Dans notre immensité linéaire, interchangeable, étirable, cela ne vous aura pas échappé : dans une semaine, la grande « votation » ou l'art de se choisir un chef suprême, Sultan moderne à la tête d'un truc bizarre mais attachant, notre pays. Que ce pays ait un sultan est déjà une chose extraordinaire en soi. Et que ce pays ait des habitants est une chose encore plus extraordinaire.
D'accord, nous sommes peu nombreux au vu de tous les coins et recoins de notre sultanat. Pourtant nous faisons tout ce que nous pouvons pour le peupler, nous reproduisant avec ténacité et essayant de disséminer nos rejetons un peu partout. Quand ces derniers refusent d'être disséminés à tout vent, nous nous sacrifions et allons, quand nous estimons venu l'âge vénérable de la retraite, poser nos babouches dans un coin quelconque, liés que nous sommes pas la nostalgie du « village », du campement, de la ville, de la batha, du marigot, du champs, de la palmeraie, du puits, de la boutique, de la khaïma, de la case etc. etc....
Parfois on peut le faire et on transporte son petit monde dans la transhumance.... parfois la famille se mutine et on se contente des vacances au village, confits dans la chaleur de l'hivernage, et gobeurs des dattes de la guetna. On cuit à petit feu mais faut ce qu'il faut, n'est ce pas ?
Bref : nous sommes les Z'Heureux habitants d'un Sultanat encore plus heureux, joyeux propriétaires de sultans successifs.
Et le 21 Juin, c'est l'ouverture des pâturages citoyens : vote, bulletins, encre dite indélébile, dragues dans les rangs, comptage et recomptage, protestations indignées, déclarations belliqueuses, soutiens et reports des voix...
Car, tout peu nombreux que nous sommes, nous avons des voix, immense gosier à langues multiples, jamais autant choyé qu'en cette période exquise de renouvellement de sultan.
A ma droite le sultan actuel, à ma gauche des candidats sultans.
Au milieu nos dunes.
Et, accessoirement, même si vous ne me voyez pas, moi, votre servante, posée sur le frigo....
Le grand favori de tout ce remue ménage d'avant pluies est notre sultan actuel. Il sillonne, moustaches au vent, tout son sultanat, déroule son programme, vante ses réalisations et fait, apparemment, dans l'idée fixe, à savoir rentrer bille en tête dans le lard de l'opposition boycottiste.
Il ne parle jamais des autres challengers...Comme si ces derniers n'existaient pas.
Je serais eux (ce que je ne suis pas) je porterais réclamation au bureau des choses perdues et trouvées, en réclamant qu'on rende au peuple ce qui appartient au vent, à savoir, une campagne électorale. Une vraie, à l'ancienne, bien sanglante, avec tentes et youyous, panégyriques, poèmes combattants, applaudisseurs en rangs, musique à gogo, trompettes et tambours, chèvres et ânes à la parade, discours, meetings, re meetings, meetings encore, insultes croustillantes et distribution, histoire de nous enchanter, parfois de quelques coups...Une campagne , quoi...
Rien de tout cela : nous avons les tentes du sultan candidat à sa propre réélection et...rien.
C'est d'un ennui...mortifère. J'en baille à m'en décrocher les oreilles et les mâchoires qui vont avec.
C'est sûrement pour nous réveiller un peu, dans un grand geste humanitaire, qu'un brave citoyen, chef à barbe d'une organisation pieuse, les Amis du Prophète, a décidé d'animer toute cette platitude.
Il a lancé une fatwa contre Aminetou mint El Mokhtar, demandant dans sa prose citoyenne, qu'on la tue et, sûrement pour corser le jeu, qu'on lui arrache les yeux. Motif de cette joyeuse ouverture de la chasse : la présidente de l'AFCF a qualifié Ould Mkheitir de prisonnier d'opinion, lui qui croupit en prison pour apostasie présumée.
Cela, la position d'Aminetou, méritait une énucléation bien sentie, non ?
Quand le peuple s'emmerde, rien de mieux que de lui offrir du sang. Il a tout compris notre ardent défenseur de l'Islam... Je me demande même pourquoi il n'a pas proposé, dans sa fatwa, de lui arracher les ongles un à un, de lui couper les seins, de lui brûler la langue, de l'empaler ( frisson garanti), de la tondre, de la brûler à coups de fer à repasser... S'il veut, moi j'ai plein d'idées là dessus...
Fort de cet appel à meurtre en bande organisée, notre apôtre de la violence islamique, fut entendu par les services compétents qui n'ont rien trouvé de mieux que de le remettre en liberté.
Ben oui, c'est comme ça chez nous : n'importe qui peut appeler au meurtre ; comme dirait Chirac, apparemment, pour nos autorités dites compétentes, « ça leur en touche une sans faire bouger l'autre ».....Ne me demandez pas l'explication de cette phrase sublime, Z'avez qu'à activer vos méninges...
C'est que, maintenant, tout un chacun peut allégrement bafouer notre droit, notre Constitution, appeler au meurtre d'une militante des droits de l'Homme sans « faire bouger l'autre ».
C'est la vie normale dans notre sultanat....
Depuis que les partisans moyenâgeux ont découvert qu'ils pouvaient tout, ça flingue dans tous les coins.
C'est une première une fatwa de ce genre. Elle restera dans les annales comme la Fatwa Une, mère de toutes les autres fatwas, modèle de bonté, de piété, de sagesse, de Foi.
Il est fort notre Ould Dahi, chef auto proclamé de la protection de notre religion : dorénavant ils seront 2 à regarder toute leur vie par dessus leur épaule : Ould Mkheitir et Mint el Mokhtar...
la peur et la violence comme seuls arguments.
Car ils règnent par la peur ces « combattants » courageux, ils règnent par la force, la terreur, le meurtre. Ils règnent grâce à l'impunité.
Ils peuvent tout. Ils peuvent tuer par procuration. Ils peuvent menacer.
Qui protégera Aminetou dans les années à venir ? Qui la protégera ?
Qui protégera Mkheitir, prisonnier d'opinion, quand il sortira de prison (car il finira bien par sortir) ?
Qui nous protégera, nous, de ces fanatiques qui se promènent en toute quiétude, libres d'appeler au meurtre ?
Oups, j'oubliais : cette fatwa n'est pas le sujet du jour. Le sujet du jour c'est la votation pour un ex/nouveau sultan...
Circulez, il n'y a rien à voir d'autre, surtout pas une femme de valeur condamnée à mort par un extrémiste ignorant....
Peut être qu'Ould Dahi aurait du proposer des supplices encore plus douloureux comme, par exemple, l'écartèlement...Cela aurait peut être fait bouger notre justice.
Pardon, je m'éloigne encore du seul sujet qui compte : la réélection assurée de l'actuel propriétaire (oui chez nous on n'est pas locataire) du trône de sultan.
Qu'est ce qu'un appel au meurtre à côté de l'importance de cette élection ?
Salut.
Mariem mint DERWICH