de l’ensemble mauritanien.

 

 

 

Avant de conclure sur la deuxième question posée, le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie estime devoir rappeler que l’Assemblée générale, par sa Résolution du 13 décembre 1974, s’est bornée à demander à la Cour « quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l’ensemble mauritanien ? ». L’Assemblée n’a pas cru devoir confier à la Cour la mission de procéder à une quelconque délimitation géographique qui n’eut pas été en harmonie avec la procédure consultative engagée.

 

C’est pourquoi le gouvernement de la République Islamique de Mauritanie demande seulement à la Cour de constater qu’au moment de la colonisation par l’Espagne, la partie du Sahara actuellement sous administration espagnole avait des liens juridiques avec l’ensemble mauritanien. Il est toutefois utile, aux yeux du gouvernement de la République Islamique de Mauritanie, de souligner que là où s’arrête l’ensemble mauritanien commence le Royaume du Maroc.

 

à suivre –

IV – les structures politiques (reconstitution des pages « sautées » ici)

 

 

 

 

 

 

[i] - MONTAGNE, Robert, Les Berbères et le Makhzen marocain, 1930.

 

[ii] - MISKE, Ahmed Baba, traduction et commentaire d’un récit de AL WASSIT intitulé « Tableau de la Mauritanie au début du XXème siècle », pp. 12-13 : « On sait ensuite que pour des raisons internationales, un accord passé entre Français et Espagnols (Convention du 27 juin 1900) divise le pays en deux zones d’influence différentes. Tout au moins théoriquement car, en pratique, les tribus du Sahel, nullement informées de l’accord et ignorant tout de leur qualité de futurs sujets des deux puissances européennes, continuaient à nomadiser dans leurs zones habituelles. Trente à quarante ans plus tard, elles devaient se rendre compte qu’en dépassant tel ou tel point du tracé bizarre et vague, les campements devenaient « Français » ou « Espagnols » et qu’il fallait de plus en plus choisir. »

 

[iii] - DESIRE-VUILLEMIN, Histoire de la Mauritanie, op. cit., p. 198.