Dieu merci ! Le souffle de la sagesse a étouffé le bruit des hélices des garde-côtes, amorti le retentissement martial du communiqué du commandement mauritanien et bloqué la forte décision du Sénégal, d’envoyer un bâtiment de la Marine nationale, près de la frontière maritime. C’est-à-dire au bord du Rubicon. On a frôlé l’abîme puis fait demi-tour. La désescalade (annonciatrice de la détente) est-elle le fruit d’une intense négociation bilatérale ou le résultat d’une pression amicale et souterraine de la France soucieuse d’éviter le clash entre deux pays qui abritent ses intérêts économiques et jouent, à ses côtés, des partitions décisives au Mali et dans le G5 Sahel ? Les coïncidences ne fourmillent jamais de façon hasardeuse.
La physionomie du dégel reflète, en filigrane, la touche diplomatique de la France et, plus spécifiquement, la main de Macron. En effet, durant le séjour tunisien du Président français, certains milieux journalistiques de Paris et certains couloirs du Quai d’Orsay (siège du Ministère des Affaires Etrangères) bruissaient d’une escale probable d’Emmanuel Macron, à Nouakchott, sur le chemin de Dakar. L’escale n’a pas eu lieu, mais le nécessaire a été apparemment fait et bien fait. Du reste, tout y concourait fort opportunément. Notamment l’étape de Saint-Louis – ville frontalière des eaux territoriales de la Mauritanie, ville meurtrie et ville martyrisée par le feu des garde-côtes mauritaniens – exigeait un mot et un geste, d’ailleurs sollicités à haute voix, par les habitants de Guet-Ndar, auprès de l’hôte français politiquement influent sur les deux rives du Fleuve Sénégal. Requête satisfaite. Aux porteurs de banderoles et aux auteurs de cris exprimant un double besoin de mer et de poissons, Macron sensible et sensibilisé a dit : « Je porterai vos voix… ». Une petite phrase qui a produit un grand et immédiat effet, avec le ballet diplomatique en cours : émissaire du Président Mohamed Ould Abdelaziz à Dakar et voyage du Président Macky Sall, à Nouakchott.
Bref, la tension jusque-là grimpante, a dégringolé à la vitesse d’un TER. La libération effective des huit pêcheurs sénégalais et le prochain tête-à-tête Macky-Aziz sont deux jalons posés dans le sens d’une restauration de la sérénité indispensable à la bonne radiographie des rapports sénégalo-mauritaniens qui ont grandement et urgemment besoin d’un traitement qui les dépollue proprement. Sinon, une glissade catastrophique sera vite arrivée. Le décor ayant été de facto planté. Tous les experts savent que l’arrivée d’un navire de guerre sénégalais sur zone, aurait hâté l’irréparable. De deux choses, l’une : ou la Marine nationale verrouille la frontière maritime et empêche tout braconnage halieutique en mer mauritanienne, ou alors, elle s’interpose dans la course-poursuite entre piroguiers et garde-côtes. Dans cette seconde hypothèse, l’affrontement sera rapidement généralisé ; puisque les aéronefs de la Mauritanie tenteront d’envoyer le navire sénégalais au fond de l’océan. Le ton vigoureux du communiqué de l’Etat-major de Nouakchott en dit long.
Même dans la douleur contagieuse, la mort du jeune pêcheur Fallou Sall, offre regrettablement la sinistre opportunité de passer au peigne fin et, surtout, de rebâtir l’indispensable et convenable coopération entre les deux pays que tout prédispose à la fusion irrésistible et non à la furia perpétuelle. Bien entendu, le déplacement du Président Macky Sall est psychologiquement éprouvant. L’opinion sénégalaise – chauffée à blanc par le énième décès d’un piroguier – considère qu’il incombe au chef des bourreaux (le Président Abdelaziz) de présenter ses condoléances aux concitoyens de la victime, sur le sol sénégalais. Et non l’inverse qui dicte une rencontre au sommet, à Nouakchott. Le sentiment que Macky Sall va à Canossa, est bien réel.
Toutefois, on note davantage de chagrins que de d’humiliations dans le processus de décrispation, quand on voit que le Président Mohamed Ould Abdelaziz a envoyé un message et un messager porteurs de regrets, d’excuses et…d’invitation. Une souplesse qui tranche avec la rigidité de la posture droite comme un « i » du commandement de l’armée mauritanienne. Enfin, faut-il tenter de réveiller ou de conjurer les démons du passé ? On se rappelle qu’en 1989, un tristement célèbre ministre de l’Intérieur, le Colonel mauritanien, Djibril Ould Abdallah alias Gabriel Cymper, avait présenté ses condoléances au Président Abdou Diouf, avec un sourire flottant sur les lèvres, devant les caméras de la Télévision nationale. Une moquerie (volontaire ou non) qui avait mis le feu aux poudres, au lendemain des évènements tragiques de Diawara-Moudeiri. Le voyage de Macky Sall à Nouakchott nous évite, par conséquent, un éventuel bégaiement de l’Histoire, habituellement dramatique.
A situation exceptionnelle doit correspondre un sens exceptionnellement élevé des responsabilités. Le voyage, du jeudi 8 février, devra – non seulement finaliser l’Accord international relatif au champ gazier à cheval sur la frontière entre les deux pays – mais également évacuer toute la gamme des contentieux qui vont de la quiétude des Sénégalais vivant en Mauritanie à la transhumance périodique des camélidés (chameaux) sur le sol sénégalais. Depuis 1989, les relations sénégalo-mauritaniennes sont – malgré les apparences diplomatiquement correctes – placées sous le signe du ressac. Une stagnation irriguée par des poussées de fièvre régulièrement étouffées, à l’insu de l’opinion publique. Sous le magistère d’Abdou Diouf, la Mauritanie s’est farouchement opposée à la réalisation du Canal du Cayor, sous le prétexte que le gros volume d’eau nécessairement captée par un tel ouvrage, affecterait la clé de partage (des eaux) établie par l’OMVS. Même hostilité et mêmes arguments contre le Projet de Revitalisation des Vallées Fossiles. Enfin, un veto encore plus menaçant a été brandi contre le Réseau Hydrographique National envisagé par le Président Wade. Chaque fois, Dakar a reculé. A contrario, le Président Aziz a inauguré, le 22 novembre 2017, le Canal d’Aftout Sahéli. Un ouvrage de 55 km qui draine l’eau du Fleuve Sénégal et arrose provisoirement 5000 ha, situés sur la rive mauritanienne. Des travaux réalisés par la Société Nationale Aménagement Agricole du Territoire (SNAAT) et le Génie militaire mauritanien.
Faut-il prendre le taureau par ses grandes cornes ou le chameau par son long cou ? Espérons que le voyage de Macky Sall favorisera – n’ayons pas peur des mots ! – une double opération de carénage total et de cure sans restrictions, des relations bilatérales, afin de tout placer solidement sur orbite. Dans les deux pays, des élections présidentielles se profilent à l’horizon, avec leurs cortèges de surenchères, inhérentes aux campagnes électorales. Le feu au Sud (Boffa-Bayottes, en Casamance) et les étincelles au Nord (l’enfer de Ndiago, du côté de la frontière avec la Mauritanie), le Président Macky Sall est rudement pris en sandwich par les évènements.