Le référendum du 5 août, les contre-performances électorales de l’UPR, la fraude à ciel ouvert sous l’œil distrait d’une CENI plus préoccupée par l’expiration du mandat de son noyau central, tout cela a été éclipsé par le kidnapping du sénateur Mohamed Ould Ghadda. Celui-ci, devenu en quelques mois une icône de l’opposition aux amendements du général Abdelaziz, a été extrait, sans mandat, de son domicile et conduit, en pleine nuit, vers une destination inconnue. Des «agents» non moins inconnus mais appartenant vraisemblablement aux personnels de la sûreté l’ont cueilli et, rideau !, plus personne ne l’a vu pendant toute une semaine. Avec cette arrestation, on n’a plus parlé du référendum, ni de ses résultats, ni des opérations électorales, ni de la fraude qui les a émaillées, ni des incertitudes sur lesquelles débouche cette réforme qui a creusé la fracture plombant la scène politique nationale. Le grand public n’a plus parlé que du sénateur, de son droit à ne pas être mis au secret, de rencontrer son avocat et les membres de sa famille et de jouir de toutes les garanties que lui confère la législation mauritanienne. Est-ce le résultat de cette pression populaire qui a amené le parquet à sortir, une semaine plus tard, un communiqué des plus sombres où on semble dépoussiérer les recettes éculées d’accusations fantaisistes, d’amalgame et d’autres procédés opaques visant à enfoncer tous ceux qui ne se sacrifient pas au rite d’ovationner le chef et de chanter les bienfaits de ses programmes ? Toujours est-il que, ce sera le vendredi 18 Août 2017, que le ministère public finira par annoncer l’inculpation du sénateur pour «des crimes transfrontaliers et des actes visant à perturber la sécurité et la tranquillité publique». «Crimes transfrontaliers», quelle panacée ! Dans ce communiqué, le parquet parle «d’informations documentées, de complicités, de crimes graves ayant pris des allures non conventionnelles et sans précédent dans l’histoire du pays ».
Que veut dire tout ça ? Quel sens donner à toutes ces expressions pompeuses et grandiloquentes qui ne correspondent à pas grand-chose sur le terrain ? Jamais il n’a été question d’accointances du sénateur Mohamed Ghadda avec une puissance étrangère ou même avec des étrangers ! Jamais cet élu n’a trempé dans de sombres affaires, jamais il n’a ourdi de complots contre la République ou même contre le régime en place ! C’est vrai, le sénateur a été le principal initiateur de la fronde parlementaire qui a abouti au rejet par la chambre haute de la réforme proposée par le régime, c’est aussi vrai qu’il a été derrière la création de commissions parlementaires dédiées à un travail, jusqu’ici inachevé, sur des sujets ultra-sensibles comme les marchés de gré à gré et le patrimoine de la Fondation Rahma dirigée par le fils aîné du général Abdelaziz. Est-ce que ce jeune sénateur est puni pour s’être intéressé à des sujets qui fâchent ? Est-ce que la justice a voulu sévir contre lui pour que son exemple ne fasse pas tâche d’huile ?
Toutes ces questions se posent même si, depuis un certain temps, tous les frondeurs du sénat savent qu’ils ne sont pas en odeur de sainteté et que, par conséquent, il n’est pas exclu que des comptes soient demandés au moins à certains parmi eux. D’ailleurs le communiqué du parquet laisse entrevoir la possibilité de procéder à plus d’interpellations. L’homme de la rue, plus friand de commérages, dresse déjà une liste de personnes qui, dit-on, seront épinglées d’un moment à l’autre. Résultats, plus personne ne pourrait se sentir à l’abri de la dérive autoritaire qui revient à grand galop. En laissant entendre que de nouvelles arrestations pourront être faites, le communiqué du parquet participe, certainement sans le vouloir, à l’entretien de cette même atmosphère de psychose et de suspicion que nous avons connue sous d’autres régimes policiers.
Voilà où on en est depuis qu’il y a eu ces récents développements qui nous ont ramenés aux arrestations arbitraires, au kidnapping d’opposants, à la délation et au règne de la terreur. Si le scrutin du 5 août 2017 a été marqué par une terrible régression en matière de transparence électorale, l’arrestation du sénateur Ghadda, qui en est un pendant, a matérialisé, elle, une dérive autoritaire avérée matérialisée par le déni du droit et les pratiques arbitraires.
Si cette régression se confirme, la parenthèse de libertés ouverte par le CMJD et qui représente l’unique acquis digne de ce nom aux yeux de bien certains, se sera refermée sans crier gare.
Si c’est ça, ne vous attendez à rien de bon, même pas à une plus-value du bonus escompté avec le déballage éventuel concernant l’incident de Tweyla.
Ely Abdellah