Le livre de Lakhsara Mint Dié, « les tribulations d’une Gondwanaise » (éditions l’Harmattan, 2017) fait partie de cette littérature sociologique dont parlait Régis Debray à propos des romans latino-américains. L’auteure commence par s’adresser à son père, décédé il y a quelques années, pour lui exprimer sa gratitude et surtout son affection profonde. On pense alors au philosophe Michel Onfray, racontant dans « Esthétique du pole nord » le voyage qu’il offrit à son père, modeste ouvrier qui rêvait de visiter le grand nord. Témoignages d’autant plus émouvants qu’ils sont rares en littérature ou on préfère souvent tuer le père, la mère, voire toute la famille (n’oublions pas le magnifique « livre de ma mère » d’Albert Cohen) Au-delà de ces premières pages, Lakhsara Mint Dié nous présente une chronique de l’absurde, qui part à la «recherche des lois perdues» (sous titre du livre), dans une quête désespérée et souvent désespérante de l’administration gondwanaise. «Nul n’est censé ignorer la loi ? N’est-ce-pas ? Vous êtes bien d’accord avec moi ?». Sauf que, au Gondwana, «elles sont tellement nombreuses et désorganisées que nous ne savons plus ou elles sont (….) Mais ne t’inquiète pas, même les juges ne sont pas au courant ! Et pire encore, même ceux qui les font ne les connaissent pas ». La loi est utilisée comme fil rouge pour passer en revue les maux dont souffre aujourd’hui l’Afrique, non pardon le Gondwana, à travers des chapitres qui sont comme des sketchs ou on rit beaucoup. Dans ce voyage en absurdie, l’humour ravageur de l’auteure fera grincer quelques dents. Il n’en est pas moins juste. D’autant qu’il est porté par une langue française maitrisée. L’exercice n’était pourtant pas gagné d’avance, car en plus du « français-français », comme aurait dit l’auteure, celle ci utilise des mots et une manière de s’exprimer typiquement « françafricains ». Exemple : « Mais alors, le Gondwona-là c’est comment ? » Ekiè ! c’est une bonne queshion dè ! ouay c’est beaucoup de pays qui sont tous démocratiques, façon-façon. Ce sont tous des états de droit Hum….Etat de droit ? Oui ! Quoi ? Y a problème ? Il faut pas charrier Kay, c’est leur droit le plus absolu » On est là dans la lignée de l’ivoirien Ahmadou Kourouma, certainement le plus grand romancier contemporain de l’Afrique francophone. Lakhsara Mint Dié passe en revue les principaux maux de l’Afrique, réussissant à les résumer en quelques mots, qui disent assez justement l’essentiel. Jugez par vous-même : L’échec du parlement ? « Mais dans ce cas, c’était plus mieux de conserver notre parlement traditionnel ! Lequel ? Toi aussi, tu as oublié ? L’arbre à palabres bien sur ! là ou les décisions sont prises avec les hommes du village et parfois les femmes et, qui plus est, sont respectées » Les droits de l’homme ? « Les droits de l’homme c’est l’argent. Tu as l’argent, c’est bon, ça peut marcher. Tu n’as pas, y a pas de droit. Tu vois non ? » Le développement ? « Un plus un égale deux non ? Pardon, une seconde, je vais juste expliquer au plombier : c’est simple, quand tu installes la conduite d’eau dans les bas fonds, n’oublie pas de la brancher au liquide. En d’autres termes, prends la justice comme deuxième pilier de développement et pitié n’oublie pas de le brancher au premier pilier, à savoir l’éducation. Ca peut vraiment nous arranger, quoi ! » On pourrait multiplier les citations à l’envie. En effet, tout le livre est ainsi, étonnant, passionnant, inattendu. Il parle de la santé, des élections, de l’abus de pouvoirs, du renoncement, etc., avec une fausse désinvolture pour mieux masquer une vraie colère face à des situations déglinguées, mais que tout le monde contribue à perpétuer, nationaux comme étrangers : « On se plaint que rien ne marche comme il faut. Tout le monde sait que ça marche juste assez. Assez pour se voiler la face ». Photographe impitoyable, l’auteure reproduit avec une certaine dérision ce que nous ne voyons plus à force de le côtoyer chaque jour. Elle dit alors combien ce qui, pour nous, est devenu « normal » reste « anormal » et porte un grand préjudice à la communauté (c’est important la communauté !), à son image (c’est important l’image !), à son futur (c’est important le futur !). Ainsi, du policier qui vous verbalise, parce que c’est la veille de tabaski, en vous expliquant que vous auriez du savoir que le chemin que vous avez emprunté avec votre voiture est un sens interdit, même si cela n’est indiqué par aucun panneau. Ainsi du patient qui porte bien son nom car il est condamné à être patient face à un système de santé qui, de la santé, a perdu tout système. Etonnez vous, dans ces conditions, que le Gondwana soit en queue de peloton des tous les indices en cours, qu’ils s’appellent « Indice de développement humain », « Doing Business », « Indice Mo Ibrahim » ou que sais-je encore. Il est vrai que « nous sommes donc en panne depuis depuis ! mais ça n’a pas l’air d’inquiéter grand monde…..Et lorsque nous faisons appel au bienfaiteur de fonds, le plus souvent c’est lui qui nous appelle à faire appel à lui, il a généralement une approche mécanique » N’allez surtout pas croire qu’il s’agit d’un énième livre « afro-pessimiste ». Au contraire, à travers ses personnages, leurs renoncements pour beaucoup, leurs doutes pour la plupart, leurs sursauts pour certains, l’auteure montre qu’il existe un chemin, que d’aucuns ont déjà commencé à emprunter. « Toi là tu veux quoi ? Il ne faut pas nous faire une mauvaise publicité dè ! Mais non je suis juste réaliste ! Paaardon mon frère, j’ai le droit d’aspirer à mieux ! Ekié, c’est la loi qui dit ça ? » J’espère que ce beau roman aura de nombreux lecteurs. En le refermant je réalise que, dans les réflexions sur l’Afrique engagées par des intellectuels aussi prestigieux qu’Achille M’Bembé ou Felwine Sarr, il est peu question de la loi au sens administratif et organisationnel que lui donne le roman de Lakhsara Mint Dié. Or que vaut le contenu sans un vrai contenant ? Un roman sociologique vous ai-je dit !! LES TRIBULATIONS D’UNE GONDWANAISE A la recherche des lois perdues Lakhsara Mint Dié DÉVELOPPEMENT AFRIQUE SUBSAHARIENNE Par Majid KAMIL financialafrik.com
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».