Quel intérêt le régime du général Abdelaziz a-t-il à envenimer la situation politique et sociale en Mauritanie ? En quoi les interpellations de sénateurs, de journalistes, de syndicalistes peuvent-elles avancer le régime et l’aider à résoudre les nombreux problèmes liés à la hausse des prix des denrées de première nécessité, à la chute de l’Ouguiya, au chômage invasif et à la grogne qui semble marquer la quasi-totalité des segments de la population mauritanienne ? Quel est le conseiller qui aurait pu suggérer au président de la République de sombrer dans l’arbitraire en procédant à ces funestes arrestations et auditions qui alimentent l’actualité ces jours-ci à Nouakchott ?
Aujourd’hui, des questions comme celles là, et d’autres encore plus percutantes, reviennent souvent dans le débat public en Mauritanie.
En fait, personne ne semble bien comprendre cette «logique» qui conduit le pouvoir à souffler sur les braises en ce moment où il vient juste de boucler à «sa manière » une réforme pas des plus orthodoxes.
Personne ne semble bien comprendre dans quel intérêt le général tient-il au durcissement de son régime au moment où celui-ci était plutôt censé lâcher du lest pour amener l’opinion à «avaler » cette réforme controversée (déjà rejetée par le parlement) et que lui-même a tenu à imposer au forceps.
D’aucuns pensent, en particulier, qu’en s’attaquant aux médias et aux journalistes, le pouvoir commet une erreur stratégique qui viendra remettre en cause les maigres acquis en matière de liberté de la presse dont se targuait le régime.
Passe déjà qu’aucun appui public digne de ce nom n’était concédé à la presse privée mais, au moins, les tenants de cette «Mauritanie Nouvelle» lui laissaient le soin de publier de tout ce qu’elle voulait, ne lui cherchaient pas la petite bête en fouinant dans les petites aides qu’elle glanait ça et là et ne l’interrogeaient guère sur les motivations de ses lignes éditoriales ni sur ses relations avec les milieux de l’opposition.
Mais, c’est fini ! Avec les interpellations des journalistes et éditeurs de ces derniers jours, ces «largesses» du pouvoir du général Abdelaziz sont désormais dépassées. On interpelle désormais les journalistes n’importe comment, on les interroge, on leur demande la provenance de leurs maigres financements et on leur pose la question de savoir si des politiques ne leur ont pas filé des papiers ou ne leur en ont pas inspiré d’autres. Tout cela, pour déceler des liens suspects qui n’existent pas entre ces journalistes et les milieux que le pouvoir veut bien charger de «crimes transfrontaliers et d’actes visant à perturber la sécurité et la tranquillité publique».
Non, Messieurs du pouvoir, les journalistes n’ont jamais entretenu de relations tordues avec ces milieux ; ils n’ont jamais puisé de milliards dans leurs caisses et n’ont jamais accepté de précieux présents généreusement offerts par leurs soins.
Mais, d’un autre côté, les journalistes et les médias qui se respectent ne peuvent pas accepter et n’accepteront jamais de se faire embarquer dans la brouille du pouvoir avec ces milieux. Comme le leur exigent les impératifs professionnels d’équité et de droiture, les journalistes, qui se respectent, resteront toujours à équidistance entre tous les acteurs de la scène en Mauritanie, tout en se réservant le droit de dénoncer tous les écarts d’où qu’ils viennent, y compris tout naturellement et, en premier lieu, ceux –au demeurant nombreux- que l’opinion reproche au pouvoir. Acceptez alors, Messieurs du pouvoir, de nous laisser dénoncer toutes les incuries sans pour autant interpréter cela comme étant un coup de main à tel ou tel milieu. Acceptez-le de gaité de cœur parce que l’attitude inverse ne serait pas productive et ne nous dissuadera, en tout cas, pas de fustiger avec véhémence tout arbitraire comme celui qui a frappé les journalistes ces derniers jours et qui continue de frapper le sénateur Ghadda dont l’immunité parlementaire a été allègrement violée. Nous sommes et resterons là pour dénoncer toutes vos mauvaises sorties mais nous vous rappelons que c’est le durcissement contre les nasséristes et contre les islamistes qui a, tour à tour, sonné le glas des pouvoirs qui vous ont précédés. Donc, attention !