Les media constituent un véritable espace public de débats et de relais d’opinions des citoyens. Chez nous, en Mauritanie, on vit, avec passion, cette proposition. On peut même dire qu’on est, actuellement, « débordé », voire « saturé » par la pléthore de débats et d’interpellations sur les sujets les plus divers. Mais, sans conteste, c’est celui de la démocratie qui semble tenir la palme, intéressant plus d’un. En effet, on aura tout vu et entendu, dans nos media locaux. Des diverses revendications, coups de patte ou de chapeau au pouvoir, aux solutions les plus radicales, pour remédier à certains problèmes, tout se bouscule sur le forum. Evidemment, chacun des intervenants s’exprime en fonction de sa position, ses impressions et sentiments, vis-à-vis de notre organisation sociale et politique. Combien de lettres ouvertes et de déclarations pleuvent-elles, nuit et jour, dans la presse, toutes catégories confondues ? Partant de l’hypothèse que, sans démocratie « réelle », le développement et l’harmonie tant rêvés ne peuvent voir le jour, dans un pays comme la Mauritanie, beaucoup de gens passent le plus clair de leur temps à s’exprimer sur la problématique de la démocratie dans notre pays. Mais ont-ils vraiment mesuré l’impact et la portée de leurs messages ? Notamment sur le pouvoir ? Ces questions méritent d’être posées car on assiste, actuellement, à un véritable déchainement d’opinions, dans notre pays classé numéro 1, au Maghreb, en matière de liberté de presse.
Radios, sites électroniques d’informations, télévisions, presse écrite et réseaux sociaux constituent les principaux relayeurs d’opinions en Mauritanie. Ainsi, ce qui se conçoit, dans les cerveaux des acteurs de la sphère privée mauritanienne, semblerait trouver opportunité de traitement public, surtout quand il s’agit de messages au pouvoir en place. Cependant, si l’on se réfère un peu à la théorie des media, les opinions suscitées par la presse sont assimilables, nous a prévenus Gabriel Tarde, à des « biens de consommation ». Pour plus de précisions, le théoricien allemand Habermas a souligné que « l’espace ou la sphère publique est un espace de discussions et d’échanges correspondant à l’émergence du capitalisme, en Angleterre et en France, entre la fin du 18ème et le début du 19èmesiècle, où des individus qui font usage de leur raison, deviennent un public débattant, ouvertement, de l’exercice du pouvoir étatique et, d’une manière générale, de l’organisation de la société, en utilisant et en fréquentant les salons littéraires, les cafés et les clubs ». Une définition qui considère la presse comme un outil de débat. Ce qui fait, d’elle, un espace public, malgré la nouvelle configuration médiatique surtout marquée par l’arrivée d’Internet, avec ses avantages et ses inconvénients. Les chefs d’Etat eux-mêmes s’y expriment, à l’instar du président mauritanien. Mais, après Habermas, la presse a été très vite classée, par certains critiques, comme « un instrument de manipulation » car, disent-ils, soumise à des logiques commerciale et idéologique. Ce qui provoque la question de la crédibilité des opinions et évoque, également, la propagande.
En ce qui concerne la démocratie, on assiste à un véritable matraquage, dans l’espace médiatique mauritanien, quoique l’évaluation de l’impact des interventions laisse très dubitatif. A titre d’exemples, la récente formation d’un nouveau gouvernement a défrayé la chronique et suscité beaucoup de réactions, de la part de la communauté négro-africaine de Mauritanie. Quantité d’entre elles ont circulé dans les media. Mais, jusqu’à présent, le mécontentement du nombre jugé « insignifiant » des portefeuilles ministériels confiés à cette communauté n’a obtenu aucun retour positif. Ce qui rappelle la célèbre expression : « le chien aboie, la caravane passe ». C’est à se demander si les débats, par media interposés, ont un quelconque impact sur la façon de gouverner, du moins en Mauritanie… Un vrai paradoxe, quand on voit les passions qu’ils déchaînent, parfois…
Amadou Kane