La biographie d'Abou Hafs, ancien compagnon d'Oussama Ben Laden est une plongée dans l'évolution du jihadisme contemporain. Lancement de la guerre de la communication, positionnements géostratégiques sous couvert de décisions religieuses... Le Mauritanien a été témoin et acteur de la naissance du logiciel jihadiste.
Le nouveau livre du journaliste Lémine Ould M. Salem est riche en enseignements. L’Histoire secrète du djihad, d’Al Qaïda à l’État islamique est tout entier organisé autour de la personne d’Abou Hafs al Mouritani, jihadiste mauritanien qui a conseillé le dirigeant d’Al-Qaïda Oussama Ben Laden et fréquenté de plus loin Abou Moussab Al Zarkaoui, fondateur de Daesh.
Lémine Ould M. Salem, auteur de Le Ben Laden du Sahara, sur les traces du jihadiste Mokhtar Belmokhtar (La Martinière, 2014) et réalisateur du documentaire Salafistes, sorti en 2016 – dont l’État français a un moment demandé l’interdiction -, a eu accès à Abou Hafs, Mahfoudh Ould El Waled de son vrai nom, source discrète qui réside à Nouakchott depuis sa sortie d’une prison iranienne et dont le parcours épouse l’histoire du jihadisme contemporain.
Éducation conservatrice et tempérament rebelle
Enfant issue de la classe moyenne, Mahfoudh, né en 1967 sous une tente dans la région de Rosso, frontalière avec le Sénégal, tend déjà l’oreille lorsque la radio revient sur les activités des kahidines, les étudiants communistes mauritaniens.
Bien qu’élevé dans une famille « toujours attachée aux fatwas des anciens de la tribu », qui « reste hostile à la perspective de voir ses enfants fréquenter l’école moderne », le futur Abou Hafs, qui étudie le Coran dans le désert, est interpellé par les luttes politiques.
Et c’est un chiite, un commerçant libanais, qui le premier, lui met dans les mains les classiques du panarabisme et du nationalisme, avant qu’étudiant, il ne se rapproche des Frères musulmans.
Une culture politique contestataire et défiante vis-à-vis de l’Occident en bandoulière, il devient étudiant à 17 ans à Nouakchott, à l’Institut saoudien des études islamiques, qui vient d’ouvrir en 1984. L’institut aurait, selon plusieurs sources, accueilli également le jihadiste nigérian Abou Bakr Shekau, chef de Boko Haram.
Abou Hafs (à ne pas confondre avec son homonyme marocain, ex salafiste qui prône désormais l’égalité entre hommes et femmes) est comme un concentré des différentes explications apportées au phénomènes jihadiste en Afrique et au Moyen-Orient : conservatisme tribal, persistance des combats post-coloniaux, passage du gauchisme à l’islamisme et, enfin, introduction des théories wahhabites. Salem se garde d’assurer que l’un de ces facteurs a joué plus qu’un autre, préférant s’en tenir à un exercice monographique.
Le passage afghan de l’idéologue
L’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 a choqué Abou Hafs, comme beaucoup d’autres. À bord d’un avion de la compagnie Saudia Airways, en 1991, il se rend au Pakistan, puis en Afghanistan, où il apprend à manier les armes.
Son esprit vif ne résiste pourtant pas à l’exaltation, dernier aspect mis en avant pour expliquer les mobiles des terroristes : « Ma plus grande surprise a été de voir mes compagnons braver le danger en rigolant. Ce jour-là, j’ai à mon tour compris à quel point il est magnifique de découvrir le martyr sourire aux lèvres… »
Très vite, Abou Hafs est accepté dans les rangs d’Al-Qaïda où il se démarque par ses capacités en fiqh, en poésie ou en sciences des hadiths, ne faisant pas mentir la réputation des Mauritaniens pour leurs connaissances religieuses.
Chargé de former intellectuellement les recrues, il est appelé à Khartoum, au Soudan. Là, jusqu’en 1994, il fréquente quotidiennement Oussama Ben Laden. Ce dernier tranche le débat qui anime le mouvement jihadiste de savoir qui frapper en premier lieu : l’Occident.
Communication et terrorisme
Il s’ouvre aussi, comme l’explique Abou Hafs à l’auteur, a la guerre de la communication, pariant à l’époque sur les vidéos savamment montées, qui préfigurent l’importance accordée aux médias par l’organisation État islamique. Ses vidéos sont alors, déjà, un mélange de modernité et de clins d’œil à une histoire islamique fantasmée.
Ben Laden était « un fin stratège », assure Abou Hafs à l’auteur. Revenu en Afghanistan où les talibans disposent de territoires, Hafs a directement influencé la destinée de l’organisation.
C’est lui, le Mauritanien, qui pousse en faveur de la destruction des bouddhas de Bâmiyân en 2001 : « J’ai expliqué au mollah Omar [chef des talibans, NDLR] l’enjeu et la dimension géopolitique de l’affaire : s’il acceptait de ne pas détruire les bouddhas, s’il cédait taux pressions internationales cette fois-ci, il serait contraint de céder à nouveau plus tard. » Tout n’est pas question de religion, même chez Al Qaïda…
Présentant des points de vue divergents de ceux de Ben Laden, il finit par lui préférer les talibans. La guerre en Afghanistan renvoie Abou Hafs sur les routes. Avant un retour au pays, il passe plusieurs années en prison en Iran, aux côtés de cadres jihadistes.
Abou Hafs, incarnation de l’idéologie jihadiste, et de la synthèse entre fanatisme religieux et mouvement politique moderne ? Sélim ne l’écrit pas noir sur blanc mais multiplie les renvois entre la biographie d’un homme et l’histoire d’un mouvement terroriste international.
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