Le Calame: D’abord, un mot sur les intempéries qui ont endeuillé des familles et occasionné de nombreux débats dans les environs de Boghé et de Kiffa et sur la présence du président Aziz à la table ronde qui vient de se tenir en France sur le Tchad.
Yeslem Ould Ebnou Abdem : Il s’agit malheureusement d’un drame qui a endeuillé tout le pays. Prions Allah le Tout Puissant d’accueillir les victimes en son saint paradis et souhaitons prompt rétablissement aux blessés. Il s’agit d’une catastrophe qui aura démontré, une fois de plus, la carence du pouvoir aussi bien dans la prévention de ce genre de catastrophe que dans le traitement de ses conséquences dramatiques.
Quant au voyage du Chef de l’Etat à Paris pour assister à la table ronde sur le Tchad, le bon sens suggère qu’il aurait mieux fait de s’occuper des nombreux problèmes qui se posent au pays, dont le drame que vous venez d’évoquer, la détresse des éleveurs devant cet hivernage qui n’arrive pas à s’installer, les souffrances des populations écrasées par la misère, la cherté de la vie et le chômage, la crise politique qui mine le pays et qu’il vient d’envenimer davantage par l’organisation d’un referendum anticonstitutionnel , les emprisonnements et les poursuites judiciaires contre des sénateurs, des syndicalistes, des journalistes et des hommes d’affaires patriotes dans le cadre d’un dossier monté de toutes pièces.
La vie politique est dominée, cet été par le référendum constitutionnel du 5 août dernier et ses conséquences, notamment l’arrestation et l’audition de sénateurs, d’hommes d’affaires, de syndicalistes et de journalistes, tous impliqués, selon le parquet dans une entreprise de corruption. L’opposition démocratique parle de politique de fuite en avant et de règlement de comptes du pouvoir. D’abord, quelle lecture vous faites de ces événements qui interviennent à moins d’une année d'échéances électorales cruciales pour le pays, municipales en 2018 et présidentielles en 2019? Ensuite, pensez-vous, comme les avocats du sénateur Ould Ghadda par lequel tout a commencé que le dossier est d'abord politique?
Pour faire, comme vous me le demandez, une lecture des évènements qui interviennent à l’approche des échéances électorales, il serait nécessaire de faire certains rappels qui pourraient éclairer cette lecture.
Comme vous le savez, ce pouvoir est né d’une véritable arnaque. Tout le monde se rappelle le discours démagogique et les professions de foi tonitruantes proclamées par Ould Abdel Aziz dans sa campagne pour les présidentielles de 2009 : lutte contre la gabegie, Président des pauvres, redressement de l’économie, limitation des pouvoirs de l’exécutif, etc. Il avait alors surfé sur ces slogans qui avaient dupé bien des gens de bonne foi qui aspirent à plus de justice et de bonne gouvernance. Il avait été servi dans cette arnaque par un préjugé favorable basé sur le fait qu’il était alors un illustre inconnu et que ses antécédents étaient encore ignorés du public : qui pouvait soupçonner que celui qui se présentait avec ce discours de patriotisme et de probité morale négociait, il y a quelques mois seulement, des valises de faux dollars avec des gangs du grand ‘’banditisme transfrontalier’’ à Accra ? Qui pouvait alors soupçonner une telle hardiesse ?
A l’expérience, il s’est avéré, dès les premières années de son exercice du pouvoir, que Ould Abdel Aziz s’est totalement détourné de ces slogans généreux pour bâtir sur leurs cendres le système le plus prédateur et le plus corrompu dans l’histoire du pays. Les populations se sont appauvries davantage et leurs conditions de vie sont devenues intenables à cause de la cherté de la vie et du chômage alors que le clan présidentiel s’enrichit de manière éhontée, le pouvoir personnel s’est substitué à toutes les institutions de l’Etat, l’Administration s’est clochardisée, le processus démocratique a été dévoyé et l’Etat a perdu tout crédit aux yeux des citoyens.
Aujourd’hui, les slogans démagogiques dont il a abusé étant devenus totalement éculés, tout comme est tombé le slogan ‘’la jeunesse est l’espoir’’ (le Conseil Supérieur des Jeunes étant un mort-né), Ould Abdel Aziz, dans sa recherche de maintenir le pays en otage, a cru trouver un nouveau souffle dans une glorification tardive de la résistance au colonialisme, dans une nouvelle tentative de jouer, par ce nouveau slogan, sur les sentiments patriotiques des mauritaniens. Par la même occasion, il voulait renforcer son pouvoir personnel par la suppression de la seule chambre qu’il n’a pas le droit de dissoudre et qui a démontré qu’elle peut se dresser contre sa volonté.
Mais, comme le dit si bien le proverbe de chez nous, ‘’un mensonge peut remplir un sac, deux n’y mettent rien’’. Cette nouvelle arnaque est tombée à l’eau : les sénateurs l’ont fait échouer juridiquement et les électeurs ont fait capoter politiquement ce référendum qui était également un test pour les amendements constitutionnels annoncés par Aziz lui-même et ses acolytes.
Les derniers développements ne sont que la suite logique de ce que je viens d’évoquer. Aziz s’entête à vouloir faire perdurer son emprise sur le pays. Mais comme les mauritaniens ont découvert la vraie nature de son système, comme les slogans démagogiques ne font plus mouche, comme le vote du Sénat et le rejet par le peuple de ses volontés ont mis en échec ses projets, comme l’opposition se muscle et se regroupe, Aziz a vu que des embuches sérieuses se dressent désormais sur la voie de la réalisation de son agenda. C’est pourquoi il a opté, depuis son dernier échec, pour la voie de la fuite en avant à travers la répression, les règlements de compte, les emprisonnements, l’instrumentalisation de la justice, le montage de soi-disant ‘’complots transfrontaliers’’, afin d’affaiblir l’opposition démocratique et d’annihiler les résistances qui se dressent sur son chemin en vue des prochaines échéances électorales. Le dossier du sénateur Ould Ghadda est totalement vide. C’est un dossier éminemment politique qui sert de prétexte au déclenchement de cette entreprise diabolique.
L’opposition démocratique s’est réjouie du succès de son appel au boycott du référendum alors que le pouvoir brandit un taux de participation de près de 56%. Etes –vous de ceux estiment que le gouvernement n’a pas bien décrypté le message des mauritaniens qui ne se sont pas bousculés pour plébisciter son projet ?
La seule réponse responsable à ce message aurait été de s’acheminer vers ce qui unit les mauritaniens par une prise en compte sérieuse des problèmes fondamentaux qui menacent l’unité et la cohésion de notre peuple, de s’atteler à désamorcer la crise politique par la recherche de solutions consensuelles afin de créer les conditions nécessaires pour affronter les prochaines échéances électorales dans un climat politique apaisé, avec des mécanismes et des institutions qui garantissent une compétition électorale démocratique, transparente et libre.
Malheureusement, le pouvoir a pris le contrepied de cette lecture, a préféré s’entêter dans une logique qui divise davantage le peuple, accentue la crise politique et mène le pays vers l’instabilité où sont tombés bien des pays du fait de l’autisme de leurs dirigeants et leur soif du pouvoir.
Le pouvoir suspecte l’opposition interne de connexion avec celle de l’extérieur, incarnée, selon lui par l’homme d’affaires Ould Bouamatou réfugié au Maroc depuis quelques années. Ne viserait-il pas à confondre l’opposition et donc à la discréditer en insinuant qu’elle obéit à un agenda extérieur?
En quoi une connexion entre l’opposition et Mohamed Ould Bouamatou discréditerait-elle l’opposition ? Au contraire, il s’agit d’un homme d’affaires mauritanien qui a contribué au développement économique de son pays par la création de plusieurs entreprises florissantes, qui a fait travailler des centaines de mauritaniens de toutes les régions et de toutes les composantes nationales, qui soigne des milliers de mauritaniens gratuitement et qui, par dessus tout cela, a eu plus d’honneur que d’autres en refusant de plier devant l’injustice et l’ingratitude.
D’ailleurs Aziz devait être le dernier à reprocher à l’opposition le soutien de Mohamed Ould Bouamatou …
Certaines confidences expliquent justement la décision du parti de la Convergence démocratique nationale Ould Bettah de prendre part à la campagne référendaire pour appeler à voter NON, comme une espèce d’un ras-le bol parce que certains grands partis tiendraient en otage le FNDU. Partagez- vous cet avis ?
Tout ce que je peux vous dire c’est que le FNDU n’est l’otage d’aucune de ses composantes. Celles-ci travaillent au contraire en parfaite entente et en totale harmonie. Les épreuves auxquelles a été soumise l’unité du FNDU ces dernières années et qu’il a traversées sans fissures doivent avoir convaincu l’opinion de la solidité des liens qui unissent ses différentes composantes.
Quant aux mobiles qui ont été à l’origine de la participation du parti de la Convergence Démocratique au dernier référendum, son président Me Mahfoudh Ould Bettah est certainement le mieux placé pour y répondre.
Il y a quelque temps, le pôle des indépendants auquel vous appartenez avait exprimé son malaise au sein du FNDU, avec comme prétexte, la mainmise du pôle politique. Les indépendants se seraient-ils sentis à l'étroit au sein du forum ?
Franchement, je ne suis pas au courant du malaise dont vous parlez. Et comme je vous l’ai dit tantôt, il n’y a aucune mainmise de la part d’un pole sur le FNDU. Celui-ci est composé de quatre pôles : politique, syndical, société civile et personnalités indépendantes. Chacun de ces pôles a sa spécificité et joue le rôle qui correspond à sa vocation dans le cadre du Forum.
Que pensez-vous du refus du gouvernement de l'entrée en territoire mauritanien d'une délégation américaine des membres des droits civiques? L'ambassade US en Mauritanie a publié un communiqué dans lequel elle s'indigne de l'attitude des autorités de Nouakchott.
Si le gouvernement n’a rien à cacher pourquoi a-t-il refusé l’entrée de cette délégation des droits de l’homme ? Ce n’est pas par le repli sur soi et la frilosité que l’on peut résoudre les problèmes, encore moins les dissimuler dans un monde devenu totalement ouvert et globalisé. C’est, au contraire, en s’ouvrant aux expériences des autres peuples, en acceptant de donner et de recevoir, que l’on peut progresser et se développer.
Propos recueillis par Dalay Lam