Dans un style qu’on croyait à jamais révolu, la très officielle Agence mauritanienne d’information (AMI) s’est fendue, la semaine dernière, d’un « éditorial » qui flaire les années de braise des tristement célèbres régimes militaires. La voilà à attaquer, en termes très peu voilés, notre voisin sénégalais. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’agence de presse sénégalaise (qui dépend, certes, du ministère de l’Information mais qui, contrairement à la nôtre, dispose d’une certaine marge de manœuvres, aussi petite soit-elle) a publié une information relative à une conférence de presse que comptaient organiser des ONG sur « la situation des droits de l’homme et des libertés démocratiques en Mauritanie ». Sous le titre « Erreur ou dérive délibérée », le pamphlet de l’AMI qualifie le communiqué repris par l’APS de « haineux, mensonger, diffamatoire et hostile à la Mauritanie » – excusez du peu – et décoche une flèche empoisonnée, en évoquant l’esclavage, dont « la Mauritanie n’est pas historiquement connue en centre de gravité sous-régional de la traite des êtres humains ». Manière de rappeler l’île de Gorée, sans la citer nommément. Sur la bonne gouvernance où la Mauritanie se voit de plus en plus épinglée – le rapport de Sherpa ne date que de quelques jours – l’AMI rétorque : « Pour une crédibilité maximale, [ces ONG] auraient dû s’intéresser, prioritairement, aux cas de corruption soulevés par la presse sénégalaise locale ». Là, notre AMI y va un peu fort et en langage très peu diplomatique.
Les manœuvres ne se sont pas arrêtées en si « bon » chemin. La Mauritanie a fait pression sur le Sénégal qui a fait pression, à son tour, sur les ONG pour que ni la conférence de presse de samedi (à laquelle devaient assister des avocats français, dont le président de Sherpa), ni celles du jeudi suivant n’aient lieu. Elles furent annulées. Macky, qui a su, jusqu’à présent, gérer intelligemment Ould Abdel Aziz, a préféré éviter l’incident diplomatique avec un pays voisin et un président dont les réactions sont imprévisibles. Comme l’année dernier, lorsque celui-ci décida, subitement, de renvoyer chez eux tous les pêcheurs sénégalais, parce que le Sénégal avait ordonné, aux éleveurs mauritaniens, de rapatrier leurs troupeaux, au motif qu’ils constituaient un danger pur l’écosystème. Malgré l’existence d’un accord, signé en 2006, règlementant la transhumance entre les deux pays. Le Sénégal était rapidement revenu sur sa décision mais Ould Abdel Aziz a la rancune tenace. Depuis, il y a comme un nuage, sur les relations entre les deux Etats. D’autant plus persistant que Dakar a pris la fâcheuse habitude de recevoir, sur son sol, des opposants au régime mauritanien. Ses télés, radios et journaux privés leur ouvrent largement les bras, ne ménageant nullement le régime de Nouakchott. Et, quand l’agence de presse officielle s’est mise de la partie, ce fut comme la goutte qui fait déborder le vase. Mais le Sénégal, soucieux de préserver ses relations de bon voisinage, a joué balle à terre. Son nouveau ministre des Affaires étrangères faisant même le déplacement de Nouakchott, à l’occasion d’une tournée sous-régionale. Non pas, bien évidemment, pour se plier en quatre devant notre guide éclairé, comme l’ont rapporté certains sites – toujours les mêmes porte-couteaux qu’on utilise pour le sale boulot – mais, pour arrondir, tout simplement, les angles.
Ahmed Ould Cheikh