- De la peine capitale à la libération
Ould Mkhaitir a en fin de compte échappé à la peine de mort. Jusqu’ici, du moins. Pourtant, la cour criminelle et la cour d’appel de Nouadhibou ont déjà, tour à tour, prononcé cette lourde peine à son encontre. Et là, ce Jeudi 9 novembre 2017, le jeune blogueur, à qui il est reproché d’avoir rédigé un article attentatoire au Saint Prophète, Paix et salut sur lui, voit sa peine réduite par la cour d’appel de Nouadhibou, autrement recomposée, à deux ans de prison et 60.000 Ouguiyas d’amende, seulement. Ce qui équivaut à une libération, l’intéressé ayant déjà purgé près de trois ans en détention. Accueillie un peu partout en Mauritanie, avec un vaste mouvement de protestation, cette sentence a suscité de nombreuses manifestations de rue, avec leur cortège de barricades, de pneus brûlés, de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes, de blessés, d’échauffourées, de bris de vitres etc…
A Nouakchott, à Nouadhibou, comme dans une ou deux autres grandes villes, de nombreux manifestants réclamant la tête du prévenu, sont sortis après la prière du Vendredi pour vilipender le blogueur et cracher leur colère contre la justice qui, selon eux, n’a pas prononcé «la peine de mort prévue dans des cas pareils par les prescriptions de l’Islam, validées par le rite malékite». Ces manifs, dont des artères de la capitale portent encore de remarquables stigmates, avaient aussi parfois vu la participation de brigands mus par la volonté de profiter de la chienlit pour commettre des crimes et délits.
A regarder tout ça de près, on ne peut que relever certaines incohérences :
- Le sentence controversée prévoyant de facto la libération du prévenu M’Khaitir est , de l’avis de certains, conforme à la législation mauritanienne comme le montre l’article 306 de l’Ordonnance 83-162 du 09 juillet 1983, portant institution d’un Code Pénal : «Toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur et aux mœurs islamiques ou a violé les lieux sacrés ou aidé à les violer, si cette action ne figure pas dans les crimes emportant le Ghissass ou la Diya, sera punie d'une peine correctionnelle de trois mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 5.000 à 60.000 UM. Tout musulman coupable du crime d'apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S'il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu'apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. S'il se repent avant l'exécution de cette sentence, le parquet saisira la Cour suprême, à l'effet de sa réhabilitation dans tous ses droits, sans préjudice d'une peine correctionnelle prévue au 1er paragraphe du présent article.» Pourtant, ce code pénal a été élaboré en collaboration avec d’éminents oulémas mauritaniens dont les disciples sont ceux qui s’élèvent aujourd’hui avec véhémence contre la sentence prononcée jeudi.
- Apostasie, mécréance ou pas, si l’on s’en tient à l’article 306 du code pénal cité plus haut, devait-on valablement condamner par deux fois successives Ould M’Khaitir à la peine capitale ? Celui-ci, pour rappel avait été condamné à mort le 24 décembre 2014 par la Cour criminelle de Nouadhibou, condamnation confirmée le 21 avril 2016 par cour d’appel de la capitale économique. Que s’est-il passé pour que la cour d’appel aille d’un extrême à l’autre ? D’aucuns décèlent ici le poids de pressions exercées de l’intérieur et de l’extérieur sur les magistrats.
- Le jour du procès en appel à Nouadhibou, Ould M’Khaitir, visiblement bien entretenu, s’est présenté sans entraves devant la cour alors que, le sénateur Mohamed Ghadda, innocent aux yeux de nombreux segments de la classe politique et de l’opinion en général, n’a pas joui de traitement comparable lorsqu’il devait être présenté, il y a près d’un mois, au juge d’instruction à Nouakchott. Quel hiatus :
- La délégation du Forum des Oulémas et Imams pour l’Appui au Prophète de l’Oumma, pourtant habituellement proche du pouvoir, a été empêchée d’accéder au prétoire alors que des diplomates étrangers et des représentants d’organisations humanitaires, placés au centre et en couleurs, occupaient les devants de la salle d’audience.
- Les animateurs les plus fervents des actions entreprises dans le cadre «d’Ennousra», ceux qui ont toujours été aux premières loges des manifs réclamant la tête de M’Khaitir, ont, en grande partie, adopté un profil bas au terme du procès en appel et on ne les a plus vu haranguer les foules ou faire face à la police durant les manifestations.
Outre ces incohérences, il y a lieu de souligner que les derniers développements nés de l’affaire M’Khaitir ont produit une image dévoyée de la réalité mauritanienne. Les observateurs non avertis, ceux qui ne sont pas au fait des subtilités de la société mauritanienne, pourraient facilement croire que le peuple mauritanien n’est pas tolérant, voire qu’il est foncièrement violent et fanatique et que le pouvoir du général Abdelaziz est l’unique et incontournable rempart contre l’extrémisme rampant. Or, tout cela n’est pas totalement vrai : si certains peuvent déceler des relents extrémistes ici ou là parmi les manifestants, l’écrasante majorité de ceux qui battent aujourd’hui le macadam faisait partie des manifestants chaleureusement accueillis en 2014 par le président Abdelaziz devant les grilles du palais présidentiel et devant lesquels il s’était engagé à appliquer la loi dans toute sa rigueur, en ce qui concerne ce dossier.
Floués par les lourdes condamnations en cour criminelle et en cour d’appel, ces manifestants ont jugé provocatrice la sentence du jeudi portant réduction excessive et brutale de la peine retenue pour sanctionner ce prévenu poursuivi pour un sacrilège ayant heurté la conscience de plus de deux milliards de musulmans.
La réaction de la foule à cette sentence a été proportionnelle au choc. Mais à l’heure qu’il est, il y a eu un calme précaire consécutif surtout au pourvoi en cassation qui a fait l’objet d’un grand renfort de publicité mais qui sera, tout compte fait, sans grands effets. Attendons la suite.
Ely Abdalla