Connaître la structure d’une organisation est une condition suffisante pour déterminer avec précision ses orientations stratégiques et ses moyens opérationnels ; c’est ainsi qu’une structure en « holding » ou société en conglomérat annonce une stratégie de croissance externe par diversification, dont l’outil opérationnel n’est ni plus ni moins qu’une myriade de sociétés que va contrôler et animer la holding, comme le ferait n’importe quelle société d’investissements détenant tout ou partie des sociétés satellites qui composent son périmètre.
Cette dynamique conglomérale est malheureusement au centre de notre système bancaire, avec autour de chaque banque une constellation de sociétés écrans ,qui trahissent l’existence d’un marché interne des capitaux fonctionnant en marge de toute réglementation, et annulant les effets bénéfiques recherchés à travers l’intermédiation des ressources financières, dont le propre devrait être d’orienter les financements vers les entreprises qui en ont le plus besoin, sans intention de les contrôler ; de s’interdire pour les banques, d’utiliser l’épargne collectée en vue de créer des sociétés dont elles auraient la direction. Or, c’est précisément l’inverse qui se produit, les banques se transformant de facto, au lendemain de leur création, en sociétés d’investissements adoptant la même stratégie et utilisant les mêmes moyens opérationnels que n’importe quelle « holding ».
On ne peut donc pas, dans ces circonstances, attendre du système bancaire qu’il soit, en l’état actuel, un partenaire efficient dans la mise en place d’un écosystème de nature à favoriser l’accessibilité des entreprises au crédit dans des conditions qui préservent leur compétitivité et améliorent leurs avantages concurrentiels. On ne peut pas, non plus attendre d’un tel système bancaire, qu’il soit le canal de transmission de la politique monétaire à l’économie, si élaborée, si construite et si pertinente que soit cette politique monétaire. Nos banques, qui brassent le gros des actifs et passifs financiers de l’économie, sont en conflit permanent avec les lois de la concurrence, au préjudice et au détriment des entreprises qui refusent d’appartenir à leur périmètre, et qu’elles vont d’emblée considérer comme des cibles à abattre ; la double qualité des banques, à la fois comme institutions collectrices de dépôts et comme sociétés d’investissements, nourrit et alimente des conflits d’intérêt qui confèrent aux dysfonctionnements du système bancaire un caractère permanent, le fragilise , perturbe les choix de politiques monétaires , éloigne les banques de leur mission première qui est le financement de l’économie réelle. Monsieur Fawaz est un homme d’affaire avisé, qui va concocter, dans les années quatre vingt un modèle d’affaires, répondant à une demande solvable, pour la réalisation duquel sa banque s’engage à le soutenir, avant de le lâcher au milieu du gué, pour des motifs qui relèvent plus de la rétorsion que de toute autre motivation propre aux considérations qui doivent prévaloir dans une relation comme celles qu’entretient un banquier et son client ; Fawaz, voyant au fil du temps, que sa relation avec son banquier s’est muée en rapport de force, et comprenant que la confrontation serait à son désavantage, va se résoudre à jeter l’éponge en cédant son projet à ses concurrents pour lesquels la banque servait de cheval de Troie, le tout moyennant une compensation dérisoire, le seul intérêt pour Fawaz, étant de ne pas se retrouver avec des déboires financiers pouvant entamer sa trajectoire entrepreneuriale.
Monsieur Bomba ould Sidi Bady est un homme d’affaire talentueux , une force de la nature, doué d’une résilience à toute épreuve, qui envisage de créer une usine pour la fabrication de produits alimentaires ; c’est sa propre banque qui va s’empresser de financer ses concurrents qui, à leur tour vont inonder le marché de produits identiques à ceux qu’il envisage de fabriquer ; il renonce à son projet ; nous sommes là, devant un cas typique de stratégie de lancement de produit opportuniste, alors même que la banque doit préserver et développer la rentabilité de son client. Monsieur Boushab ould Lehsen est un richissime homme d’affaires de Nouadhibou dont la fortune provoque des envieux. Il va se retrouver, dans les années quatre vingt sur une black List de la police politique du comité militaire, au motif qu’il serait en intelligence avec notre voisin du Nord, le royaume chérifien ; du jour au lendemain, son banquier va le convoquer oralement, le sommer oralement de solder manu militari son compte tout en l’avisant, toujours oralement, que les crédits documentaires que la banque s’était engagée à lui accorder sont annulés.
Boushab Ould Lehsen qui est d’un tempérament plutôt bouillonnant, va actionner la banque en responsabilité contractuelle dans un procès retentissant qu’il va gagner, grâce à la solidité de ses moyens juridiques, associés à la perspicacité d’un magistrat intègre, en la personne de Mohameden Ould M’boirik , paix à son âme, dont l’allure affable et la courtoisie teintées d’élégance et de raffinement cachaient un profond souci d’équité et une droiture à toute épreuve ; autant de qualités que ce ressortissant d’Iguidi (Trarza) gérait avec tact, une profonde pondération et une modestie digne des grands esprits ; la décision qu’il rendît contre la banque, condamnée à une centaine de millions d’ouguiyas, suscita un tollé dans les arcanes du comité militaire ; elle sera annulée en appel, sur la base de violations flagrantes de règles fondamentales dont la plus saillante est la non-rétroactivité de la loi, tandis que Boushab Ould Lehssen sera mis en détention administrative, relégué dans une contrée lointaine ( Mbout), détention pendant laquelle, sa banque se livra à une mise à sac de ses biens sur la base d’une véritable cabale politique, policière et judicaire.
Monsieur Ahmeida Ould Bouchraya est un richissime armateur, à la tête d’une flotte de trente bateaux de grand tonnage spécialisés dans la pêche industrielle, doublée d’un empire immobilier ; cette fortune qui dérange en haut lieu, est considérée par le pouvoir comme une menace aux attributs de la souveraineté !
La flotte de ce richissime homme d’affaires , ainsi que son patrimoine immobilier, seront dans les années quatre vingt dix, soigneusement démantelés, détricotés de manière programmée, cynique, froide, méthodique, grâce à la complicité de sa banque qui, par des artifices comptables, va le charger, pour les besoins de la cause, d’une dette astronomique fictive, dont elle va exiger le paiement en transférant ses biens, contre des montants dérisoires, aux apparatchiks du régime et à leur entourage.
C’est le lieu, ici et maintenant, de rendre hommage à Mohamed Salem ould Lekhal, brillantissime ministre des finances, aux côtés de l’éminent économiste Jimme Diagana, et du gouverneur de la Banque Centrale de l’époque, Dieng Boubou Farba , qui s’élevèrent tous d’une seule voix, avec fermeté et conviction, contre les abus auxquels Ahmeida ould Bouchraya avait été exposé.
Pour les sanctionner, le pouvoir allait soumettre Mohamed Salem Ould Lekhal et Dieng Boubou Farba à la détention administrative, tandis que Jimme Diagana sera victime d’un véritable ostracisme d’Etat, éloigné de tout poste de responsabilité.
Monsieur Limam ould Louleyda, homme d’affaires de Nouadhibou, fût contraint et forcé de signer un chèque de plusieurs dizaines de millions pour de présumés transbordements illégaux, alors qu’il était en détention préventive, chèque que sa banque va s’empresser d’honorer tout en sachant qu’il est victime d’une véritable extorsion de fonds et que c’est sous la terreur qu’il a signé le chèque pour le montant duquel, elle allait débiter son compte sans sourciller. Ils sont nombreux, nos hommes d’affaires et nos sociétés à connaître le même sort ; Monsieur Haba, Ballas, Cyprochimie, Somaquire, SNEL du Dr Ba Bocar Alpha etc.
Aujourd’hui que le budget de l’Etat n’affiche plus un besoin de financement , qu’il n’est plus soutenu comme naguère par un recours chronique à l’endettement , avec toutes les tensions qui vont avec, sur le bilan des banques (banques privées et Banque Centrale), et dont le moindre des effets macroéconomiques est l’éviction du secteur privé non financier (entreprises , ménages), son éviction de l’accessibilité au crédit dans des proportions identiques aux prêts accordées à l’Etat par le système bancaire ; aujourd’hui que la tension sur le bilan des banques est donc retombée, celles-ci doivent ouvrir une page nouvelle dans leur relation avec les entreprises, les soutenir comme elles l’ont fait par le passé pour le secteur des administrations publiques, avant qu’une rationalisation des choix budgétaires n’émancipent les finances publiques de l’endettement chronique. Cet appel s’adresse aux banques qui, à défaut d’un marché des capitaux, ont le monopole de l’intermédiation financière et qui, grâce à la nouvelle politique budgétaire caractérisée par un relâchement de la pression sur leurs bilans, ont à ce titre, une opportunité historique de concourir à l’émergence d’un entrepreneuriat qui pourra relever le défi qui nous interpelle tous, gouvernants et gouvernés, face à la rareté du capital dont on sait qu’elle figure en bonne place parmi les complexités de la mondialisation.
Cet appel s’adresse également à la Banque Centrale dont l’une des fonctions essentielles, parmi d’autres, est de surveiller la façon dont l’intermédiation financière, crée et multiplie la quantité de monnaie qui circule dans l’économie , cette quantité constituant une variable importante dans les décisions de politique monétaire.
Cet appel s’adresse aussi au patronat pour la mise en place, dans les limites de la loi, des conventions et usages internationaux, d’un écosystème favorable à l’accession des entreprises au crédit dans de conditions qui n’affectent ni leur compétitivité, ni leurs avantages concurrentiels, la mise en place d’un tel écosystème, nécessitant des réformes majeures de notre droit bancaire et financier, ou ce qui en tient lieu et qui, en l’état actuel se résume en une loi d’un autre âge sur le recouvrement des créances bancaires .(à suivre)
*Avocat à la Cour
*Ancien membre du Conseil de L’ordre